Han­nah et ses sœurs

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Le Silo se penche ici sur un film de Woody Allen, réalisé en 1986, dont la mise en scène est directement conduite par les liens tissés entre les personnages

Date de publication
01-04-2015
Revision
25-10-2015

Hannah et ses sœurs de Woody Allen repose sur une fiévreuse mise en circulation des désirs. Outil fréquent du cinéaste, un déroulé polyphonique sert le cheminement de différents destins. Cette circulation repose avant tout sur les liens familiaux qui unissent les personnages principaux – les trois sœurs – plaçant la proximité et l’intimité au cœur du fonctionnement spatial et des mouvements de caméra du film, dont l’enjeu principal consiste à faire exister dans un même plan un maximum de personnages en pleine discussion. Tous ces gens parlent de ce qui les rassemble, ou ce qui ne parvient justement pas toujours à les rassembler : la famille, les livres, la musique, la nourriture, l’amour, les enfants. Ces trois aspects du film – les liens entre les personnages, la manière dont ces liens conduisent la mise en scène et les contenus de leurs échanges – ne semblent pensés que pour mieux faire sentir la fluctuation des envies, des désirs – parfois contradictoires, inattendus, foudroyants. Frôler quelqu’un dans une soirée, faire semblant de croiser cette personne par hasard dans la rue, lui offrir un livre, aller à un concert – autant de situations qui installent une tension affective. En regard de la nécessité de mener à bien la résolution de cette tension, tout n’est qu’artifice, construction, bavardage, façade – pas forcément au mauvais sens du terme.

C’est pour cette raison que la séquence de la visite guidée architecturale prend dans le film une connotation particulière. Holly, l’une des trois sœurs, gagne sa vie en cuisinant pour des occasions spéciales. Elle s’est pour cela associée avec une amie, April. Lors d’un de ces cocktails, les deux jeunes femmes font la connaissance d’un architecte, par ailleurs amateur d’opéra. Elles l’interrogent sur ce qu’il fait, il leur demande si cela les intéresse vraiment, et, en réponse à leur envie d’en savoir ­davantage, il leur demande à quelle heure elles terminent leur service. Une coupe franche récupère les trois personnages dans une voiture, devant un bâtiment qu’il a récemment construit. S’ensuit un improbable échange sur l’architecture – ­improbable dans le sens où il sert de façade aux intentions réelles de la séquence et à celles, peut-être plus confuses, des personnages : les deux jeunes femmes sont clairement attirées par cet architecte un peu trouble ; laquelle l’emportera ? Au fond, personne ici ne s’intéresse réellement à l’architecture.

Comme souvent chez Woody Allen, le recours à la culture au sens large offre des prétextes à des joutes oratoires, des monologues enflammés ou des échanges stéréotypés – autant de boucles rhétoriques qui brassent le vide et entretiennent les relations sociales – le plus souvent de séduction. Ce qui est très beau dans cette séquence dédiée à l’architecture, c’est la manière dont le film s’y engouffre et décide, un peu gratuitement, en frôlant la parodie, de souligner, d’exagérer, de croire à ce qui s’offre évidemment comme un prétexte. Après la discussion dans la voiture, on visite ainsi différents bâtiments phares de New York que la caméra balaie avec un plaisir aussi évident que grandiloquent et dont la bande-son amplifie le caractère ostentatoire. Grand moment d’envolée lyrique, dépourvu de visée énonciative mais chargé d’affects, ce passage dit bien à quel point les enjeux formels importent au cinéaste.

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