Face au brand ter­ri­to­rial

Sur la misère symbolique des systèmes de représentation des collectivités territoriales

Date de publication
04-04-2014
Revision
10-11-2015

Cet ouvrage offre une lecture critique de la manière dont le branding commercial a contaminé l’image des collectivités territoriales en transposant ses stratégies dans la communication politique actuelle, appauvrissant ainsi progressivement les discours des collectivités publiques. Dirigé par le graphiste-designer Ruedi Baur, il réunit des recherches menées conjointement au sein de différentes écoles d’art européennes. Ce livre aux nombreuses illustrations, dont la maquette et le graphisme ont été réalisés par Maria Roszowska de l’EnsadLab, retrace l’histoire de l’identité graphique des territoires, analyse la complexité et les spécificités de l’image des espaces publics et formule des propositions. Il se compose de trois essais visuels sur les systèmes de représentation de collectivités publiques en Europe soumis au regard du politologue et designer Sébastien Thiéry, du sémiologue Jean-Pierre Grunfeld, du philosophe Pierre-Damien Huygue, de l’historienne de l’art Annick Lantenois et du géographe Luc Gwiazdzinski.
Véritable manifeste, l’ouvrage collectif dénonce ces pratiques dommageables pour les territoires. Ces nouvelles images légales font-elles système, et portent-elles un nouveau régime de gouvernement ? Comment y faire face, et quels chemins de résistance creuser avec les armes du design graphique notamment?
Ruedi Baur explique: «D’avoir transposé les stratégies de représentation d’entreprises vers des territoires, des villes, des nations, cela fait qu’il n’y a plus de discours politique, que l’image remplace la réalité. C’est démocratiquement et civiquement très dommageable. Il n’y a plus de transparence. Il faut reconcevoir des systèmes graphiques où apparaissent des éléments communs, mais aussi des différences».
Ainsi, il ressort de cette lecture un certain trouble, comme pour des Mythologies de Roland Barthes. Cernés par les logos, les représentations, les objets qui réduisent même les chefs d’état à des produits de masse, nous ne serions plus capables d’émettre le moindre jugement hormis un apolitique et subjectif «j’aime/je n’aime pas»1 (Roland Barthes, par Roland Barthes, Seuil, 1975)?
L’article traitant du Drapeau comme marque est éloquent, ainsi que le dépeint Anne-Marie Fèvre dans son analyse critique parue dans Le Temps, du 27 février dernier: 
«En dressant l’histoire du drapeau, particulièrement celui de la Suisse, Ruedi Baur démontre comment l’environnement sémiotique d’un Suisse des années 2010 ressemble à celui d’un Chinois des années 1970-1990. Même rouge des objets, sigles, affiches. La croix blanche helvète d’un côté, les étoiles jaunes ou le portrait de Mao de l’autre. Car depuis les années 1990, le drapeau suisse s’est réduit à cette croix blanche sur fond rouge. Les entreprises helvètes, les institutions, l’église, l’armée, les fromages… ont adopté ce principe visuel, «qui est une simplification populiste et protectionniste», dénonce Ruedi Baur. C’est efficace, cohérent, mais cela met fin à la double identité – le canton et la confédération –, c’est la disparition des différences.»
N’oublions pas que la signalétique, bien que permettant la créativité, est une science basée sur la sémantique des signes qui a pour objectif de nous informer et de nous guider. Et aujourd’hui, dans l’espace public, « entre les logos des entreprises et des territoires publics, il n’y a plus de différence. On vend notre territoire public comme une valeur marchande. Le branding, c’est toujours la simplification, avec un ou deux éléments dans un logo. »

 

FACE AU BRAND TERRITORIAL

Sur la misère symbolique des systèmes de représentation des collectivités territoriales
Sous la direction de Ruedi Baur, Sébastien Thiéry avec la collaboration de Civic City, Head Genève, Ensad Lab (Paris), ZhdK (Zurich), Editions Lars Müller, 2013 / €€ 40.-

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