Eté sans Soleil
Le Soleil, 2005
Une interprétation personnelle de l’histoire d'Alexandre Sokourov.
Eté 1945 : Alors que les Américains ont transformé le Japon en un énorme chantier de ruines, l’empereur Hirohito, héritier de la déesse du soleil, prépare la reddition sans condition du pays face aux Alliés ainsi que le renoncement de sa propre ascendance divine. Le Soleil est le troisième épisode de la tétralogie d’Alexandre Sokourov dédiée aux hommes du pouvoir. La série s’entame avec Moloch consacré à Hitler (1999), se poursuit avec Taurus consacré à Lénine (2001), et se termine magistralement avec Faust (2011). Pour ce troisième volet de la série Alexandre Sokourov s’inspire en partie des archives et des mémoires concernant les derniers jours avant la capitulation, notamment celles du général Douglas Mac Arthur. Or, bien que formé à l’école du documentaire, Sokourov s’intéresse plus aux destins des humains qu’aux événements purement historiques.
A l’exemple de Darwin, dont la figurine orne à coté de celles de Napoléon et de Lincoln le bureau de son protagoniste, Sokourov livre avec Le Soleil une interprétation personnelle de l’histoire. Prenant ses distances vis-à-vis des événements réels, il retrace la transformation de Hirohito du statut de la figure figée et idolâtrée à la tête d’un régime infrangible, à celui d’un corps d’homme maladroit, presque burlesque, rongé par les tics nerveux, la laideur et la mauvaise haleine. Derrière le prétexte du bioépic, se raconte alors l’histoire de l’adaptabilité des organismes dans des nouveaux milieux, de leur capacité d’évoluer et de s’ouvrir aux transformations d’un monde en marche. Hirohito en amateur de sciences naturelles et de biologie marine appuie cette lecture du scénario. Car, si aux souterrains du palais impérial se déploient les dédales d’un bunker à mi-chemin entre réserve de (sur)vie et local de production électrique, à l’étage, dans la lumière terne de son laboratoire improvisé, Hirohito scrute l’apparence blanchâtre des cadavres d’animaux formolés quelque part entre curiosités du passé et visions apocalyptiques d’un monde à venir.
Le film est tourné en haute définition, puis gonflé en pellicule. Sokourov assure la direction de la photographie ce qui lui permet un parfait contrôle de l’image. Les cadres sont fixes, presque photographiques. Les personnages sont souvent positionnés aux bords du cadre, décentrés, à moitié présents et à moitié exclus des lieux où ils se trouvent. Dans la scène sans doute la plus emblématique du film, Hirohito décide de poser devant les journalistes des magazines américaines dans le jardin de son palais. Son but est d’attendrir l’opinion publique qui ne connait de lui que le terrible commanditeur de Perl Harbour. Or, l’homme passe inaperçu tellement il est petit et fébrile. Lorsqu’enfin les photographes le reconnaissent, c’est en Charlie Chaplin que l’on lui demandera d’être immortalisé : navrante reproduction d’une star de cinéma, loin, très loin, de légendes boréales et d’autres mythes de divinité.