Es­cale à la Nou­velle-Or­léans

Dernière image

Près de vingt ans après Abel Ferrara, Werner Herzog réalise son "Bad Lieutenant". Le cinéaste allemand choisit de situer l'intrigue à la Nouvelle-Orléans plutôt qu'à New York. La ville, qui vient d'être dévastée par l'ouragan Katrina, devient l'héroïne véritable du film

Date de publication
02-04-2013
Revision
23-10-2015

En 2009, Werner Herzog, contre toute attente, se penche sur le film de genre et réalise Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans. Nicolas Cage y tient le rôle principal, sans doute le meilleur de sa carrière, faisant revivre le spectre de Harvey Keitel qui, en 1992, incarnait le personnage principal du Bad Lieutenant réalisé alors par Abel Ferrara. Le film de Werner Herzog est-il un remake ? A l’annonce de la réalisation du film par Herzog, Ferrara lui aurait conseillé de « mourir en enfer », à quoi Herzog aurait répondu : « Je ne sais absolument pas qui est Abel Ferrara. » Cette controverse, même anecdotique, est intéressante : Bad Lieutenant, celui de Ferrara comme celui d’Herzog, frôle la question de l’usurpation d’identité. Le personnage principal y incarne à chaque fois un flic clairement tenté par le côté obscur de l’existence. Dans celui tourné à la Nouvelle-Orléans, Nicolas Cage doit résoudre une affaire violente : le meurtre de cinq membres d’une famille sénégalaise prise malgré elle dans les affres du trafic de drogue. Seulement, le lieutenant Terence McDonagh souffre d’un terrible mal de dos, hérité d’un épisode héroïque qui sert de séquence d’ouverture au film. Il est par ailleurs poursuivi par diverses addictions : son antidouleur, mais aussi la cocaïne, l’herbe, le jeu. Autant d’éléments qui lui font régulièrement passer la frontière entre le « good » et le « bad ». Une tension dont le film ne se dépare jamais, mais qu’il parvient à traiter comme le ressort d’un diagnostic plus global.
A la lecture du scénario, qui situait l’action à New York, Herzog impose en effet que le film s’installe finalement à la Nouvelle-Orléans que l’ouragan Katrina vient de dévaster. C’est une idée de génie, qui fait basculer le film du côté du portrait de ville. La Nouvelle-Orléans est à n’en pas douter l’héroïne véritable du Bad Lieutenant de Herzog, qui détaille, plan après plan, les effets de déréliction sociale que Katrina a entraînés sur son passage. Tous les personnages du film sont atteints de maladies, réelles ou symboliques, qui semblent incurables : alcoolisme, violence, trafic de drogue, solitude ou abandon. Face à ce qui semble irrémédiable, le film maintient une forme d’énergie primitive, pleine d’humour noir, qui se refuse à toute condamnation. La ville, pourtant plongée dans le chaos, continue de produire une forme d’intensité visuelle. Le meilleur exemple de cette façon qu’a Herzog d’extraire de la fange un pur élément de vision s’incarne dans les hallucinations qui frappent régulièrement le personnage de Nicolas Cage. Sous l’emprise de la drogue pendant presque tout le film, il est régulièrement soumis à la présence entêtante d’animaux exotiques et inquiétants, alligators et iguanes, que personne d’autre que lui ne voit. Refusant que son chef opérateur se charge de ces plans, Herzog prend lui-même la caméra pour les filmer. Il en résulte une série d’images strictement hallucinantes, colorées, moirées, terrifiantes. Le virus qui ronge la Nouvelle-Orléans vient s’incarner dans les yeux d’un duo d’iguanes verts et gris.

Le blog du Silo

Étiquettes

Sur ce sujet