Éle­ver, réem­ployer, con­nec­ter – pour en fi­nir avec la Rost­bal­ken

Avec Nauentor, l’emblématique ligne d’horizon de Bâle sera complétée par trois nouvelles tours. Mais le projet de l’équipe lauréate, composée de Bruther Switzerland, Jan Kinsbergen Architekten et Truwant + Rodet, propose surtout un espace public de liaison entre le centre-ville et le quartier de Gundeldingen.


 

Date de publication
15-11-2023

Lorsque l’on entre en train en gare de Bâle CFF depuis l’est, le regard est attiré par l’énorme Rostbalken – littéralement, la «poutre rouillée» – peinte en rouge. C’est ainsi que les Bâlois appellent, un peu par dérision, le bâtiment de la Poste posé comme une table sur les voies. Construit entre 1972 et 1980 par les architectes Suter + Suter, il a été utilisé jusqu’en 2016 comme centre de distribution. Comme les propriétaires fonciers (la Poste et les CFF) n’en ont plus l’usage, il est depuis en grande partie vide.

Une planification test devait mettre en évidence les potentiels de développement du site. Il est apparu clairement qu’une remise en état complète de ce colosse nécessitant un assainissement total n’était pas envisageable – compte tenu des exigences de la police du feu et d’un point de vue économique. La discussion sur la pérennité de la construction métallique était ainsi restée ouverte au sein de la communauté locale des architectes.

Un long processus

Ce vestige du boom de la construction des années 1970 devait jusque-là sa survie à des motivations nostalgiques autant qu’à des impératifs de durabilité. Mais la tâche principale et urgente restait pour les CFF et la Poste de clarifier une situation urbanistique jugée insatisfaisante.

Conclusion logique: la parcelle, qui jouit d’une situation privilégiée (juste à côté de la gare centrale), nécessite un nouveau développement et une revalorisation à partir de la conservation d’une partie de la structure porteuse du bâtiment existant – avec l’objectif de créer de nouveaux logements et de relier les quartiers de part et d’autre de la gare.

L’étude de faisabilité approfondie et développée par Morger Partner Architekten montrait déjà comment densifier le site et mieux l’exploiter à l’avenir. Les conclusions de cette étude constituent la base du plan d’aménagement en vigueur « Areal Nauentor ». Celui-ci prévoit une superstructure sur la structure porteuse existante du bâtiment de la Poste, l’extension du socle avec le parking actuel et trois tours d’une hauteur maximale de 89 mètres.

Les mandats d’étude parallèles «Basel Nauentor» ont été lancés après une phase sélective (préqualification) ouverte à l’international.

Cette tâche de grande envergure a attiré, outre des architectes bâlois de renom, des talents du monde entier. L’obligation de faire participer un jeune bureau dans chaque groupe de travail, composé d’au moins trois bureaux d’architectes ou d’urbanistes, était plutôt inhabituelle.

Le consortium international Bruther Switzerland, Jan Kins­bergen Architekten et Truwant + Rodet a été recommandé pour la suite du projet. Leur concept est une chance pour la ville: le projet gagnant met de l’ordre dans le quartier de la gare, conserve une partie de la structure porteuse existante et répond aux exigences multiples du programme de concours.

Un nouveau lien entre les quartiers

L‘implantation urbaine proposée par l’équipe gagnante suit le plan d’urbanisme imposé. La force du projet réside dans le traitement de l’espace public, qui occupe une grande partie du socle. Du nord au sud, la vaste «Galerie Nauentor» constitue une liaison importante entre la place de la Centralbahnplatz et la Peter Merian-Strasse. Elle est exclusivement destinée aux piétons et aux cyclistes et offre ainsi une alternative attractive au sombre passage souterrain actuel. L’espace public situé au bout de la Centralbahnstrasse, qui ressemblait jusqu’à présent à une arrière-cour négligée, en profitera également.

La galerie sur plusieurs étages revalorise fortement cette place: elle offre un espace pour les accès principaux aux bâtiments, ainsi que pour la mobilité douce, et elle sert de lieu de séjour pour la population, la culture et le commerce, sans toutefois se définir exclusivement comme un centre commercial.

La deuxième infrastructure importante du projet est le nouvel axe majeur (en allemand Magistrale) qui devrait renforcer la liaison entre le quartier «Gundeli» (Gundeldingen) et le centre-ville, en passant par-dessus les voies. Cette nouvelle passerelle offrira une alternative bienvenue à celle existante, très étroite. L’axe desservira les voies à l’est de la gare et servira de raccourci important pour les piétons. Les voies seront alors séparées, ce qui minimisera les conflits avec les cyclistes. Grâce à l’intégration de cette Magistrale dans le plan porteur, l’équipe gagnante a pu raccourcir les rampes d’accès pour les vélos et les rendre plus conviviales1.

Dans la structure qui enjambe les voies, des surfaces généreuses complètent l’offre de la gare. Mais ce «highlight urbain suspendu au-dessus des voies» (d’après le rapport du jury) pourrait aussi faire concurrence aux surfaces de vente situées le long de la Nauenstrasse et aux arcades côté centre-ville.

Construire en hauteur

Contrairement au périmètre du projet de la Poste, qui comprend environ 105 000 m2 de surface brute de plancher et qui se situe du côté du centre-ville, celui des CFF ne mesure qu’un cinquième de la surface et se trouve dans le quartier de Gundeldingen. Selon le plan d’aménagement, il est possible de construire entre 50 000 et 80 000 m² de surface commerciale et environ 36 000 m² de logements pour environ 600 personnes, dont un tiers dans le segment à prix modérés. Le projet contribue ainsi à la création de logements – dont Bâle a urgemment besoin. Comme il est prévu d’habiter principalement dans les tours, l’accès à celles-ci est essentiel. Sur le terrain de Gundeldingen, la tour CFF sera reliée au reste du complexe par le nouvel axe et accessible par un grand escalier faisant partie de la liaison entre les quartiers. Les deux tours du côté du centre-ville auront chacune deux noyaux de desserte au niveau de la rue, les autres se trouvant le long de la galerie. En raison de la profondeur du socle, la conception du plan a posé quelques problèmes – certaines utilisations devront se passer de lumière naturelle.

En contrepartie, les deux tours de la Poste offrent des espaces extérieurs variés, comme un jardin sur le toit qui laisse une grande liberté d’appropriation, ou les cours intérieures bien proportionnées au-dessus du niveau de la ville, qui offrent un lieu agréable pour se rencontrer et se rafraîchir. Aux étages supérieurs, des atriums végétalisés complètent l’offre.

Réemployer des morceaux de ville

Le jury a été convaincu par l’expression architecturale du projet gagnant: «Le projet suit la philosophie d’une architecture orientée vers l’avenir, qui donne la priorité à la réutilisation de ce qui existe déjà plutôt qu’à la démolition.» L’existant est renforcé et le nouveau est construit de manière durable et légère. Le tout avec une consommation minimale de matériaux (ndlr: ou en tous cas aussi légère que ce qu’autorise une tour de 80 étages). Le jury a apprécié le fait qu’il en résulte une œuvre globale sans sentimentalisme par rapport à l’expression architecturale controversée de l’actuelle porte du Nauentor. Le fait que la structure porteuse existante ait été réutilisée de manière conséquente dans le projet, partout où cela était possible, témoigne d’un sens des responsabilités. Dans la zone située au-dessus des voies, l’idée a toutefois conduit à une structure porteuse complexe qui occupe fortement l’espace.

La réalisation dans le secteur de la Poste débutera probablement à partir de fin 2024, la fin des travaux étant en vue au plus tôt en 2031. En revanche, sur le périmètre des CFF dans le «Gundeli», un concours de projets doit encore être lancé, qui s’appuiera sur les enseignements tirés de la procédure de dialogue et du projet urbain global.

Les Bâlois ont probablement eu un premier élan de nostalgie quand le premier bâtiment de la Poste, de style néobaroque, a été détruit en 1975 au profit de la Rostbalken. Mais contrairement à ce qui avait été fait à l’époque, le cœur de la structure du bâtiment est aujourd’hui conservé, dans un souci de durabilité. Et grâce au lien urbanistique et spatial entre les quartiers situés au-delà des voies ferrées et le centre-ville, la zone devrait connaître une forte revalorisation. Il faudra toutefois encore voir comment le défi logistique sera relevé dans ce lieu très fréquenté.

MEP Nauentor, Bâle (BS)

 

Maîtrise d’ouvrage
PostFinance SA et Chemins de fer fédéraux suisses CFF

 

Procédure
Mandats d’étude parallèles (Règlement SIA 143) à un degré en procédure sélective

 

Président du jury
Peter Berger, architecte FH ETH BSA SIA, Theo Hotz Partner Architekten, Zurich

 

Équipe lauréate
Bruther Switzerland, Paris / Zurich; Jan Kinsbergen Architekten, Zurich; Truwant + Rodet, Bâle; Antón Landschaft, Zurich; Argus Stadt und Verkehr Partnerschaft, Hamburg; Schnetzer Puskas Ingenieure, Bâle; Amstein + Walthert, Zurich; Zeugin-Gölker Immobilienstrategien, Zurich

Les résultats et le rapport du jury du concours sont consultables sur competitions.espazium.ch

Texte original paru dans TEC21 32-33/2023: «Neue Verbindungen statt alter Rostbalken». Traduction: TRACÉS.

Note

 

1 (Ndlr) Après une discussion lors des mandats d’étude parallèles, l’idée d’une Magistrale – figurant au cahier des charges du concours – semble avoir été remise en question. Le projet lauréat propose une Galerie, soit une arcade ou rue couverte. Voir le rapport du jury (disponible sur nauentor.ch) et l’article «Adieu, Magistrale! Kritische Stimmen zum Nauentor-Wettbewerb – und der Blick auf alle Beiträge», posté le 15 juin 2023 sur architekturbasel.ch par les éditeurs du site.
 

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