Elar­gir à l’étroit

Les travaux de correction de la route cantonale reliant Bulle à Château-d’œx sont emblématiques des problèmes toujours plus complexes en matière d’organisation des travaux que les ingénieurs ont à résoudre pour améliorer la qualité des infrastructures de transport.

Date de publication
01-10-2013
Revision
12-10-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Le relief accidenté d’une part importante de notre territoire influence souvent de façon déterminante le cheminement des infrastructures de transport qui le desservent. Condamnés à franchir les mêmes zones d’étranglement, voitures et trains se disputent alors le peu d’espace disponible pour cohabiter. Si cette problématique est loin d’être nouvelle, la spectaculaire augmentation de la mobilité des sociétés modernes a progressivement rendu obsolètes certaines des solutions qui avaient initialement été mises en place.
C’est par exemple le cas de la route cantonale RC 702 reliant Bulle à Château-d’œx où, de part et d’autre du village de Rossinière (plan), des largeurs de chaussée comprises entre 5.5 et 6 m sont devenues insuffisantes, tant au regard des normes VSS que des largeurs minimales définies par le Service des routes du canton de Vaud.
Il a ainsi été décidé de procéder à la correction de deux tronçons de cette route, situés respectivement aux lieux-dits les Rez et la Chaudanne. Si la première intervention se résume principalement à la correction d’un virage sur une distance de 430 m, la traversée du goulet de la Chaudanne concerne quant à elle un tronçon de quelque 800 m de route. Celui-ci se caractérisait en outre par la présence d’un passage à niveau pour le croisement de la ligne du Montreux – Oberland Bernois (MOB) : afin de supprimer cette dangereuse intersection, les travaux de correction comprenaient notamment la réalisation d’un nouveau pont d’une longueur d’environ 200 m au-dessus des voies ferrées (voir encadré ci-dessous).
En plus de la réalisation de l’ouvrage au-dessus du MOB, les corrections effectuées portent essentiellement sur des aménagements pour augmenter la largeur de la chaussée : au lieu-dit de la Chaudanne, ceux-ci consistent principalement à édifier des murs de soutènement (aval et/ou amont) ou alors à retailler des talus bordant l’amont de la chaussée (schéma). Du côté du virage des Rez, si l’intervention la plus spectaculaire concerne aussi un redécoupage du talus amont, la partie aval de la chaussée a aussi été remodelée par le biais de murs de soutènement.
Si la nature de ces travaux n’a en soi rien de véritablement exceptionnelle, c’est leur situation dans une zone particulièrement pauvre en espace qui a rendu délicate leur exécution. Celle-ci s’est étalée sur une période de trois ans allant de 2011 à fin 2013 et l’inauguration officielle marquant la fin des travaux aura lieu le 1er novembre prochain. Compte tenu de la topographie, tant le stockage que les déplacements des machines et des matériaux de chantier devaient se faire principalement dans l’espace restreint des chaussées en cours d’élargissement. Une situation qui a logiquement imposé un trafic bidirectionnel alterné avec une gestion par feux. Selon que les travaux en cours concernaient la partie aval ou amont de la chaussée, le tracé de l’unique voie de circulation au sein du chantier a par ailleurs dû être modifié à de nombreuses reprises.
Il a aussi fallu tenir compte de la présence, le long d’une grande partie du chantier, de la ligne du MOB, avec notamment un passage à niveau qui devait demeurer en service jusqu’à l’ouverture le 22 août dernier du pont qui devait le remplacer. 
Cette proximité s’est traduite non seulement par la mise en place d’importantes mesures de protection pour la ligne (image), mais aussi par le maintien du poste de commande du passage à niveau, en plein milieu du chantier (image). Une présence qui n’a pas simplifié l’organisation de la circulation
Finalement, la gestion de ce chantier, situé à près de 900 m d’altitude, a encore été considérablement affectée par les conditions climatiques. Durant les deux hivers, afin de garantir un accès aisé aux stations du Pays-d’Enhaut et de l’Oberland Bernois, une circulation bidirectionnelle sans feu de régulation a dû être maintenue pendant toute la saison de ski. Une contrainte qui a limité de facto les interventions aux zones situées hors du tracé de la route, soit essentiellement la réalisation des puits de fondation et piles du pont dans le talus en éboulis, la construction des deux culées et des travaux de renforcement de la partie aval des ouvrages situés le long de la voie du MOB.
Salvatore Nania et François Petriccioli sont ingénieurs civils et travaillent au Service des routes du canton de Vaud.

 

 

Nouveau pont sur le mob

D’une longueur totale de 190.5 m, le pont sur le MOB est divisé en sept travées, dont la plus longue, située au-dessus de la voie ferrée, présente une portée de 31.5 m. En plan, l’ouvrage dessine un S, suivant en cela approximativement la topographie des lieux (schéma et image).
Son système statique est celui d’une poutre continue. Il repose sur des piles rectangulaires ; cinq sont encastrées dans le tablier et une y est liée par l’intermédiaire d’un appui métallique avec un coussin en élastomère mobile longitudinalement.
Le pont est également encastré dans la culée du côté de Bulle, alors qu’il est librement appuyé à son autre extrémité sur la culée du côté de Château-d’œx, où il peut se dilater par l’intermédiaire d’un joint à peigne. La section transversale, constante sur toute la longueur du pont, est composée d’une poutre centrale trapézoïdale d’une épaisseur de 1.40 m, jouxtée de deux porte-à-faux de 2.75 m qui lui confèrent une largeur totale de 9.30 m (schéma et image). Il est précontraint longitudinalement à l’aide de six câbles type Cona de 19 torons pour un effort de mise en tension de 3 350 KN par câble. Du fait de la proximité des installations ferroviaires et des risques de danger par rapport aux courants vagabonds, les câbles de précontrainte sont de catégorie « c », ce qui signifie qu’ils sont isolés électriquement avec une gaine en matière synthétique, afin d’obtenir une meilleure protection contre la corrosion et un meilleur comportement à la fatigue.
Les culées et les piles intermédiaires du pont sont fondées sur la roche calcaire sous-jacente (image 1 et image 2). Les fondations sont réalisées au moyen de puits circulaires remplis de béton. Pour les construire, une plateforme a été creusée dans le talus à l’abri de parois berlinoises, ces dernières étant ancrées par des clous passifs. Dans leur partie supérieure, les puits traversent des terrains de couverture constitués d’éboulis et de dépôts morainiques qui ont nécessité la mise en place d’un anneau mince en béton projeté. Quant à leur partie inférieure, elle est scellée dans le rocher afin d’assurer un bon encastrement de la base des piles. L’excavation de la partie en rocher a été réalisée par étapes, à l’explosif. 
Le pont a été construit sur des cintres fixes depuis la culée Château-d’œx, en sept étapes (image). A l’exception de trois câbles dans chaque travée de rive, la précontrainte a été mise en œuvre au moyen de câbles ayant une longueur correspondant à deux travées. Les câbles étaient mis en tension trois par trois alternativement à la fin de chaque étape de bétonnage (50% de la précontrainte à chaque mise en tension), la continuité de la précontrainte sur toute la longueur du pont étant assurée par trois coupleurs à chaque étape. Le décintrage du tablier a été effectué par travée, après la mise en tension et l’injection de la totalité des câbles de la travée considérée.
Les travaux du pont ont commencé en octobre 2011 par des travaux préparatoires pour les fondations des piles. Les cinq premières travées ont été bétonnées entre avril et octobre 2012, et les deux dernières entre avril et juin 2013. Les travaux de finitions – glissières de sécurité, étanchéités et revêtements bitumineux – ont été terminés en août 2013, date à laquelle il a été mis en service (dans une seule direction).
Erik Garin travaille comme ingénieur civil au sein du bureau Daniel Willi SA à Montreux.

Étiquettes
Magazine

Sur ce sujet