Echec glo­ba­lisé

Editorial paru dans Tracés n°08/2015

Date de publication
22-04-2015
Revision
10-11-2015

L'accroissement prodigieux ces dernières années du nombre de murs, barrières et clôtures érigés à la frontière des Etats semble être symptomatique d’une angoisse globalisée : la perte d’une identité nationale. Depuis la fin de la guerre froide, le nombre de telles structures a quintuplé ; alors qu’il en existait une dizaine au début des années 1990, on compte aujourd’hui près de soixante murs-frontières à l’échelle internationale. Et la majorité de ces murs contemporains sont liés aux migrations. 

La fonction des murs frontaliers s’est profondément modifiée au fil des ans. Dans les années 1950, les deux Corées ont dressé entre elle une barrière pour tenter d’atténuer leurs dissensions ; la partition de Chypre en 1974 a été matérialisée par la construction d’une zone tampon censée apaiser les conflits entre deux communautés – les blessures causées par de telles constructions aux populations et dans le paysage seront longues à panser. L’édification de murs était alors liée à un état de guerre, elle était le fruit d’une volonté de maintenir un statu quo entre deux parties belligérantes, une tentative de pacification.

Mais voilà que la plupart des barrières frontalières contemporaines sont le fait d’Etats – démocratiques autant qu’autocratiques – qui ne sont pas en guerre ; on pourrait citer le Brésil et les Etats-Unis, ou encore la République dominicaine qui projette de construire une barrière entre elle et son voisin pour faire face à ce que son gouvernement appelle l’« haïtianisation » du pays. Plus près de chez nous : la France qui renforce une barrière dans le port de Calais, ou l’Espagne et ses deux enclaves de Ceuta et Melilla. 

Plus cynique encore, et parce qu’ils se sentent dépassés, certains Etats rigidifient leurs frontières pour contrer ou déplacer le flux de migrants fuyant des zones en conflit. La guerre civile qui secoue la Syrie depuis quatre ans a, par exemple, conduit directement ou indirectement à la construction de plusieurs murs : la Grèce a inauguré fin 2012 une clôture de 13 km le long de sa frontière avec la Turquie ; pour stopper l’afflux de réfugiés syriens, la Bulgarie a construit l’été dernier un mur de 30 km à la frontière turque et Sofia a annoncé cet hiver sa volonté de le prolonger de 130 km ; et la Turquie elle-même a érigé cet été une barrière le long de sa frontière avec la Syrie – officiellement pour préserver les populations turques de la menace djihadiste. 

Le constat est bien sombre : la prolifération de ce type de murs – anti-immigrés – est inédite dans l’histoire mondiale. Elle est peut-être le signe d’un préoccupant repli sur soi des Etats ; elle est en tout cas celui d’un échec politique.

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