«Des opé­ra­tions éner­gé­tiques et ef­fi­caces exis­tent»

Comment un promoteur institutionnel fait-il face à la nécessité de renouveler  ses biens immobiliers? Et à quelles demandes énergétiques doit-il satisfaire? Deux expertes donnent des informations sur les stratégies possibles.

Date de publication
22-11-2018
Revision
22-11-2018
Katrin Pfäffli
architecte dipl. EPF SIA, membre de la Commission SIA 2040, spécialisée en développement durable, chargée de cours à la ZHAW, propriétaire du cabinet d’architecture K. Pfäffli à Zurich.

Paul Knüsel: La Fondation PWG n’achète jamais de parcelles non bâties, mais uniquement des bâtiments résidentiels et commerciaux existants. Selon quels critères procédez-vous ?
Alexandra Banz: Notre stratégie d’acquisition actuelle dépend avant tout de l’offre du marché. Cependant, nous achetons uniquement lorsque nous estimons qu’il sera possible de proposer des logements bon marché. Au moment de l’achat, l’évaluation de l’état structurel reste approximative. Nous déterminons en tous les cas si des interventions sur le bâti seront nécessaires, car cet aspect influence considérablement la valeur de l’investissement.

Et comment décidez-vous si l’immeuble acheté doit être remplacé par du neuf ou seulement rénové?
Banz: Notre stratégie consiste à conserver les bâtiments achetés et à les exploiter tels quels le plus longtemps possible. Ceci permet de garder des loyers modérés. En contrepartie, les résidents acceptent en toute connaissance de cause un certain nombre d’imperfections. Ces dernières sont consignées dans notre relevé d’état dressé au moment de l’acquisition et une date théorique de rénovation est fixée.

«Un indice énergétique insuffisant n’est pas un motif impératif de rénovation d’un bien immobilier» 
Katrin Pfäffli

Quelle importance revêt la consommation d’énergie du bâtiment acheté?
Banz: Nous examinons avant tout l’état des différents éléments de l’ouvrage afin d’évaluer les besoins d’assainissement d’un bâtiment et de ­dresser une liste des priorités pour l’ensemble du portefeuille. L’indice énergétique fait partie des critères de décision déterminants. Depuis trois ans, nous effectuons un relevé systématique des besoins d’énergie de chauffage de chaque bien immobilier. En cas de consommation excessive, le bien en question remonte dans la liste des travaux prioritaires. Il faut cependant dire que la plupart des bâtiments comportent des défauts plus importants à corriger, notamment dans le domaine des installations ­sanitaires. 

Katrin Pfäffli : D’après mon expérience, cela correspond à la façon habituelle de procéder. Des travaux d’assainissement sont effectués en cas de défaut substantiel. Un indice énergétique insuffisant n’est pas un motif qui exige la rénovation d’un bien immobilier. Cela se comprend très bien, puisque ce n’est pas aux propriétaires mais aux locataires qu’incombent ces frais énergétiques élevés. Des défauts conséquents dévalorisent un bien immobilier, c’est ce qui fait l’attrait de tels investissements. Mais les acheteurs ne sont généralement guère enclins à consacrer en plus des sommes conséquentes à une rénovation énergétique.

Banz : En tant que fondation urbaine, nous sommes toutefois liés au plan énergétique communal de Zurich et devons par conséquent réduire la consommation des biens immobiliers. Lorsque, par exemple, des équipements électroménagers doivent être remplacés, nous choisissons uniquement les produits les plus économes en énergie. En revanche, nous ne remplaçons les chaudières utilisant des énergies fossiles que lorsqu’elles arrivent en fin de vie. Un remplacement prématuré ne serait pas viable économiquement.

À quel moment une rénovation énergétique, à l’instar de celle qui a accompagné l’ajout d’un étage à l’immeuble de Zurich-Altstetten (Lire l'article Valeur ajoutée dans les combles), devient-elle opportune?
Banz : Notre stratégie était de réaliser une amélioration énergétique d’un bien immobilier pour un budget maîtrisé en l’associant à une densification. Les loyers légèrement supérieurs des nouveaux appartements nous permettent d’assurer le financement des mesures consacrées à l’enveloppe du bâtiment. Dans les logements existants, la hausse des frais est restée limitée. La contrepartie prend ici la forme de balcons plus spacieux. 

L’adjonction d’un étage serait-elle donc la clé d’une meilleure efficacité énergétique?
Banz : Pas nécessairement. Cela dépend avant tout de la rentabilité et chaque bâtiment doit faire l’objet d’une évaluation individuelle. Les immeubles typiques de la seconde moitié du 19e siècle (la « Gründerzeit »), fréquents dans certains quartiers résidentiels de Zurich, ne sont par exemple guère adaptés à l’ajout d’un étage. Les travaux nécessaires seraient trop complexes pour respecter l’objectif de loyers abordables. Il faudrait installer un ascenseur et les nouveaux appartements seraient trop petits.

Pfäffli : Intégrer l’optimisation énergétique de l’enveloppe du bâtiment à d’autres travaux d’assainissement nécessaires est, à mon avis, une bonne stratégie pour profiter d’effets d’aubaine. Si, comme dans l’exemple mentionné, l’ajout d’un étage accroît l’espace de vie, l’investissement nécessaire à l’amélioration énergétique est en partie couvert par la hausse des recettes issues du bien immobilier concerné. Une extension ou l’adjonction d’un étage sont par conséquent des occasions idéales de procéder à l’amélioration­ énergétique de l’enveloppe d’un bâtiment. Pour les promoteurs privés et institutionnels, c’est probablement même un argument économique déterminant dans la décision de rénovation. 

Les travaux n’entraînent-ils pas une baisse des dépenses énergétiques de fonctionnement, qui pourrait se répercuter sur les charges des locataires?
Pfäffli: Les interventions globales au niveau de l’enveloppe du bâtiment, qui n’apportent pas de valeur ajoutée qualitative ou quantitative aux logements, ne sont souvent pas rentables, ni pour l’investisseur, ni pour les locataires. Il existe toutefois des opérations efficaces, comme le remplacement des fenêtres ou l’isolation des combles. Ce type de mesures ciblées peut faire la différence et être rapidement rentabilisé. À cet égard, des conseils d’experts et un examen attentif de l’état du bâtiment sont généralement indispensables. 

Banz: C’est exactement l’expérience que nous avons faite. L’isolation du sol des combles ou du plafond de la cave permet des économies d’énergie conséquentes. Nous nous efforçons de préserver l’aspect caractéristique des bâtiments, même s’ils ne sont pas protégés au titre des monuments historiques. À cet effet, nous n’hésitons pas à opter pour des solutions parfois complexes en termes de physique du bâtiment, par exemple en procédant à une isolation intérieure. Dans une stratégie de portefeuille, la vision d’ensemble revêt beaucoup d’importance. Emballer tous les bâtiments dans une enveloppe aussi épaisse que possible n’est pas la solution. Nous suivons des objectifs économiques généraux, que nous adaptons au cas par cas à chaque bien immobilier. 

«Des bâtiments qui n’ont que 10 ou 15 ans nous posent parfois plus de problèmes que les constructions plus anciennes»
Alexandra Banz

Les spécialistes du secteur parlent régulièrement de retard dans les rénovations. Comment évaluez-vous la gestion actuelle du parc immobilier, sur un plan tant économique qu’énergétique?
Pfäffli: Concernant l’état global du parc immobilier, je ne me fais guère de soucis : il est en excellent état et les maisons délabrées sont très rares. En paraphrasant Vitruve, je dirais que nos logements sont beaux, sûrs et fonctionnels. On ne peut donc pas réellement parler de retard dans les rénovations en Suisse, même si des améliorations seraient possibles dans le domaine de l’énergie. À cet égard, il ne faudrait cependant pas s’intéresser exclusivement à l’énergie de chauffage. En effet, à long terme, dans le contexte du changement climatique, la demande de chauffage passera au second plan par rapport aux besoins de refroidissement. Grâce à leurs épais murs extérieurs, à leur grande inertie thermique et à leurs fenêtres assez petites, les constructions datant de la Gründerzeit, bientôt centenaires et toujours très appréciées, devraient mieux s’en sortir d’un point de vue énergétique que bon nombre de bâtiments plus récents. J’estime donc qu’il est prématuré de parler de «retard de rénovation» au sujet de ces bâtiments.

Banz: Les promoteurs institutionnels gèrent certainement leurs biens immobiliers de façon plus méthodique que les nombreux propriétaires privés, qui détiennent une large part du parc immobilier. Une autre différence est souvent l’absence de stratégie à long terme. Sur le marché, cela se constate par la mise en vente de nombreux biens immobiliers lorsque ceux-ci auraient besoin d’un assainissement. En cas d’achat, nous renonçons toutefois à de telles opérations, afin de garder des loyers bon ­marché. Pour la ville de Zurich, l’achat constitue déjà une dépense considérable. S’il faut y ajouter des investissements de rénovation, cela se traduira par une hausse des loyers. Si la rénovation d’un bâtiment revient si cher, cela tient également aux nombreuses exigences structurelles et techniques à respecter. 

Pfäffli: Cette logique a aussi un côté absurde : si un bâtiment n’est pas rénové, il consomme autant d’énergie que nécessaire ou que le système de chauffage peut en fournir. En outre, ces bâtiments satisfont rarement aux normes actuelles de protection incendie, de sécurité sismique, d’isolation acoustique ou d’accessibilité aux personnes handicapées. En cas de rénovation complète, le maître d’ouvrage est confronté à toute une série de prescriptions, susceptibles de le décourager. Les projets de rénovation peuvent ainsi être bloqués en raison d’exigences excessives. Il serait par conséquent judicieux de faire preuve d’un peu plus de souplesse dans la définition des prescriptions légales. 

Banz: À ce propos, je souhaiterais donner un exemple de notre façon de gérer les prescriptions. Nous souhaitons rénover un immeuble du 19e siècle sans le priver de son charme original. Le bâtiment ne possède ni chauffage central, ni véritables salles de bain. Aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, nous renonçons à une rénovation complète. Au lieu de cela, nous nous contentons d’installer un chauffage central et de remanier les cuisines et les salles de bain, ce qui nous affranchit d’une mise aux normes de la protection incendie. Cette stratégie d’assainissement douce est mieux adaptée à ce bâtiment qu’un remplacement, solution que nous avions également envisagée. De cette façon, nous pourrons aussi continuer à proposer dans cet immeuble des loyers modérés durant les 30 prochaines années. 

Pour améliorer l’efficacité énergétique du parc ­immobilier, à quels arguments les promoteurs sont-ils particulièrement sensibles?
Pfäffli: Considérer l’énergie requise pour le fonctionnement comme une valeur décisive pour une rénovation est selon moi une méprise. Non seulement parce qu’une telle approche ne serait pas forcément la bienvenue, mais aussi parce que ce serait une erreur sur le fond. Le développement durable ne se limite pas à l’efficacité énergétique. Même si leur bilan énergétique n’est pas exceptionnel, il y a de bonnes raisons de continuer à utiliser les bâtiments existants sans les modifier. Dans la mesure où leur énergie grise est déjà amortie, une consommation d’énergie légèrement supérieure reste encore acceptable pendant un certain temps. De plus, la diminution des émissions de gaz à effet de serre est au moins aussi importante que la réduction de la consommation d’énergie. Remplacer l’installation technique du bâtiment ou adopter une source d’énergie renouvelable peuvent s’avérer des solutions simples et efficaces dans cette optique.

Qu’est-ce que cela signifie, de manière plus générale, pour le parc immobilier existant?
Pfäffli: Nous devrions l’apprécier à sa juste valeur et en prendre soin. Un aspect crucial réside dans le fait que tous les types de bâtiments ne sont pas adaptés à un remaniement ou à une rénovation. Les rangées de bâtiments filiformes des années 1940 et 1950 s’y prêtent assez difficilement : il est souvent délicat d’intervenir sur la structure et les aspects physiques des édifices. Leur construction, souvent réalisée avec un minimum de matériaux, ne permet pas non plus l’adjonction d’un étage ou d’une extension. L’assainissement de bâtiments présentant un mauvais bilan écologique et une exploitation médiocre de la parcelle s’avère souvent peu efficace.

Banz: Il n’est pas facile de trouver un compromis approprié pour les structures bâties existantes et éventuellement sous-utilisées. Nous sommes foncièrement réticents à l’idée de démolir des biens immobiliers viables, car cela se traduit par une disparition de l’habitat bon marché. Par ailleurs,
il est préférable d’exploiter pleinement le potentiel des immeubles existants. Cette solution permet souvent des loyers plus abordables qu’en cas d’acquisition de bâtiments, étant donné le niveau actuel des prix sur le marché de l’immobilier. C’est pourquoi nous privilégions toujours la recherche d’un compromis. Dans le cadre d’un projet de rénovation en cours à Zurich-Unterstrass, datant de la Gründerzeit, nous conservons deux immeubles résidentiels avec des loyers très faibles et remplaçons un petit bâtiment par une construction de volume nettement supérieur. 

Quels aspects faut-il prendre en considération dans le cas d’un remplacement par une nouvelle construction?
Pfäffli: Pour réaliser une nouvelle construction durable et économique, il convient de réduire la consommation de surface habitable. C’est la forme la plus durable d’économie d’énergie. En effet, les ressources nécessaires pour le chauffage, la ventilation et l’éclairage augmentent proportionnellement à la surface utile. Une gestion adéquate des surfaces et des espaces, satisfaisant aux prescriptions légales, peut se solder par davantage d’économies d’énergie qu’un bâtiment modèle, parfaitement isolé mais beaucoup trop grand. De plus, les bâtiments bardés de technologies sophistiquées sont plus coûteux à entretenir et plus complexes à rénover ultérieurement.

Banz: C’est vrai, les bâtiments qui n’ont que 10 ou 15 ans nous posent parfois plus de problèmes que les constructions plus anciennes. Ils sont plus complexes et intègrent davantage de technologie. Effectivement, il y a quelques années, nous avons sensiblement réduit les surfaces habitables de nos dossiers de mise au concours. Cette démarche a non seulement un intérêt écologique mais elle réduit aussi le montant global du loyer de ces logements. Globalement, on observe une recrudescence de la demande de petits appartements de surface modérée en ville.

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