Dé­bat Gehry

L'architecte Patrick Mestelan souligne l'importance du débat autour de la Fondation Louis Vuitton.

Date de publication
02-12-2014
Revision
19-08-2015

Votre dossier sur la Fondation Louis Vuitton (Tracés 21–7 novembre 2014) est remarquable et votre article est fondamental. Il s’accorde parfaitement avec la thèse de Hal Foster et avec la pétition des philosophes, artistes et écrivains à laquelle je m’associe.
Par les questions qu’elle soulève, votre revue Tracés réveille le débat architectural qui somnole dans le ronron médiatico-commercial et publicitaire de l’architecture actuelle.
La forme pour la forme règne en maître pour créer l’émotion qui suscite moult d'ébats, le plus souvent d’opinions insignifiantes au détriment de la pensée et de la raison. Vous nous offrez une parole remettant en cause les objectifs mercantiles, souvent bien camouflés sous un vernis culturel, de beaucoup de réalisations contemporaines, «l’effet Bilbao» comme le dit si bien Hal Foster. Cet effet n’infecte pas seulement les architectes, mais également les décideurs et maîtres d’ouvrages se prenant pour des démiurges et dont certains sont en manque de repères culturels.
Qu’ils ressortent du domaine privé ou public, la démesure et le mépris des règles qu’ils se sont pourtant données deviennent la marque incontournable d’une modernité, d’un dynamisme, d’un avenir florissant alors qu’il ne s’agit, comme vous le dites si bien, que de l’expression d’un capitalisme toujours plus sauvage. Le post-modernisme s’est bâti en partie sur une illusion, en réaction à celle du mythe du «plan libre». L’architecture actuelle débridée et facilitée par les techniques électroniques, comme le montre Hal Foster, loin de se sortir des carcans antérieurs, que pourraient être pour certains le postmodernisme et le modernisme, s’enferme dans une logique de la surenchère.
Le «surprenant» passe pour de l’inventivité et de l’innovation alors que ce n’est qu’un paradigme de plus de notre société qui laisse l’argent et le mauvais goût tout envahir, l’art comme l’architecture. Hal Foster termine son article par: «Cela est malheureusement vrai (l’effet Bilbao) et il se pourrait bien, (en dépit du terrorisme) qu’il y en ait bientôt jusque dans votre petite ville natale». Hélas Monsieur Foster c’est déjà le cas et quelques grands exemples l’attestent.
Parfois un sursaut critique et citoyen que d’aucuns prennent pour de la frilosité et de la petitesse peureuse s’oppose à cette abâtardisation de nos territoires, de notre culture architecturale.
Cher Monsieur, merci donc d’ouvrir ce débat.
P.S. Le fait que la fondation Louis Vuitton se soit implantée dans le bois de Boulogne est cocasse et ne manque pas de piment: L’humoriste Jacques Martin disait du bois de Boulogne «que c’était le lieu où l’on trouve des dames qui attendent l’autobus alors qu’il n’y a pas d’arrêt».

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