De la roche à la pierre

Alors que la roche marque le paysage suisse (romand), les carrières de pierre de taille encore en activité aujourd’hui sont bien peu nombreuses: tour d’horizon géologique de quelques-unes de ces exploitations.

Date de publication
20-03-2019
Revision
21-03-2019

Carrière de Villarlod (Gibloux, FR)

Cette carrière exploite depuis les années 1880 des grès à ciment calcaire, une roche sédimentaire détritique qui s’est déposée dans le Bassin molassique. Lors de la surrection des Alpes, ce bassin a récolté durant 30 millions d’années (entre -36 et -5 Ma) les produits de l’érosion de cette chaîne de montagnes en pleine croissance. Durant sa formation, la mer l’a envahi par deux fois. Cette succession d’immersions et d’émersions est clairement identifiable de par les variations qu’elles provoquent en termes de lithologie, de minéralogie et de contenu fossile.

Les grès de Villarlod se sont déposés lors de la deuxième de ces incursions marines, il y a une vingtaine de millions d’années. Fait notable de la carrière de Villarlod : les stratifications et structures caractéristiques de ce milieu de dépôt, dues aux courant marins et au flux/reflux des marées, sont quasi absentes sur une grande partie des bancs exploités, ce qui semble indiquer des conditions de dépôt très calme.

La carrière de Villarlod exploite trois faciès molassiques :

Molasse bleue : elle doit sa teinte gris-verdâtre à vert-bleuâtre à la présence de glauconite, un minéral de la famille des micas, typique de certains environnements marins. Sa granulométrie est plutôt grossière, de 0,1 à 0,8 mm.

Grès molassique : ce grès a une teinte grise et sa granulométrie est plus fine (de 0,1 à 0,5 mm) que celle de la molasse bleue.

Molasse jaune : elle doit sa teinte jaune-brunâtre à un phénomène d’oxydation qui a eu lieu après son dépôt. Sa granulométrie est beaucoup plus fine et homogène.

La faible teneur de ciment calcaire liant les grains de ces grès, semblables à du sable consolidé, le rend très sensible à l’altération chimique. Sa dissolution par des eaux acidifiées, un phénomène qu’amplifie la pollution atmosphérique urbaine, entraîne l’inexorable désagrégation de la roche, aidée en cela par la porosité relativement importante de ces roches, qui favorise les dégâts causés par la succession des cycles de gel/dégel.

Carrière de la Plane (Salvan, VS)

Cette carrière exploite depuis le début des années 1970 un conglomérat à ciment siliceux très dur, connu sous le nom de conglomérat de Vallorcine et commercialisé comme Vert de Salvan. Géologiquement, elle se situe dans le massif des Aiguilles Rouges, qui correspond à la marge sud de la plaque tectonique européenne. Si ce massif s’est soulevé il y a une vingtaine de millions d’années, lors de l’orogenèse alpine, l’âge des roches qui le constituent se compte en centaines de millions d’années. Ces roches portent les stigmates de l’orogenèse hercynienne, soit la création d’une gigantesque chaîne de montagne suite à la puissante collision continentale qui forma la Pangée, le continent unique, il y a environ 300 millions d’années. L’érosion et la tectonique des plaques poursuivant leur œuvre, ces montagnes se sont aplanies et une partie de leurs débris s’est déposée dans des fossés d’effondrement. C’est précisément là que se sont déposés les fragments de roche constitutifs du conglomérat de Vallorcine, il y a 290 millions d’années.

Le conglomérat est une roche plus grossière que le grès. Observé au microscope, il présente le même aspect qu’un béton grossier et peut se révéler bien difficile de l’en distinguer. Ses fragments – ou clastes – sont de taille pluri-millimétrique à pluri-centimétrique, ce qui indique un environnement de dépôt bien plus dynamique, comme une rivière en crue par exemple. Ils sont plus ou moins anguleux selon la distance sur laquelle ils ont été charriés. La qualité du ciment siliceux du conglomérat de Vallorcine lui confère une très grande résistance au gel et aux intempéries.

Carrière de la Molière (Estavayer, FR)

Située à Murist, la carrière de la Molière était déjà en activité du temps des Romains : une partie des vestiges de la proche Aventicum est ainsi constituée du fameux grès coquillier qu’on y extrait aujourd’hui encore.

Les grès coquilliers sont très peu communs dans les séquences sédimentaires du Bassin molassique. Ils se présentent sous la forme de lentilles discontinues, de dimensions modestes. Les structures sédimentaires qu’on y observe correspondent à celles de dunes sous-marines se formant et se déplaçant sous l’action des courants de marée. Les grès de la Molière sont, à l’échelle des temps géologiques, contemporains de ceux de Villarlod et appartiennent également à la Molasse marine supérieure.

Les propriétés de ce grès, intimement liées à l’histoire de sa formation, en font une roche particulièrement intéressante pour la construction : le mélange de sable et de coquilles de mollusques qu’elle contient est consolidé par une grande quantité de ciment calcaire, ce qui la rend particulièrement résistante à la compression, qualité essentielle pour une pierre de taille. La présence des coquilles présente un autre avantage : l’érosion différentielle entre la partie sableuse et les coquilles fait légèrement ressortir ces dernières à l’usure, conférant aux dalles et escaliers une propriété antidérapante. La résistance au gel du grès de la Molière le prédestine à la réalisation d’éléments extérieurs tels que seuils, dallages et escaliers. Ou encore, comme au temps des Romains, de tronçons d’aqueduc.

À lire

 

Couverture du livre

Steine Berns – Eine geologische Entdeckungsreise durch die gebaute Stadt

 


Toni Labhart, Konrad Zehnder, Haupt Verlag, 2018, Berne / 68 fr.

 

La vieille ville de Berne est inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, et la pierre en est un des éléments constitutifs -particulièrement marquant. Dans le premier des volumes qui constituent cet ouvrage, Toni -Labhart, ancien professeur à l’Institut de minéralogie et pétro-graphie de l’Université de Berne, et Konrad -Zehnder, collaborateur à la Commission géotechnique suisse, convient le lecteur à la découverte des roches et des carrières que l’on trouve dans les rues de Berne.

 

Le deuxième volume se présente quant à lui comme un guide architectural proposant des excursions dans les quartiers de la capitale. Les différents arrêts donnent des indications sur l’historique des bâtiments, leurs concepteurs et, bien, entendu, les pierres qu’on y trouve.

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