De 6h17 à 21h37
Ici est ailleurs
Eugène déambule à Barcelone
Puis, je repars en direction du Palais national, juché sur sa colline verdoyante. Avec sa tour coupole et ses tourelles néoclassiques, on se croirait en plein 19e siècle. Pourtant la gigantesque bâtisse a moins de cent ans ! En un éclair, je traverse l’immense Salle ovale, sans doute l’un des plus grands espaces couverts d’Europe, doté d’un orgue gargantuesque. De l’autre côté, je change de direction.
Traversant toute la ville, je plonge dans le quartier Gràcia. Je traverse la cuisine du petit appartement d’une enseignante d’espagnol, pour taper dans le miroir de la salle de bains. Puis, je rebondis de table en aluminium en lunettes de soleil et de machines à café chromées derrière le bar en cuillère à café. Sur les terrasses, tout le monde ne parle que de ça : la nouvelle maire de la ville est issue du mouvement des Indignés !
Je laisse leurs paroles pleines d’espoir derrière moi pour continuer ma route. Je ricoche contre un toit extraordinaire composé de tuiles colorées. Depuis 1906, les passants qui lèvent la tête jureraient qu’un dinosaure s’est posé sur ce bâtiment. Puis, je ricoche en direction de la plage. J’atterris sur le poisson doré long de 56 mètres, constitué de fines lamelles d’acier inoxydable. Depuis 1992, année des Jeux olympiques, le poisson toise la mer en silence. Sans doute l’une des constructions les plus réussies de toute la carrière de Frank Gehry. Comme quoi, quand il ne dessine pas de musée ni de logement
Ensuite, je prends le large. J’atterris sur le hublot d’un de ces immenses cargos qui longent la côte, en direction du détroit de Gibraltar. La surface graisseuse du hublot me fait perdre un peu de ma force, mais j’ai encore suffisamment d’énergie pour revenir en ville. Cap à l’ouest. Comme une boule de billard, je rebondis de baies vitrées en baies vitrées. J’adore le nouveau quartier des affaires. J’y passe des heures !
Une fois bien amusé, je bondis en direction de ce grand triangle bleu de 180 mètres de côté. Le Museu Blau dessiné par deux Suisses. Les façades sont comme griffées, déchirées par des plaques de métal. Le bâtiment se sépare de son socle pour offrir une vaste place publique en dessous. Les architectes ont aménagé des puits de lumière tapissés de miroirs. Profitant de cet éclairage aussi naturel que spectaculaire, une danseuse a demandé à une amie de la filmer en train de bouger. J’atterris sur une gouttelette de sueur sur son épaule droite.
Puis je continue. Je tape sur les vitres d’un tram flambant neuf, le cadran d’une immense horloge hissée sur un toit, sur une vitrine de jeans. Puis je grimpe droit dans le ciel. J’arrive sur la cabine vitrée d’une grue gigantesque, juchée à plus de 60 mètres. Elle est posée sur une cathédrale, en chantier depuis la fin du 19e siècle. Une maison de Dieu unique au monde, aux formes organiques, hérissée de tourelles colorées. Fait rarissime : l’architecte repose dans la crypte.
J’ai encore assez d’énergie pour traverser la verrière polychrome du Palais de la musique. Ici, je suis à la maison. Le toit est transparent ; les murs sont des vitraux. Je rebondis sur une colonnette de verre et je retraverse les vitraux, cette fois de l’intérieur vers l’extérieur.
21 h 37. Pour finir ma vie, je fonce vers la tour Agbar. Les 4500 LED recouvrant sa façade arrondie se sont déjà allumés : une fête bleue, rouge, rose. Je décide de m’unir à ces couleurs défiant la nuit.
Je suis la lumière de Barcelone. Et je reviendrai demain.