Dans la «ville éponge», l’eau de pluie ré­gule le cli­mat

Fortes pluies, inondations, canicules, sécheresses... des phénomènes de plus en plus fréquents en Suisse. D’où l’importance de prendre en compte les dangers naturels lors des travaux de conception et de construction. Par exemple avec le concept de «ville éponge», qui prévoit une gestion active des eaux de pluie.

Date de publication
20-06-2023
Lukas Weibel
spécialiste Communication Protection contre les dangers naturels auprès de l’AECA
Dörte Aller
météorologue, responsable Climat / Dangers naturels auprès de la SIA

En Suisse, les villes et agglomérations sont nombreuses à souffrir des chaleurs estivales et du manque d’eau pendant les périodes de sécheresse. Les journées tropicales (≥ 30°C) et les nuits tropicales (≥ 20°C) ne sont pas sans répercussions sur la santé et la qualité de vie. D’après les scénarios climatiques CH2018, les vagues de chaleur, les sécheresses estivales, mais aussi les inondations et les fortes pluies seront de plus en plus fréquentes et intenses à l’avenir. En cause: le dérèglement climatique. C’est pourquoi la SIA a publié le document de position «Protection du climat, adaptation climatique et énergie», car elle estime que la Suisse n’est pas suffisamment préparée au dérèglement climatique. En été, asphalte, béton, acier et verre réchauffent les rues et les bâtiments. L’eau de pluie ne s’infiltre pas dans les surfaces imperméabilisées, augmentant ainsi le risque d’inondation lié au ruissellement et de surcharges des canalisations. Des solutions intelligentes sont donc nécessaires pour retenir temporairement les eaux de pluie.

Absorber, retenir et restituer l’eau de pluie

D’une simplicité étonnante, le concept de «ville éponge» conjugue adaptation climatique, prévention contre les dangers naturels, protection de la biodiversité et qualité de vie, en créant des espaces urbains qui, à la manière d’une éponge, absorbent et retiennent le plus d’eau possible. En période de sécheresse, cette eau sert ensuite à approvisionner la flore urbaine et à alimenter les eaux souterraines. Des surfaces perméables végétalisées, proches de l’état naturel, capturent moins de chaleur que la plupart des surfaces imperméables et sombres. L’évaporation de l’eau et l’ombre créée rafraîchissent l’environnement. Agissant comme une climatisation naturelle dans la ville, ce concept constitue une clé de l’aménagement moderne du territoire pour combattre les îlots de chaleur. L’eau de pluie qui s’infiltre dans les sols ruissellera moins et n’encombrera pas les canalisations, autrement vite saturées lors de fortes pluies. Les infrastructures «vertes et bleues» offrent un environnement propice aux végétaux, insectes auxiliaires et autres pollinisateurs, favorisant ainsi la biodiversité et améliorant l’attractivité et la qualité de vie.

Fortes pluies: deux bâtiments menacés sur trois

Le changement climatique affecte également la pluie : plus chaud, l’air se charge d’humidité et cause en la libérant de fortes pluies, plus intenses et plus fréquentes. Ces dernières années, la grêle, les orages et les inondations ont fait de plus en plus de dégâts, mettant en évidence la nécessité d’agir. D’après la Statistique des dommages de l’Association des établissements cantonaux d'assurance, la moitié des dommages causés par des inondations seraient dus à un ruissellement de surface lié aux fortes pluies, et non à des ruisseaux, rivières ou lacs environnants. De fait, les zones ne présentant pas de danger lié à d’éventuelles eaux environnantes sur les cartes cantonales des dangers de crues peuvent elles aussi se retrouver inondées. La carte de l’aléa ruissellement, disponible depuis 2018 pour l’ensemble du territoire national, révèle même que deux bâtiments sur trois pourraient être en danger en cas de forte pluie. Ce danger induit par le dérèglement climatique constitue donc une véritable menace.

Une meilleure résilience face aux événements météorologiques extrêmes

En plus de redoubler d’efforts pour protéger le climat, nous devons tenir compte de la probabilité des dangers naturels dès la conception des bâtiments et infrastructures. Ceux-ci doivent mieux résister à la chaleur, à la sécheresse et aux inondations. La norme SIA 261/1 Actions sur les structures porteuses formule des exigences de protection visant notamment à permettre à une habitation de résister à une inondation tricentennale ou à prendre des mesures permanentes de protection. Elle ne fait pas de distinction entre un ruissellement d’eau lié à une pluie orageuse locale et une crue causée par le débordement de cours d’eau. Afin de définir une solution de conception adaptée, garantissant la protection d’un édifice en cas d’inondation, une clarification préliminaire des dangers existants s’impose : quels dangers peuvent survenir à l’emplacement prévu? Pour ce faire, la plateforme protection-dangers-naturels.ch propose un « check-up des dangers naturels » facile à réaliser. Elle fournit également des recommandations de protection des bâtiments liées à leur emplacement.

Protection contre le ruissellement lié aux fortes pluies

La protection des bâtiments contre les fortes pluies exige des mesures conceptuelles, constructives et techniques, ainsi que des modifications en matière d’affectation. En cas d’urgence, le délai d’alerte et de réaction nécessaire faisant défaut, des mesures organisationnelles ne sont pas pertinentes. Toutes les entrées de bâtiments situées en zone potentiellement inondable doivent être protégées en permanence, sans omettre de détails comme les ouvertures d’aération ou la disposition des conduits. Les bâtiments doivent donc être systématiquement conçus de manière prévoyante, basée sur les risques, sur l’ensemble de leur cycle de vie. En identifiant dès le début les risques, les échanges entre les différents spécialistes peuvent permettre d’élaborer des solutions judicieuses (comme la surélévation du rez-de-chaussée et des accès au bâtiment, combinée à un aménagement des alentours qui dévie l’eau de manière ciblée, par exemple). Pour la gestion intégrée de l’eau de pluie, il est essentiel de porter un regard au-delà des limites de la parcelle concernée et de se poser certaines questions: d’où provient l’eau ? Où peut-elle s’infiltrer ou, au contraire, s’accumuler ? Où doit-elle s’écouler ? En cas de forte pluie, il faut prévoir suffisamment de place pour permettre l’écoulement de l’eau.

Gestion intégrée des eaux de pluie

Dans son document de position, la SIA décrit les efforts à mettre en œuvre en matière de conception et de construction adaptées au changement climatique et aux dangers naturels. Un exemple tiré de la pratique : l’eau de pluie s’infiltrant dans des toits plats végétalisés, des jardins ou sur des surfaces perméables. Des volumes de stockage proches du cycle naturel, comme les fosses de plantation, retiennent davantage d’eau que les arbres de villes habituels. Ces mesures sont également applicables dans le bâti existant. L’objectif est de concevoir des infrastructures «vertes et bleues» bénéfiques pour l’environnement grâce à une approche intégrale (comme en témoignent les images). Pour réussir l’aménagement d’une «ville éponge», les travaux d’urbanisme et de planification de la mobilité doivent être coordonnés avec le Plan général d’évacuation des eaux (PGEE) et la protection contre les inondations. En prenant systématiquement en compte l’éventualité d’une surcharge en cas de forte pluie, les constructions seront plus robustes, plus écologiques et plus sûres.

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