Da­kar sur un pla­teau: jour­née dans la vie d'un «bon­homme char­rette» (Bo­rom sar­ret, Sem­bène Ous­mane, 1963)

Dernière Image parue dans Tracés n°4/2012

Le Silo, un collectif de chercheuses dédié aux images en mouvement, présente un excursus au croisement du cinéma et de l’architecture. Dans cette contribution, Silo nous emmène à Dakar, en 1963, dans un quartier interdit aux charrettes.

Date de publication
29-02-2012
Revision
01-09-2015

1963. Dakar est alors la capitale d’une toute jeune république. Un charretier modeste l’arpente en tous sens, à la recherche de la pitance quotidienne. Le matin, il quitte sa baraque au toit de zinc pour se rendre au grand marché Sandaga, les routes poussiéreuses et animées donnant lieu à l’asphalte des grandes avenues. Au nom de la solidarité, des voisins aussi pauvres que lui profitent d’une course gratuite. Au marché Sandaga tout est en mouvement : le charretier transporte des briques et des barriques, mais aussi une jeune femme sur le point d’accoucher. Arrive un griot, qui lui chante les louanges de ses ancêtres : amadoué, «bonhomme charrette» lui donne tout l’argent gagné dans la matinée. Il faut donc continuer de travailler. 
«Salam aleikoum, mon frère. Tu me conduis au cimetière  » – «Si tu paies», répond le charretier. Démarre un bien triste cortège, un homme seul suivant la charrette où il dépose le frêle cadavre d’un bébé, enveloppé d’un drap blanc. Faute des papiers nécessaires, l’homme se verra refuser l’enterrement au cimetière de la Medina. Le charretier s’en va. Un autre client l’approche : il lui demande de transporter ses meubles au quartier du Plateau. Un quartier chic, interdit aux charrettes. « Bonhomme charrette » hésite, mais le client lui tend l’argent, cet argent aussi dur à gagner et à garder. Terrifié, il ose ainsi pénétrer dans cet espace autre : un quartier aux rues propres et bordées d’arbres et aux vastes demeures blanches. Un quartier désormais habité par une nouvelle élite qui maintient, même après l’indépendance, la ségrégation spatiale de la vieille ville coloniale. La faute du charretier ne lui sera pas pardonnée. Il se verra confisquer sa charrette par un policier et le client, lui, ne payera pas sa course. Sans argent, sans nourriture et sans instrument de travail, le charretier rentre dans son bidonville un homme plus pauvre. Il traverse Dakar à pied avec son cheval, en s’arrêtant aux feux rouges et en regardant ces immeubles qu’il ne comprend pas.

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