Cons­truire au lieu de con­som­mer

Un créateur livre gratuitement ses plans à qui les lui demande

L’architecte berlinois Le Van Bo est l’inventeur de la collection de meubles Hartz IV, dont le mobilier n’est pas à vendre, mais à fabriquer soi-même. S’inspirant du design du Bauhaus, son concept de meubles autoconstruits vise le partage des expériences, la conception démocratique et l’adoption d’un comportement éco-consommateur. Il suffit de le contacter pour obtenir gratuitement les plans de fabrication.

Date de publication
16-01-2012
Revision
19-08-2015

Cultiver son potager, fabriquer ses vêtements, sa décoration d’intérieur ou ses meubles, voici des pratiques qui prouvent le succès du « faire soi-même ». L’offre sur le marché du bricolage en atteste, tout comme les magazines spécialisés, sites internet, émissions télévisées, formations et ateliers foisonnent. Comment expliquer cette tendance alors que les produits finis peu coûteux inondent le marché ? 
Il semble que cette démarche apparaît moins comme un acte de survie que comme une alternative philosophique et politique face à la société de consommation de masse et des impacts environnementaux qui en découlent. Créer un objet de ses propres mains, choisir des matériaux labellisés, produire des aliments organiques sont autant de pratiques qui suscitent une réflexion sur les besoins réels des consommateurs et remettent en cause le « tout jetable ». L’autoproduction participe tout autant à un épanouissement personnel, l’utilisateur pouvant s’investir dans la totalité du processus de construction. 

Les meubles Hartz IV

C’est dans cet état d’esprit que le Berlinois Le Van Bo a conçu une collection de meubles à construire soi-même, baptisée Hartz IV en référence au réforme allemandes Hartz réduisant les prestations sociales versées aux personnes sans emplois.
Architecte de formation, Le Van Bo travaille au sein de l’agence de design et de communication de Dan Pearlman à Berlin sur des projets de construction, un parc zoologique et des commerces.
Contacté par e-mail, Le Van Bo nous explique que l’idée de fabriquer des meubles soi-même lui est apparue par hasard et qu’il s’y consacre pendant son temps libre. Au départ, il souhaitait réaliser un fauteuil pour sa fiancée. Prétendant avoir deux mains gauches, il s’est inscrit à un cours de bricolage pour « devenir menuisier en un week-end » dans une école pour adultes. Arrivé avec une seule planche de bois et quelques sangles, il est ressorti avec un fauteuil. De fil en aiguille, quelques amis impressionnés, tant par l’élégance que par la simplicité et le bas coût de l’objet, lui demandent les détails de sa conception. Moins de deux ans plus tard, Le Van Bo aura fourni ses instructions à plus de 3 000 bricoleurs amateurs du monde entier. Internet a été un coup de pouce déterminant dans le succès de l’architecte. Ce sont des réseaux sociaux qui l’ont fait connaître, les mêmes qu’il utilise pour transmettre ses notices de construction (hartzivmoebel.de).
Sa première création, désormais connue sous le nom de fauteuil à 24 euros, se déploie maintenant au sein d’une collection complète d’ameublement d’intérieur : chaise de cuisine Kreuzberg 36, canapé-lit SiWo, table Piscator, bureau Neukoelln, étagère Beta Block, tabouret Berlin et lampe 100 Sec. Tous les plans de construction sont gratuits, les meubles facilement réalisables à l’aide de planches de bois standard et de matériel de bricolage usuel. Il faut compter un budget de 10 à 300 euros selon le modèle.

Partage et conception démocratique

La gamme de meubles Hartz IV fait référence au design classique du Bauhaus. Son fauteuil à 24 euros s’inspire de la chaise Wassily Club de Marcel Breuer (1925), des proportions d’un fauteuil d’Erich Dieckmann (1928), de la chaise Barcelone de Mies Van der Rohe (1929) et du fauteuil Crate Chair de Gerrit Rietveld (1938). Fils d’une famille de réfugiés en provenance du Laos, l’attrait de Le Van Bo pour le Bauhaus a été une façon de s’imprégner de l’identité allemande. C’est la philosophie des formes fonctionnelles de cette école qui l’impressionne le plus. Courant arstistique fondé en 1919 par Walter Gropius, le Bauhaus est souvent considéré comme le précurseur du design contemporain. Le mouvement a favorisé l’émergence d’objets esthétiquement intemporels, durables et peu coûteux. Le Van Bo observe que de nombreux éléments de mobilier du Bauhaus désormais célèbres ont été conçus par des architectes. Marcel Breuer, par exemple, a enseigné la conception de meubles à l’école du Bauhaus entre 1925 et 1928. En plus du courant allemand, Le Van Bo avoue s’être beaucoup inspiré de l’architecte et designer italien Enzo Mari, pionnier dans les meubles do it yourself, qui exposa en 1974 sa collection de meubles à la Galleria Milano. Les plans de construction étaient distribués gratuitement pendant son exposition Proposta per autoprogettazione.
Si Le Van Bo transmet également les plans libres de droits, l’obtention des notices de construction n’est pas sans contrepartie. Les intéressés sont tenus de répondre à un questionnaire pour justifier leur motivation, voire si possible lui retourner une photo de l’objet terminé. « L’accord est le suivant : je vous envoie mon plan, vous m’envoyez une histoire. Donner et prendre, une manière inspirée de l’idéologie bouddhiste pour faire bouger les gens. L’amour d’une femme est l’histoire qui se cache derrière mon premier fauteuil. Quelle est votre histoire ? J’aime lire ces histoires. Cela me donne le sentiment que je peux laisser des traces pour améliorer mon environnement. » Pour Le Van Bo, il existe une volonté de démocratiser la création. Il souhaite prouver qu’il est possible de concevoir de jolies choses accessibles à tous. 
Si les difficultés économiques liées à la crise financière ont certainement accru l’intérêt du public pour sa démarche, elles ne sont, selon l’architecte, que secondaires. Des centaines de personnes ayant construit du mobilier avec ses plans ont commencé à organiser des ateliers dans leurs quartiers, des dizaines ont réalisé des meubles pour des écoles, des hôpitaux. En Tanzanie, quelqu’un souhaitait développer une entreprise basée sur les plans de Le Van Bo pour des menuisiers sans emploi. Aux yeux de l’architecte, si ces personnes ont agi de la sorte, ce n’est certainement pas que pour économiser de l’argent, mais parce qu’ils y voient une reconnaissance. « Il y a tellement plus à offrir en réalisant un produit plutôt qu’en l’acquérant contre de l’argent : le temps, les rencontres, les compétences, de nouvelles amitiés et le sentiment irremplaçable que vous avez fait quelque chose de vraiment utile : tout le monde a besoin d’une chaise, d’un lit, d’une table. »

Eco-design

La volonté de concevoir des objets respectant les principes de la production durable est l’un des créneaux de Le Van Bo, qui dénonce les abus de la consommation et de la production de masse. En vogue comme le développement durable, l’éco-design est une démarche contemporaine visant à revenir aux sources de la création des produits : une forme simple et efficace. « Je pense que la seule manière d’obtenir un produit propre, réalisé sans le travail des enfants, sans des conditions salariales précaires, ni de matériau utilisé causant des dégâts sur l’environnement, c’est de le construire soi-même ». 
L’architecte recommande à ce propos l’utilisation du bois avec la certification FSC (Forest Stewardship Council), issu de la production durable; ou mieux encore, de recycler de vieux objets. 
Avec sa devise « construire au lieu de consommer », il souhaite inciter les gens à prendre leur vie en main et à créer avec peu de moyens de beaux objets qui participent à une meilleure qualité de vie. 

Autres projets

Le Van Bo est un homme plein de ressources. Egalement connu sur la scène hip-hop berlinoise sous le nom de Prime Lee, il est toujours en quête de nouvelles idées. Il organise des Guerilla Lounging par lesquelles il tente de rendre les espaces publics plus chaleureux et intimes en s’introduisant discrètement sur des sites comme, par exemple une station de métro. Accompagné de volontaires, il s’agit d’investir les lieux munis d’accessoires et de meubles d’intérieur construits de leurs propres mains. 
Sa collection de meubles autoconstruits Hartz IV a été présentée en juin 2011 lors du festival international du design (DMY) à Berlin, sous le nom d’appartement de rêve pour célibataire. Dit aussi appartement Hartz IV, celui-ci atteint 21 mètres carrés, coûte 1 400 euros pour les matériaux et 14 jours en temps de travail. L’exposition universelle de design à Taiwan et le Gewerbemuseum de Winterthur en 2010 ont également exposé les meubles de Le Van Bo. La prochaine étape est la conception d’une maison à fabriquer soi-même : la One Sqm-House, autrement dit la plus petite maison du monde destinée aux personnes sans domicile fixe. 
Une publication réunissant ses plans de construction, inspirations et projets divers est prévue pour juin 2012. Ce projet de « livre démocratique », comme le nomme Le Van Bo, sera une contribution qui réunira toute personne désireuse d’y participer. Il prétend qu’il n’en sera l’auteur qu’à 1% et que le reste sera fondé sur l’interaction des internautes, qu’il invite à s’exprimer sur le contenu au travers les réseaux sociaux ou par e-mail. 
Enfin, Le Van Bo nous dévoile avec enthousiasme qu’il rêve de créer une école de bricolage où des travailleurs sociaux s’associeraient à des designers armés d’un marteau et d’une scie.

 

 

Étiquettes

Sur ce sujet