Toutes les couleurs du Bauhaus
L’exposition accueillie au Mudac de Lausanne corrige quelques clichés persistants sur la fameuse école de Dessau, à l’aube de son centenaire.
L’exposition a été crée en 2017 au Vitra Design Museum de Weil am Rhein. Elle connaît aujourd’hui un certain succès à Lausanne, auprès du grand public. Si elle n’avait qu’une ambition : dissiper auprès de celui-ci l’image d’un Bauhaus froid et minimaliste. Fondé par Walter Gropius en 1919, le Staatliche Bauhaus in Weimar a en effet connu bien mauvaise presse. Trop moderniste pour son époque, il est interdit à l’Exposition des Arts décoratifs de Paris en 1925. Jugé trop « dogmatique » dans l’après-guerre, des artistes autour d’Asger Jorn critiquent son approche fonctionnaliste et proposent un contre-Bauhaus fondé sur l’intuition1. Dans les années 1980 encore, on le tient pour responsable de l’émergence d’un style international jugé « abstrait et incolore »2.
Colorée, diverse, joyeuse : l’école révélée par l’exposition du Mudac corrige immédiatement cette image rigide et ennuyeuse. Le mobilier, les tapisseries ou les jeux pour enfants réunis dans l’exposition contrastent assurément avec les clichés en noir et blanc auxquels la période nous a habitués. Les photographies des représentations créées par les ateliers consacrés aux arts de la scène (Bauhaus Bühne) présentent une vitalité délirante, presque loufoque, où hommes, formes géométriques et dispositifs machiniques composent ensemble un ballet. Un tel détournement démontre avec quelle ironie subtile l’automatisation était abordée au Bauhaus.
Il n’y a pas eu un seul Bauhaus !
L’exposition du Mudac est divisée en plusieurs sections qui montrent l’étendue des domaines abordés par l’école. L’une d’elle se concentre sur l’intérêt que porte le Bauhaus aux arts de l’espace, en réunissant des contributions dans les domaines du théâtre, de la danse, des aménagements intérieurs (papiers peints et tapisseries), mais également des réflexions poussées sur l’habitat minimal et des recherches sur l’industrialisation du bâtiment. On découvre ainsi plusieurs projets de maisons en acier développés par Georg Muche et Richard Paulick, dont un prototype a été effectivement réalisé entre 1926 et 1927.
L’exposition veut rappeler qu’il n’y a pas eu un seul Bauhaus, mais bien une multitude, tant les sections, les résultats et les caractères des Meister diffèrent pendant ses douze années d’expérimentations. Entre l’approche de Walter Gropius, centrée en 1919 sur le travail d’atelier, et celle de Hannes Meyer, qui vise à partir de 1929 à renforcer la coopération entre le designer, le scientifique et l’industrie, l’école embrasse toujours plus une réponse environnementale aux problèmes de design : elle tient compte aussi bien de la connaissance des matériaux et de la géométrie des formes, que du contexte économique, sociologique, et donc nécessairement politique – ce qui mènera à sa perte.
Les schémas pédagogiques déployés dans l’exposition, inédits ou peu connus, permettent de comprendre comment cette interaction entre les disciplines était articulée. Les textes et manifestes produits pendant toute la période attestent de la dimension révolutionnaire qui animait les Bauhäusler, au sortir de la Grande Guerre et du désœuvrement général : proposer un nouvel humanisme, des objets utiles, robustes, sobres, en réaction à la production de masse de la société industrielle.
Grâce à la remise en contexte proposée par l’exposition, le fonctionnalisme scientifique prôné par l’école, si violemment attaqué par les architectes et les artistes de l’après-guerre, prend une autre signification, qu’il est nécessaire de reconsidérer à notre époque, où affrontements sociaux et impératifs écologiques se contredisent quotidiennement. L’approche du Bauhaus continue d’ouvrir une voie fertile consistant à faire intervenir les disciplines autour des problèmes et non l’inverse.
Les commissaires ont tenté de démontrer cette filiation en présentant des projets issus du design contemporain. Signalons qu’en parallèle le Museum für Gestaltung de Zurich consacre une exposition au Social Design, qu’il rattache lui aussi explicitement au Bauhaus – bientôt centenaire, et pourtant toujours aussi jeune.
Notes
1 Kurt Schmidt avec F. W. Bogler et G. Teltscher, Das mechanische Ballett, 1923, mise en scène Theater der Klänge, 2009 (photographie O. Eltinger)
2 Alma Siedhoff-Buscher, jeu de construction Bauhaus, 22 éléments, 1923 (© Naef, photographie Heiko Hillig)
The Bauhaus #itsalldesign
Jusqu’au 06.01.2019