Chro­nique d’un été

Edgar Morin et Jean Rouch, 1960

Entre ethnographie et cinéma, le collectif Silo commente «Chronique d'un été». un film d'Edgar Morin et Jean Rouch.

Date de publication
22-02-2013
Revision
19-08-2015

«Alors Edgar, qu’est-ce-que tu penses de cette projection » Cette question inaugure la dernière séquence de Chronique d’un été, film tourné par le duo que forment Edgar Morin et Jean Rouch en 1960, entre Paris et Saint-Tropez.
Film «interrogatif», selon les termes de Morin, Chronique d’un été met à profit la légèreté du 16 mm allié au son synchrone. Avec sérieux et jubilation, les auteurs du film suivent un certain nombre de personnages – ouvriers, étudiants, starlettes, artistes ou employés dont ils enregistrent le témoignage, les échanges, dont ils accompagnent le quotidien. A quoi ressemble votre vie? Etes-vous heureux? Questions que le cinéma n’avait jamais jusqu’ici risqué aussi frontalement. 
Le film égrène des séquences qui font la part belle à une forme de spontanéité directement arrimée à la confiance qu’inspire le dispositif choisi. Ce dernier est par ailleurs régulièrement rendu visible: à différentes reprises, Rouch et Morin se filment, mettent en demeure leurs choix de mise en scène. C’est aussi par là que le cinéma non seulement se réinvente, mais renverse au passage les assises de l’enquête sociologique. 
Chronique d’un été se termine de deux façons – deux ressaisies critiques qui sont autant de commentaires sur le projet lui-même. Une première mouture du film est d’abord projetée dans une salle dont les spectateurs sont les principaux protagonistes du tournage. Leurs réactions sont filmées. Se découvrant les uns les autres, pour la première fois, à l’image, ils se chargent ainsi du premier temps conclusif du film. Leur discussion, parfois houleuse, sera intégrée au montage final. 
Dans un second temps, Rouch et Morin, seuls cette fois-ci, tirent le bilan de l’expérience. Ils se filment dans les salles du Musée de l’homme – qui accueille, depuis 1953, le Comité du film ethnographique. Les cent pas qu’ils font ensemble esquissent leur hypothèse: Chronique d’un été n’a pas tant sa place au cinéma que parmi les collections d’un musée ethnographique. Cette dernière séquence met en scène le dépôt d’une œuvre: le film s’installe symboliquement au beau milieu des vitrines du musée. 
Comme si l’expérience ne pouvait mieux trouver sa place que là, parmi les «arts premiers»: l’été parisien 1960 dialogue avec les masques Maori. 
De façon bouleversante, la salle de cinéma mène au musée ethnographique, dans une bascule temporelle et spatiale forcément signifiante. 

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