Chaos non en­core dé­chif­fré

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"Enemy", du cinéaste québécois Denis Villeneuve, prend pour décor Toronto, transformée pour l'occasion en cité cauchemardesque et aliénante

Date de publication
18-09-2014
Revision
25-10-2015

Dans Enemy (2013), Denis Villeneuve transforme Toronto en un lieu aliénant et cauchemardesque, une fourmilière de verre et de béton où les habitants peuvent littéralement changer d’identité sans que personne ne s’en aperçoive. Adam Bell est professeur d’histoire, spécialiste des régimes totalitaires. Il mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour, en regardant un film sur la recommandation d’un collègue, il aperçoit son sosie en la personne d’Antony Clair, un acteur de seconds rôles, qui lui inspire un trouble profond. 
Doté d’une écriture énigmatique et indéchiffrable, le film est lui-même troublant. Minutieusement cinématographié dans des tons jaunâtres métalliques et accompagné d’un nombre de dialogues réduits à l’essentiel, ce thriller psychologique appartient à la catégorie des Strange Movies.
Contrairement à la vision d’un Atom Egoyan (Chloé, 2009), le Toronto de Denis Villeneuve est austère et glacial. Ce dernier offre une vision menaçante de l’étalement fade et régulier de complexes d’appartements et de condominiums. Il filme les courbes des immeubles et les entrelacements des autoroutes en insistant sur l’absence de fracture distincte entre les tissus urbains et périurbains. La ville se déploie comme une toile d’araignée. Elle prolonge et reflète le psychisme de ses habitants. Le chaos schizoïde dont souffre le personnage du film est dès lors tout à la fois le symptôme et la séquelle de la profonde crise d’identité et du manque de singularité qui affectent la ville.
Librement adapté du roman Le Double (2002) de l’écrivain portugais José Saramago, Villeneuve décrit un monde en même temps familier et inquiétant, un univers tangible mais simultanément détaché et étrangement surréel. La tarentule géante qui, à la fin du film, s’approprie mystérieusement la ville, renvoie à ce double, à cet « autre » despotique et intransigeant qui, scrupuleusement dissimulé en chacun de nous, s’émancipe jusqu’à progressivement prendre la totale possession des corps et des villes qui l’ont enfanté.

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