«C’est la mul­ti­pli­cité d’in­ves­tis­seurs au sein de chaque pièce ur­baine qui gé­nère la mixité»

Complexe et expérimental, le processus d’urbanisation du plan partiel d’affectation 1 (PPA1) du futur écoquartier lausannois des Plaines-du-Loup repose sur la volonté politique de la Municipalité de créer un lieu de vie véritablement et durablement mixte. Dans cet entretien, Grégoire Junod, syndic de la Ville de Lausanne, revient sur l’idée forte du processus et aborde des sujets plus généraux comme la future commission d’architecture et d’urbanisme ou la révision du Plan général d’affection (PGA).

Date de publication
23-01-2019
Revision
24-01-2019
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Tracés : Le plan directeur localisé (PDL) des Plaines-du-Loup rompt avec l’urbanisme lausannois, traditionnelle­ment en plots, en développant des pièces urbaines sous forme d’îlots. Cette typologie permet-elle selon vous d’atteindre plus facilement les objectifs de densité et de mixités sociale, fonctionnelle et générationnelle, fixés par la Municipalité de Lausanne?
Grégoire Junod : Cette rupture est une bonne chose. Du point de vue urbanistique, c’est l’intérêt des Plaines-du-Loup. Il est possible de penser le développement urbain de la ville non plus comme un ensemble de règles générales fixées sur un bâti existant avec toutes les contraintes qui lui sont relatives, mais comme une page blanche qui donne la liberté – mais aussi l’exigence – d’imaginer le meilleur processus pour la conception d’un morceau de ville de 10 000 habitants-emplois et environ 3500 logements. Pour répondre clairement à votre question, l’îlot offre tout d’abord un développement plus harmonieux entre le bâti et les espaces publics qui forment la charpente du projet urbain. Par contre, si la densité relève en effet de la forme urbaine, la mixité, qu’elle soit fonctionnelle, générationnelle ou sociale, ne dépend pas directement de la forme urbaine ou de l’architecture. Elle relève d’abord d’une volonté politique.

Et vous l’avez imposée par le processus…
Oui et ceci dès le début. L’appel d’offres à investisseurs a intégré les questions de mixité. Avec une idée simple : pour atteindre les mixités voulues, il faut multiplier l’implication d’investisseurs dont les valeurs, les missions et les buts diffèrent. C’est ainsi que nous avons refusé des offres de consortium et ainsi limité le recours aux entreprises générales.

Nous avons exigé que chaque acteur postule seul. Une fois sélectionnés selon notre « politique des quatre quarts » (lire article p. 6 et infographie p. 12), nous leur avons alloué des m2 et avons formé des groupes d’investisseurs par îlot, toujours selon le critère de mixité. Nous avons également essayé de prendre en compte la capacité des acteurs au sein d’un même îlot à travailler ensemble.

C’est cette multiplicité d’investisseurs au sein de chaque pièce urbaine qui génère la mixité. Un investisseur privé comme Jaguar RealEstate SA n’a pas le même bassin de recrutement pour les futurs propriétaires de ses PPE que la Caisse Inter-Entreprises de Prévoyance Professionnelle (CIEPP) ou que la coopérative d’habitants La Meute. Je suis persuadé que cette diversité est génératrice de plus de mixité sociale que le simple fait d’imposer au même opérateur une clé de répartition entre logements sociaux et PPE par exemple. Finalement, le premier plan partiel d’affectation (PPA1) des Plaines-du-Loup compte 18 investisseurs différents pour environ 140 000 m2 de surface de plancher. Cela fait beaucoup d’investisseurs et il faut reconnaître que cette diversité est source aussi de complexité dans la conduite du projet. Mais c’est également la réelle originalité et innovation des Plaines-du-Loup par rapport à bon nombre d’écoquartiers en Europe ou en Suisse.

C’est tout de même un processus qui repose sur deux prérequis dont l’un est rare et l’autre aléatoire : la maîtrise foncière publique et la bonne collaboration entre des investisseurs forcés à travailler ensemble…
C’est vrai. Concernant les «mariages forcés» que nous avons effectués entre les investisseurs, il semble pour l’instant que cela fonctionne plutôt bien. Malgré des cultures parfois très différentes, l’envie de travailler ensemble fédère les investisseurs. Quant au foncier, il est indéniable qu’en Suisse, en matière d’aménagement du territoire et de conduite de projet, le fait d’être propriétaire est décisif. La municipalité de Lausanne mène une politique foncière volontariste depuis longtemps, même si les opportunités d’acquisition sont limitées... Dès 2020, cette politique va être renforcée par le droit de préemption introduit par la nouvelle loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL ou L3PL) votée en 2017.

Si la majorité des investisseurs rencontrés soulignent le caractère expérimental et novateur du processus, ils en relèvent également tous la complexité…
Nous en sommes conscients. Et nous ferons un bilan du PPA1 avant de lancer les autres plans partiels. Il y aura sans doute quelques ajustements à faire. Le concours sur la forme de chaque pièce urbaine visant à répartir les lots entre chaque investisseur est une étape qu’il nous faudra simplifier.

C’est en effet une critique souvent faite par les architectes (lire l’entretien p. 14). Dans ce domaine, la Ville s’est montrée peu innovante. Pourtant, la société simple pour la pièce urbaine E par exemple avait proposé une mise en concurrence hybride qui sortait des normes SIA 142, 143 et qui, de l’avis de certains experts, était parfaitement adaptée au projet. Elle a pourtant été refusée par la Municipalité.
C’est vrai, nous sommes restés sur des schémas classiques. C’est aussi une chose qui pourra évoluer.

Mais la Municipalité est intéressée à de nouvelles formes de concours. Sur le projet Riponne-Tunnel par exemple, nous allons mettre sur pied, en accord avec la section vaudoise de la SIA, une procédure de concours d’idée qui intégrera des usagers au sein du jury et ouvrira les délibérations au public..

Les Plaines-du-Loup ne se veulent pas seulement innovantes par le processus, mais également par le concept énergétique qui vise un quartier à 2000 watts, dont l’exploitation sera 100 % renouvelable et quasi neutre en CO2. Il mise notamment sur la géothermie à grande profondeur (800 m), qui peut s’avérer financièrement difficile à assumer pour les petits investisseurs, notamment pour les coopératives d’habitants (lire l’entretien p. 14). La Municipalité en a-t-elle conscience?
Parfaitement. Le concept est novateur et l’absence de retour sur expériences en fait un projet relativement coûteux [ndlr : selon les investisseurs, les premiers chiffres avancés seraient des charges fixes de CHF 150.– pour 100 m2]. Nous sommes attentifs à maîtriser les coûts.

Tout au long du processus, et principalement au début, la Municipalité a fait appel à des commissions d’experts externes pour construire et tester le processus. Ne serait-il pas plus avantageux et efficace de mettre en place une commission d’urbanisme permanente pour la Ville?
C’est prévu et elle devrait voir le jour cette année. Elle devra notamment nous permettre d’assurer une meilleure intégration dans le patrimoine bâti de nouveaux bâtiments ou de rénovations lourdes.

Les expériences faites sur ce PPA1 pourraient-elles avoir une influence sur la manière de penser la fabrique de la ville et sur les prochaines grandes révisions des outils d’urbanisme, je pense notamment à la révision du Plan général d’affectation (PGA)?
Elles vont certainement servir de repères pour la suite du projet Métamorphose et des Plaines-du-Loup. Concernant le PGA, la nouvelle mouture en préparation va clairement opérer un changement important dans notre manière de penser le développement urbain. Nous sommes au stade de l’analyse et de l’identification par quartier des secteurs à protéger, à densifier ou à développer. Le nouveau PGA va sortir de la logique des trois zones – faible, moyenne et forte densité – et abordera la ville de manière plus fine et plus contextuelle.

Propos recueillis par Cedric van der Poel

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