bunq: pra­tiques con­tem­po­raines du bois

Trois projets faisant usage du bois, réalisés par le jeune bureau bunq, renouvellent notre perception de ce matériau. Le bois, ancré dans la tradition constructive alpine, parvient ici à articuler un nouveau langage. Pluriel, économe, malléable, il se révèle inépuisable, au sens propre comme au sens figuré.

Date de publication
30-10-2012
Revision
01-09-2015

C’est dans un appartement transformé en bureau que les quatre associés – Laurent Gaille, Philipe Gloor, Julien Grisel et Cyril Lecoultre – de bunq architectes nous reçoivent. Ils attendent de pouvoir transformer et investir le rez-de-chaussée du même immeuble. Sorte de métaphore de leur démarche, ce lieu leur sied pourtant à merveille. Tout comme leur bureau, installé dans une habitation reconvertie en espace de production, leurs projets sont pensés pour s’adapter et évoluer au fil du temps. Les plans affichés dans le hall d’entrée, les maquettes posées sur un des plans de la cuisine, les ordinateurs rassemblés dans ce qui devait être le salon donnent l’impression de pouvoir suivre le processus de réflexion tout comme certains de leurs projets donnent à voir le système constructif, ce qu’ils appellent «la vérité constructive». L’entretien se déroule dans une pièce avec vue sur le lac et le château de Nyon, comme pour souligner que le contexte est l’une des pierres angulaires de leur démarche. A bâtons rompus, ils évoquent leur rapport au chantier, véritable lieu d’expérimentation et de dialogues. Ils abordent finalement la question des matériaux, notamment le bois, au travers de trois réalisations récentes: l’extension d’une villa à Commugny, la construction d’une maison individuelle à Sainte-Croix et le bâtiment des infrastructures à Gland. Comme cela a été souligné dans l’article sur la Villa Mayland à Sainte-Croix, «nous avons affaire ici à une architecture du partage, où chacun apporte ce qu’il sait faire de mieux, en complémentarité».

TRACÉS : Bien qu’ils diffèrent fondamentalement tant par leur programme, leur forme que par le site de construction, le point commun entre ces trois bâtiments n’est-il pas une approche paysagère particulièrement attentive ?
bunq : Il est vrai que la notion de paysage, ou plutôt de contexte, est importante dans notre démarche architecturale. Comme vous le mentionnez, nous avons affaire à trois programmes et trois sites distincts. Dans le cas de Gland, le programme regroupe divers services – des bureaux communaux, des surfaces administratives pour les associations locales et des halles dévolues à la voirie et aux horticulteurs de la Ville – sur un périmètre situé dans une sorte de zone suburbaine à caractère semi-industriel et semi-rural. Nous avons donc adopté un langage architectural proche de celui de la halle, en proposant un grand bâtiment longitudinal en limite de site, perpendiculaire aux voies ferrées et dans lequel les fonctions se succèdent (doc. 5). Les matériaux utilisés soulignent le contexte : polycarbonate ondulé et béton pour le côté industriel du site, et un grand toit plissé en bois recouvert de zinc qui évoque la vocation encore rurale de la région. 
La Villa KS se trouve dans une zone pavillonnaire classique, avec son lot de haies de thuyas pour marquer le territoire de chacun. Il ne s’agit pas d’une nouvelle construction mais d’une extension. La maison était initialement placée en diagonale sur une parcelle en forme de losange, sans lien aucun au jardin qui l’entoure. Notre démarche contextuelle a donc consisté à réorienter la Villa à l’est, lui redonnant ainsi des façades affirmées au nord et au sud qui entrent en dialogue avec le jardin (doc. 1). Afin d’étendre le bâtiment jusqu’aux limites du terrain, on a travaillé sur un piano nobile, un grand plan en rapport avec le jardin, en ajoutant deux ailes à l’empreinte de la villa originelle (doc. 2). La composition en redents de la face est de la maison – seul côté qui ne fait pas front à une haie – permet de garder une relation avec les jardins voisins tout en conservant une certaine intimité. Cette recherche des limites a engendré une forme complexe que nous avons unifiée au moyen d’un toit massif en pierre de tuf. Il représente l’identité extérieure de la maison, un monolithe imposant reposant sur un ruban de bois (doc. 3 et 4).
Enfin, la Villa Mayland fonctionne quant à elle comme un tube qui révèle ce qui entoure le bâtiment : la grande fenêtre sur le jardin et les ouvertures dans les pignons cadrent le paysage. L’espace caméléon qui peut être entièrement ouvert permet de faire corps avec l’extérieur. Le maître d’ouvrage, menuisier de métier, nous a imposé le bois pour la construction. Le langage utilisé est fortement inspiré de la cabane de jardin. Même si l’expression formelle est moins forte qu’à Commugny ou à Gland, la réflexion menée est du même ordre. La forme est, là encore, déterminée par les contextes physique, programmatique et économique.

Le bois intervient dans ces trois réalisations. Quel rapport entretenez-vous avec ce matériau ?
Soulignons tout d’abord que nous ne sommes pas des spécialistes du bois, dans le sens où nous ne l’utilisons pas de manière systématique ou exceptionnelle. Nos réalisations ne magnifient pas la structure bois par exemple. Nous utilisons ce matériau en fonction des projets et des contextes de deux manières différentes : en tant que structure et matériau de construction et/ou en tant que langage architectural particulier.
Pour la Villa Mayland, entièrement en bois, nous avons voulu marier avec bonheur une quantité d’essences différentes et ainsi rappeler le métier du maître d’ouvrage : le bois structurel est en épicéa, celui des façades en mélèze, et les finitions intérieures en érable. Le budget à notre disposition était restreint. Nous avons donc utilisé un système de construction presque archaïque permettant une économie de moyens et de mise en œuvre. La structure de la maison est conçue à partir d’éléments préfabriqués – dessinés et construits spécifiquement – dont l’assemblage sur le site a pu être réalisé presque sans aucun moyen de levage, par le maître d’ouvrage lui-même. De plus, lorsque cela était possible, nous avons couplé les éléments structurels et avec ceux de finition, comme par exemple pour les façades nord et sud en treillis. Avec ce système, nous avons atteint un coût de construction extrêmement bas, puisque nous sommes presque à 475.- fr./m3.
Pour le centre administratif de Gland et la Villa KS, qui sont loin d’être des bâtiments où le bois domine, il s’agit d’un travail de charpente et de toiture. Grâce aux moyens techniques actuels, les charpentes ont été simplifiées, et autorisent des formes de toiture beaucoup plus complexes que pour une charpente traditionnelle. Il est aujourd’hui possible de travailler avec des panneaux sandwich qui sont vissés les uns contre les autres. C’est exactement de cette façon que nous avons procédé pour le bâtiment à Gland. Pour aboutir à cette idée de grande feuille plissée en toiture permettant d’unifier toutes les fonctions, on a travaillé avec une membrane inférieure, sorte de panneaux tripli sur lesquels sont fixés des poutrelles Wellsteg qui viennent rigidifier l’ensemble. Une isolation est ensuite injectée à l’intérieur. Pour la villa à Commugny, l’approche est plus complexe puisqu’elle couple une charpente traditionnelle et une charpente en plaques. En effet, le mode constructif reste classique, faisant intervenir des pannes et des solives, mais le système statique qui régit la toiture est formé de triangles assemblés les uns aux autres sur la charpente. Ce système réduit les éléments verticaux et augmente donc le volume habitable dans la toiture.

La Villa Mayland à Sainte-Croix fait penser au bricolage dans sa définition anthropologique, notamment à la définition de Claude Lévi-Strauss pour qui le bricolage, loin d’être une notion péjorative, fait certes appel à une certaine improvisation dans la technique, à une adaptation aux matériaux et aux circonstances, aux contingences, mais consiste aussi en un travail intellectuel. Le bricolage devient alors une mise en avant du processus de production. Qu’en est-il pour les deux autres constructions évoquées ici ? 
«Bricolage» est effectivement un mot que nous avons souvent utilisé lors de la construction de la Villa Mayland. Ce fut un véritable apprentissage pour nous. Dans notre pratique quotidienne, nous dessinons beaucoup et réalisons des maquettes très précises, dans le but de parfaitement maîtriser l’objet architectural. Pour ce chantier, nous avons dû au contraire composer avec un maître d’ouvrage, entrepreneur-artisan qui, lors de la construction, a pris quelques libertés par rapport à nos plans. Cette pratique de l’autoconstruction a mis en évidence l’extrême adaptabilité du bois : il peut être ajusté, retravaillé et corrigé très facilement au cours du chantier. A Sainte-Croix, nous sommes réellement dans une démarche de vérité constructive.
A l’opposé, la Villa KS a nécessité l’utilisation de tous les moyens technologiques à disposition aujourd’hui. Afin de réaliser cette charpente complexe, nous avons dû travailler conjointement avec le dessin, la 3D et la maquette : le dessin est le langage commun partagé avec le charpentier, la maquette a permis à ce dernier de transformer les coupes et croquis en modélisation 3D, étape indispensable à la création en usine des pièces spécifiques. Nous avons également utilisé le bois pour créer une tension entre les différentes couches de ce projet : le socle en béton et le toit massif en pierres sont reliés par ce ruban de bois à l’apparence légère et qui tantôt frôle le bâtiment, tantôt s’en éloigne pour flirter avec les limites du jardins. 
C’est pour cette grande liberté d’utilisation et d’expression que le bois nous séduit. Réduire les épaisseurs en couplant couche structurelle, de finition et d’isolation, adopter un langage très massif ou au contraire très fin, se rapprochant du moucharabieh, développer des structures extrêmement complexes ou alors un système permettant l’autoconstruction ne sont que quelques exemples des possibilités offertes par le bois et que nous avons expérimentées lors de ces trois projets.

 
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