A Big­ger Splash

Faire le trajet de chez ses amis à chez lui, en nageant de piscine en piscine. C'est l'idée farfelue de Ned, héros de "The Swimmer". Le film réalisé en 1968 par Frank Perry évoque immédiatement une toile peinte un an auparavant par David Hockney: "A Bigger Splash".

Date de publication
09-07-2014
Revision
18-10-2015

Tourné en 1968, adapté d’une nouvelle de John Cheever publiée quelques années plus tôt, The Swimmer a pour décor le Connecticut. Le film décrit avec une acidité rare les modes de vie mélancoliques, alcoolisés et repus d’argent de l’upper class américaine – artistes, hommes d’affaires, intellectuels – dont il s’empare en les déshabillant. Par une après-midi ensoleillée, Ned Merrill surgit à l’écran, de dos, en maillot de bain. Il remonte un sentier à travers les arbres et atterrit sans préambule chez un couple d’amis qui boivent un verre au bord de leur piscine. L’opulence est immédiatement perceptible, ainsi que l’ennui ou la langueur d’un lendemain de fête. Donnant le sentiment de vouloir échapper à l’un comme à l’autre, Ned a cette idée de rentrer chez lui à la nage. Il ira de piscine en piscine, de voisins en voisins, d’amis en amante. Chacun est interloqué, la décision est énigmatique, mais Ned démarre sa traversée. 

Le film raconte, en jouant avec le temps réel, cette remontée sportive d’un fleuve imaginaire, incarné par une succession de piscines, objet-totem du film. Motif architectural formellement imposant, la piscine souligne la réussite sociale autant que l’enjeu hygiéniste, physique que convoque la figure du nageur. Mais le film insiste sur l’envers de ces clichés. La chaleur, les corps à moitié nus, la rencontre avec une jeune nymphette, leur promenade sous les arbres autant que leur improbable course d’obstacles : autour de la piscine s’accumule tout un registre plastique clairement anti-moderniste – que la transpiration incarne au mieux.

Une sensualité assez brutale qui répond au calme plat de ces constructions autour desquelles on se tient sans vraiment savoir quoi y faire. Burt Lancaster, qui ne quitte jamais son maillot de bain, incarne le cinquantenaire en pleine santé qui répond avec bonhomie aux questions les plus banales que lui posent les personnes qu’il croise sur sa route. Son sourire crispé indique cependant un vrai malaise : cette célébration du corps autant que la vacuité des rapports d’amitié et de voisinage révèlent progressivement une fêlure qui finit par s’imposer à la toute fin du film. 

Impossible de regarder The Swimmer sans penser à la toile de David Hockney, A Bigger Splash, qui date de 1967. Les « personnages » en sont connus : devant deux imperturbables palmiers, une maison aux lignes épurées, une piscine, un plongeoir, et un plongeon dont il ne reste que la trace – quelques éclaboussures blanches qui viennent altérer l’intensité turquoise de l’eau. Faisant clairement référence à la côte Ouest, au ciel et au soleil, A Bigger Splash explicite des questions soulevées par le film de Frank Perry : comment rompre le flegme et la sérénité, tout artificiels, qui font mine de planer sur les piscines américaines ? Autrement dit : comment perturber l’american way of life, son architecture moderniste, son chariot de boissons alcoolisées et ses couleurs acidulées ? En plongeant.

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