«Bâ­tir est tou­jours un acte com­plexe»

Bernhard Gysin est président de la Commission centrale des règlements (ZO) depuis fin avril 2023. Dans cet entretien, il nous parle des processus démocratiques ainsi que du travail de milice dans le développement des règlements SIA.

Date de publication
05-07-2023

Bernhard Gysin est partenaire depuis cinq ans dans une entreprise de management de projets de construction. Rendez-vous dans la Grosspeter Tower, jouxtant les voies de la gare de Bâle, où siège sa société. Le gratte-ciel a décroché le Prix Solaire Suisse en 2017. En effet, il s’agit du premier bâtiment à recourir au solaire sur toutes ses façades, explique Bernhard Gysin. Il réfléchit avant de parler d’une voix posée. Et son engagement en faveur de la culture du bâti se ressent dans chacune de ses phrases.

Monsieur Gysin, les délégués de la SIA vous ont élu, fin avril, président de la Commission centrale des règlements (ZO). À cet égard, toutes mes félicitations. Que retenez-vous de cet événement?

L’Assemblée des délégués s’est tenue à Bâle. Étant Bâlois, il va sans dire que j’en étais ravi (rires). Les deux coprésidents ad interim, Urs Rieder et Alain Oulevey, ont animé l’événement dans leur langue respective, l’allemand et le français. Ce bilinguisme a favorisé les échanges. J’ai trouvé les débats constructifs et engagés. J’ai surtout été impressionné par la manière dont l’assemblée est parvenue à transposer les votes positifs en décisions claires et à définir, avec toutes les personnes présentes, une marche à suivre commune. Cette rencontre entre participants de toute la Suisse, sans compter la diversité des opinions unies par le même intérêt pour la construction, cimentent la fascination qu’exerce la SIA.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous présenter à la présidence de la ZO?

En Suisse, ce sont les professionnels du bâtiment qui définissent les normes et les règlements. Ce faisant, ils font preuve d’un engagement indéfectible. Non qu’ils attendent un bonus à la fin de l’année, mais la plupart d’entre eux entendent ainsi préserver et développer le catalogue de normes et de règlements, qui sert de base à un cadre de vie durable. Définir des règles sur la base d’un consensus dans le cadre d’un dialogue qui dépasse les frontières cantonales et linguistiques est une réalité typiquement suisse. C’est ce que j’aime dans cette fonction: accompagner et contribuer à mettre en place de tels processus.

Vous parlez de «dialogue» et de «consensus» en lien avec l’élaboration des règlements dans un système de milice. Il s’agit là d’un critère de qualité. Quels sont les défis propres à ce processus?

La voie démocratique locale s’avère la meilleure option pour le développement de règlements. C’est un fait. Bien entendu, elle implique aussi des défis. La SIA est une association aux champs d’activité variés. Impossible que tout le monde partage le même avis. C’est pourquoi les discussions qui en résultent sont essentielles et doivent être menées. De tels processus demandent du temps et doivent viser un objectif commun. Et puis, à partir d’un certain moment, il faut savoir prendre des décisions, pour éviter que le débat ne s’enlise. C’est pareil en architecture: à un moment donné, je dois savoir lâcher prise et passer de la conception à la construction.

Vous pouvez vous targuer d’une longue expérience dans la direction de projets d’envergure. Les processus impliquant de nombreuses parties prenantes n’ont pas de secret pour vous...

Oui, tout à fait. Cependant, la complexité ne découle pas de la taille d’un projet. Bâtir est toujours un acte complexe qui implique de nombreuses personnes. Et c’est justement ce qui fascine dans le métier d’architecte. La profession revêt une dimension conceptuelle, mais aussi sociale. L’ouvrage vivra, dans le meilleur des cas, pendant 100 ans et deviendra partie intégrante de son environnement. C’est pourquoi il est essentiel que toutes les parties prenantes, du maître de l’ouvrage aux entreprises, en passant par les concepteurs, s’engagent ensemble pour la qualité de l’ouvrage et unissent leurs forces.

En tant que représentant de la maîtrise d’ouvrage, vous connaissez à la fois les intérêts des maîtres de l’ouvrage et des concepteurs. Pour quelles raisons est-il important de tenir compte de ces deux perspectives dans les règlements?

Intégrer les deux points de vue favorise l’acceptation. Et pour que les règlements puissent servir de référentiel commun dans la collaboration, l’acceptation est essentielle. C’est d’ailleurs ce qui les rend si précieux. Règlements SIA sur la passation des marchés, norme SIA 118 ou règlements SIA concernant les prestations et les honoraires (RPH): tous définissent le cadre dans lequel évoluent les acteurs concernés et représentent le dénominateur commun quand il s’agit de collaborer.

Vous avez également évoqué la dimension nationale. Parallèlement, vous vous engagez à l’échelon régional en tant que membre du comité de la section SIA Bâle depuis 2015...

C’est juste. Et je reste actif au sein du comité de la section. Pour moi, le contact sur place est essentiel. Je suis ainsi au courant des sujets qui préoccupent la branche dans la région et qui devront également être abordés à un échelon supérieur. Prenons par exemple la mise en œuvre concrète du réemploi: les maîtres d’ouvrage demandent toujours plus tôt des données détaillées aux concepteurs, surtout en matière de bilans carbone. Se pose alors la question de savoir comment intégrer de telles thématiques. De plus, les concepteurs ont besoin d’une base de rémunération pour cette charge de travail. Il ne faut en effet pas oublier que rémunération est synonyme d’appréciation d’une prestation.

Le changement climatique préoccupe la société, mais aussi le secteur du bâtiment. Le 18 juin, la population suisse votera sur la nouvelle loi sur l’innovation et le climat. Vous avez suivi dès la première heure un CAS sur les matériaux régénératifs. Dans ce contexte, dans quelle mesure la passation des marchés peut-elle contribuer à un cadre de vie durable?

Je suis convaincu qu’elle peut y contribuer dans une large mesure. Je conseille les maîtres d’ouvrage dans l’organisation de concours, par exemple. Ce faisant, j’essaie de motiver les mandants à préparer le terrain pour un ouvrage durable le plus tôt possible. Ils peuvent par exemple définir correctement les tâches et collaborer avec les mandataires les plus qualifiés. Et, la plupart du temps, ils en ont déjà conscience. En effet, les responsables se posent déjà la question de savoir s’il faut vraiment remplacer l’existant par une nouvelle construction ou si une rénovation ne serait pas une solution plus durable. La gestion des matériaux de construction est un autre facteur, car le bâtiment occupe une place importante dans le bilan carbone. De fait, une gestion plus réfléchie des matériaux s’avère incontournable. Quand l’utilisation du béton est-elle pertinente? Ne vaudrait-il pas mieux opter pour des matériaux alternatifs? Qu’en est-il de l’argile? Nous ne maîtrisons certes pas complètement ses propriétés physiques, mais elle fonctionne depuis 1000 ans.

La loi fédérale révisée sur les marchés publics (LMP) est en vigueur depuis janvier 2021. Les cantons suivent le mouvement. Avez-vous déjà observé des changements dans la pratique?

Pas encore. Les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne sont en train de la mettre en œuvre et ont, par conséquent, promulgué des lois correspondantes. Le nouvel AIMP devrait entrer en vigueur après l’été. Je suis curieux de voir si l’on pourra observer des changements après ça. En fin de compte, les entités adjudicatrices sont seules responsables de la manière dont elles utiliseront et profiteront des nouvelles libertés d’action. Il est simple de juger en se fondant sur le prix, car il s’agit de chiffres concrets et comparables. En revanche, évaluer des critères qualitatifs implique une justification. Il faut être capable d’affronter les voix qui contredisent ces arguments. J’espère vraiment que la politique exploitera la marge de manœuvre que la nouvelle législation lui offre encore plus concrètement qu’avant. Seule une approche holistique nous permettra d’affronter les défis comme le changement climatique.

Une dernière question pour conclure: qu’attendez-vous avec impatience de votre nouvelle fonction?

J’ai déjà eu l’occasion de participer à quelques séances de la ZO. Erich Offermann a brillé dans cette fonction, sans compter que l’organe peut se targuer d’un impressionnant savoir-faire. J’ai hâte, après cette phase de préparation, de prendre part à un débat enrichissant, ouvert et critique au sein de notre organe.

 

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