Aux ar­chi­tectes de re­prendre en main les rè­gle­ments de cons­truc­tion

Gregory Grämiger, le récipiendaire de la bourse de recherche FAS 2017-2018, lance un appel aux architectes suisses.

Date de publication
13-09-2018
Revision
18-09-2018

Avant même de commencer un projet, les contours en sont pratiquement déjà dessinés par les règlements. De la forme urbaine jusqu’aux différents éléments de construction, en passant par la volumétrie et l’usage, ceux-ci brident toujours plus la quête de solutions des architectes, qui les perçoivent à juste titre comme des « restrictions à la construction ». Il n’est donc pas étonnant que les architectes se plaignent des règlements. Pourtant, ils les acceptent. Or, les lois et les règlements ne sont pas des données naturelles, mais bel et bien des constructions culturelles. Par conséquent, ils sont modifiables; ils doivent même être constamment actualisés.

Il nous faut de bons règlements


La Suisse souffre de l’étalement urbain depuis des décennies. Le voyageur qui traverse ce pays peut ainsi se demander en bien des endroits pourquoi des constructions dispersées çà et là ont été autorisées. Ne possédons-nous pas une législation en matière de construction et des instruments dédiés à l’aménagement du territoire ? Les règlements s’apparentent toutefois, hélas, à des recettes diverses pour tenter d’atténuer des symptômes indésirables. Prises individuellement, ces mesures peuvent s’avérer judicieuses, mais ensemble elles engendrent des effets secondaires inattendus qui, loin de guérir la maladie, l’attisent au contraire.

Il faut malheureusement dire que la législation n’autorise pas seulement une densification urbaine médiocre, parfois elle la prescrit. Les règlements actuels reposent en effet sur des idéaux qui ne répondent plus aux exigences d’aujourd’hui. Au cours du 20e siècle, le modèle d’aménagement libre inspiré par l’idéal des cités-jardins et de la ville organisée par fonctions, a été traduit en articles puis légalement consolidé. Parfois, les règlements ont été révisés, dans d’autres cas ils ont été encore complexifiés par des articles supplémentaires. Mais jamais ils n’ont été évalués afin de déterminer s’ils permettaient vraiment de résoudre les problèmes aigus de l’aménagement du territoire.

Une «zone» n’est pas un «quartier»


Le constat selon lequel la législation est insuffisante en matière de construction est aussi vieux que les lois elles-mêmes. Il y a déjà plus d’un demi-siècle, Markus Kutter et Lucius Burckhardt expliquaient que « la zone ne peut être assimilée au quartier»1.  La planification des zones représente cependant la pierre angulaire de la législation suisse en matière de construction. C’est une carte pour cheminer à travers toutes les instances fédérales de l’aménagement du territoire. Ces lois sur les constructions afférentes régissent l’utilisabilité et le potentiel constructif de chaque parcelle.

«Ainsi, en cherchant à interdire la mauvaise architecture, ils condamnent en même temps l’émergence de solutions innovantes»

Or, à la complexité du monde, les plans de zones répondent par l’abstraction. Ils font respecter la moyenne. Ainsi, en cherchant à interdire la mauvaise architecture, ils condamnent en même temps l’émergence de solutions innovantes, car celles-ci n’ont pas été prises en considération lors de l’élaboration des lois. Avec ce pouvoir d’abstraction de la planification des zones, le lieu concret n’est pas pris en considération. Le plan lui-même, instrument par excellence des architectes, n’aboutit à aucun résultat concret.

Ce problème s’aggrave avec l’appellation cryptique des zones. Dans leurs noms mêmes, elles nient généralement toute référence à un lieu et toute idée d’urbanité. Des désignations telles que « zone d’habitation H4 » sont incompréhensibles, là où les habitants disent « Brünneli », « ancien stand » ou « quartier de Matten ». On peut douter qu’un consensus s’établisse autour d’identités locales avec des noms de zone aussi abstraits. De plus, ces noms sont tout à fait trompeurs. Ainsi, la zone résidentielle ne signifie pas que vous ne pouvez que vivre et habiter dans cette zone. Même les activités modérément nuisantes peuvent y trouver leur place. La zone dite « résidentielle » témoigne donc de l’idéal traditionnel de zones d’utilisations strictement séparées mais tente en même temps de prendre en compte le désir actuel de quartiers mixtes. Enfin, l’accent mis sur la construction de chaque parcelle prise individuellement se révèle également problématique dans la mesure où cela ne prend pas en considération l’aménagement des espaces extérieurs. La plupart du temps, les maisons «nagent» dans du vert, l’Abstandsgrün2 – une solution rarement convaincante, car l’architecture ne s’arrête pas aux murs extérieurs d’un édifice. Chaque bâtiment devrait au contraire être compris et conçu comme un élément d’un ensemble urbain.

Elaborer des visions, former des règlements


Les défauts des zones résidentielles n’échappent à personne en Suisse. La population s’est ainsi exprimée lors de plusieurs votations contre la poursuite du mitage du territoire. Ce souhait s’est concrétisé en 2014 par une première révision partielle de la loi sur l’aménagement du territoire, qui ne prescrit désormais plus seulement une utilisation modérée du sol, mais également un développement vers l’intérieur. Cette exigence doit être considérée comme un mandat aux architectes. À eux d’élaborer des visions convaincantes, capables d’emporter la majorité, afin de décrire ce à quoi pourrait ressembler un avenir souhaitable. Il leur faut toutefois également indiquer les pistes pour réaliser ces buts. Ce nouvel objectif suppose inévitablement de modifier les règles du jeu, autrement dit les lois sur les constructions.

«Aujourd’hui, la forme suit la règle. Demain, ce sont les règles qui devront suivre des formes exemplaires.»

Aujourd’hui, la forme suit la règle. Demain, ce sont les règles qui devront suivre des formes exemplaires. Dans le processus de développement vers l’intérieur, la planification du territoire et l’architecture ne peuvent plus être traitées séparément l’une de l’autre. Nous persistons encore à réaliser des ensembles d’habitat denses et mixtes avec des outils qui s’étaient donné à l’origine pour objectif une planification libre, ouverte et fonctionnaliste.

Nous avons besoin de nouveaux instruments. Comme la densification vers l’intérieur doit nécessairement être accomplie dans le bâti existant, ce dernier doit aussi être pris en considération par les lois sur les constructions. Nous devons abandonner la planification de zones abstraites pour adopter une planification spécifique aux quartiers. Il nous faut disposer d’outils permettant d’améliorer les qualités existantes, de créer des espaces extérieurs exploitables et de forger des identités locales. Au lieu de dimensionnements purement quantitatifs, il nous faut des objectifs qualitatifs.

Des instruments appropriés existent déjà dans le droit en vigueur comme les « zones de centres » ou les plans d’affectation spéciaux. Ils permettent de corriger la réglementation fondamentalement abstraite avec des règles liées au projet. Ils sont de plus en plus appréciés, à juste titre, car ils promettent tout de même une qualité architectonique supérieure à celle qui résulte de la simple planification de l’utilisation du sol. Ils portent d’ailleurs, des noms plus expressifs comme « zone centrale d’Enge » ou « plan d’aménagement du terrain de tennis de Rietwies », ce qui facilite les consensus et renforce l’appartenance régionale. Mais là encore, le droit applicable de la plupart des cantons ne prévoit de telles zones qu’à titre exceptionnel. Si l’exception devient toutefois de plus en plus la règle, comment se fait-il que nous ne l’érigions pas alors en loi ? Pourquoi la législation actuelle interdit-elle la prise en compte du bâti existant ou l’emploi d’instruments d’urbanisme éprouvés durant des siècles ? Pourquoi la législation en matière de construction n’est-elle généralement en mesure de faire des propositions concrètes que dans des cas exceptionnels ?

L’aménagement du territoire, devoir de l’ensemble de la société


Il serait présomptueux d’affirmer qu’il est simple de trouver la solution aux questions concernant l’aménagement du territoire ou que les architectes sont capables de résoudre tous les problèmes. Mais rien ne va non plus sans eux. Qui d’autre peut mettre en lumière les problèmes de la législation actuelle en matière de construction ? Malheureusement, ceux-ci se sont en grande partie retirés du débat politique autour de l’aménagement du territoire et ont cédé ce champ d’action aux hommes politiques et aux juristes. Le manque de connaissances et de compétences des architectes se fait hélas cruellement sentir.

La construction en Suisse est un sujet qui implique l’ensemble de la société. L’aménagement du territoire ne prend son sens et ne peut atteindre ses objectifs qu’avec la participation active de tous. Seul un discours commun sur l’environnement bâti, que nous qualifions volontiers de « culture du bâti », permettra de réorienter la politique de l’habitat vers des objectifs précis. Les architectes doivent à nouveau s’investir activement, produire des idées, ouvrir des discussions, lancer des initiatives et surtout développer les visions d’un avenir séduisant, durable et crédible. Leur implication active dans la préparation de nouvelles lois sur les constructions est indispensable.

Pour répondre à l’appel, visitez 
www.baugesetze-formen.ch

La version originale de cet article a été publiée en langue allemande dans la revue werk, bauen + wohnen, 7/8 2018. Traduction: Wulf Übersetzungen.

 

 

Notes

1    Lucius Burckhardt et Markus Kutter, Wir selber bauen unsere Stadt. Ein Hinweis auf die Möglichkeiten staatlicher Baupolitik (Nous construisons nous-mêmes notre ville. Un avis sur les possibilités d’une politique étatique de la construction), Bâle 1953, p. 41

2    L’ «Abstandsgrün» est le terme dépréciatif utilisé en Suisse allemande pour qualifier la bande de gazon qui sert généralement de séparation entre les cheminements et les socles des bâtiments d’habitation (NdE).

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