Abysse sub­ver­sif

Les Abysses, Nikos Papatakis, 1963

Le Silo explore l'adaptation libre de la pièce de Jean Genet "Des Bonnes" par le réalisateur grec Nikos Papatakis.

Date de publication
13-02-2014
Revision
13-10-2015

Avec Les Abysses, Nikos Papatakis (Addis-Abeba, 1918 – Paris, 2010) signe son premier film en tant que réalisateur. Il avait auparavant produit deux films : Un chant d’amour de Jean Genet (1950), tourné au premier étage de son légendaire cabaret «La Rose rouge», et Shadows de John Cassavetes (1959).

Nikos Papatakis s’installe à Paris à la fin des années 1930. En 1957, dépité par l’attitude de la France en Algérie, il part pour New York. De retour à Paris cinq ans plus tard, il veut produire un film pour soutenir l’insurrection du peuple algérien. Des Bonnes de Jean Genet, Papatakis ne garde que l’essentiel. Il se met alors en quête d’un réalisateur qui accepterait de transformer la trame dramatique de l’affaire Papin (dont s’inspire la pièce de Genet) en une allégorie tout à la fois des rapports maître-esclave et des outrages de la France coloniale. Mais le réalisateur en question reste introuvable. Papatakis doit se faire à l’idée de passer à l’acte lui-même.

L’intrigue des Abysses se déroule principalement à l’intérieur d’une maison. Une famille de bourgeois ruinés emploie deux domestiques (interprétées par Francine et Colette Bergé). Les deux femmes ne sont plus payées depuis plusieurs années. La maison sera bientôt vendue et les domestiques mises à la porte. En attendant, elles vivent cloîtrées dans la misère de leur huis clos délabré. Papatakis filme à la manière de l’Actors Studio. Il cherche les limites de ses personnages. Il les provoque jusqu’à l’explosion. Il les suit à travers le dédale de l’architecture intérieure. La maison représente la scène des blessures assassines: c’est le lieu d’un crime contre l’Etat de droit qui, avant de virer à la démence meurtrière, renvoie à la perversion de tout abus de pouvoir.

L’arrivée de la famille à la maison marque le début du conflit. Les domestiques se confrontent à leurs employeurs dont la fille sert de médiatrice. Autrefois considérées comme gardiennes de l’économie domestique, les servantes incarnent dorénavant un système féodal persistant aux marges de l’économie de marché. Devant l’éventualité de leur expulsion, elles rêvent d’accéder elles-mêmes à la propriété. A plusieurs reprises, avant la scène finale du crime, elles procèdent à la destruction orgiaque du patrimoine domestique. Elles se focalisent notamment sur l’espace de la cuisine (le foyer) dont l’état, après leur passage, ne peut que nuire considérablement à la valeur marchande de la propriété.

En 2003, Nikos Papatakis publie ses mémoires. Sous le titre Tous les désespoirs sont permis, il livre le récit d’une vie à l’image de son œuvre, révoltée et tumultueusement romanesque.

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