15e Bien­nale d'ar­chi­tec­ture de Ve­nise: Pour une ar­chi­tec­ture des be­soins

C’est avec des impressions positives, voire enthousiastes, que quelques membres du Comité de la SIA sont revenus de la Biennale d’architecture de Venise. Réactions et recommandations personnelles choisies.

Date de publication
14-09-2016
Revision
21-09-2016

En ligne de mire de l’édition 2016 de la plus importante exposition internationale consacrée à l’architecture, les valeurs humanistes et la poursuite du bien commun sont abordées en relation avec les grandes problématiques qui agitent le monde : urbanisation galopante, changement climatique, amenuisement des ressources naturelles. Avec l’intitulé « Reporting from the Front », Alejandro Aravena, directeur de cette 15e Biennale d’architecture, fait sciemment allusion à la pratique du reportage de guerre. L’architecte chilien, lauréat du prix Pritzker, confronte l’architecture et ses praticiens à une liste de besoins vitaux : hébergement, hygiène, sécurité, villes en état de fonctionner. En montrant nombre de lieux sous cet angle, cette 15e édition propose donc un passage en revue du « front ».

Comme l’écrit le président de la Biennale, Paolo Baratta, celle-ci doit à nouveau faire percevoir l’architecture comme un instrument au service d’objectifs sociaux et politiques et comme un bien public en mesure d’améliorer également les conditions de vie des plus démunis. Une architecture qui s’appuie aussi davantage sur les ressources disponibles. Le choix de projets opéré par Aravena pour les expositions placées sous sa responsabilité à l’Arsenal et dans le hall principal illustre avec force comment les architectes peuvent répondre aux questions actuelles les plus urgentes par des solutions innovantes et des concepts pointus.

Propos de membres du Comité SIA

Ariane Widmer Pham: « J’ai été enthousiasmée par le thème qu’a retenu Alejandro Aravena comme curateur de cette biennale. L’architecture exposée ici, faite de matériaux simples et souvent avec les moyens les plus élémentaires, relativise efficacement notre recherche d’esthétique et de perfection – et confronte notre conception de l’architecture aux besoins incompressibles. Dans cette approche basique de l’architecture, il s’agit alors de résoudre des questions du type : comment assurer l’éclairage d’une hutte lorsque l’argent pour des fenêtres manque ? La réponse est illustrée par un exemple sud-américain – une bouteille en PET remplie d’eau insérée dans une ouverture du toit diffuse la lumière à l’intérieur.

En français on parle d’architecture vernaculaire pour désigner des constructions érigées sans architecte, qui se fondent sur des savoir-faire traditionnels pour apporter une réponse au contexte social. Les projets issus de pays en développement et émergents démontrent qu’avec nos maisons Minergie-Plus, par exemple, nous avons opté pour un modèle de durabilité basé sur des techniques coûteuses. A mon sens et pour tous ceux qui, dans le monde, ne disposent que de matériaux rudimentaires, il s’agit là de l’étape qui vient après Minergie-Plus. Car nombre de maisons présentées à Venise ne comportent des ouvertures au soleil qu’aux endroits où elles sont réellement nécessaires et n’ont pas besoin d’éléments high-tech pour offrir un confort thermique à leurs habitants.

Le millésime 2016 marque une biennale d’architecture forte, parfaitement en phase avec son temps – qui nous parle d’engagement et de construction sociale. »


Eric Frei: « Le meilleur m’a paru concentré à l’Arsenal, où le curateur Aravena était personnellement responsable des contenus et de leur traitement – y compris d’une mise en espace parfaitement maîtrisée. Son parti de recycler des matériaux de la précédente biennale pour les aménagements m’a par exemple semblé convaincant et pertinent. L’exposition développe un langage percutant mais sans emphase. En dépit des problématiques sociétales et sociales inhérentes aux sujets abordés, des grands noms de la profession sont aussi à l’œuvre − mais Aravena est parvenu à ce que ces derniers s’effacent derrière leur projet en les impliquant habilement dans sa thématique.

Quant à l’installation de Kerez au Pavillon suisse, elle me frappe par son archaïsme. La structure amorphe évoque une grotte – et offre des expériences spatiales saisissantes. En même temps - et c’est paradoxal – le travail conceptuel poussé et les techniques pointues à l’origine de ce résultat organique en apparence naturel y sont indécelables. L’objet est, à mes yeux, typique des contributions suisses aux biennales : un peu prétentieux, basé sur des prémisses hautement intellectuelles et novatrices. J’ai trouvé cela très inspirant et également adapté à une biennale. »


Daniele Biaggi: «Je suis géologue de métier. A Venise, il m’est très clairement apparu pourquoi les architectes, contrairement à nous autres géologues, ne sont pas en mesure de circonscrire leur profession de façon univoque. En tant que directeur artistique de cette biennale, Alejandro Aravena est parvenu à engager le discours sur le rôle de l’architecture dans la société avec pertinence mais également de manière provocante. J’ai interprété son message ainsi : chers architectes, faites redescendre l’architecture de sa tour d’ivoire, préoccupez-vous de l’hébergement des habitants des favelas, des zones de conflit et des régions détruites par des catastrophes naturelles. C’est dans ce sens que j’ai saisi la raison pour laquelle Aravena a retenu « Nouvelles du Front » comme titre. De nombreux pays ont très explicitement répondu à la consigne, et je garde un très vif souvenir d’une hutte bâtie à partir de déchets en Inde, de la simulation ludique de bâtiments scolaires parasismiques et de lotissements de conteneurs bien conçus pour abriter des réfugiés.»

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