Deux thé­â­tres à Ve­vey

A Vevey, on vient de réaménager le Castillo et l’Oriental, deux espaces scéniques qui occupaient, chacun à sa façon, une place importante dans la vie publique de la petite ville lémanique. Les deux réhabilitations ont été réalisées par la même équipe : le bureau architecum basé à Montreux. Analyse comparée de deux projets, qui, malgré leurs différences, témoignent d’une approche et d’une sensibilité communes

Publikationsdatum
06-05-2015
Revision
09-11-2015

Le Castillo


La salle polyvalente du Castillo, située sur la place du Marché à Vevey, est inaugurée en 1908. Elle prend part à l’essor cosmopolite et urbain de la cité lacustre, lié au développement du tourisme alpin. C’est l’époque des grands hôtels, des casinos et d’une nouvelle culture du divertissement qui fait timidement son apparition. Déjà rénovée au début des années 1950, la salle, dotée de riches décors en staff, souffrait des ravages du temps. En témoigne l’échafaudage permanent qui avait été installé pour protéger le public des plâtres qui se décollaient.

La remise en état ne va pas se limiter à l’assainissement et la sauvegarde de l’ornementation. Elle prévoit la création d’un nouveau toit, qui rétablit la volumétrie de celui d’origine, maladroitement remplacé par un fronton lors d’une précédente rénovation. Elle envisage surtout la démolition du restaurant adjacent, construit dans les années 1950 : une structure à deux étages, sans intérêt, en rupture avec la volumétrie et les caractéristiques architecturales du Castillo.

Globalement, l’intervention du bureau architecum vise à renouer avec la forme initiale sans tomber dans le piège d’une rénovation à l’identique, et surtout sans s’interdire des améliorations dans la fonctionnalité et la desserte des espaces mis à disposition. Le mariage entre l’ancien et le nouveau est réussi et redonne au bâtiment une certaine actualité, sans pour autant lui ôter sa principale richesse : le travail du temps sur les boiseries, les sols et les plafonds. 

Partout où cela a été possible, les éléments anciens ont été préservés. Le fonctionnement de la salle a été nettement amélioré avec l’ajout de gradins télescopiques glissés sous le balcon ainsi que d’un système d’accrochage ajustable. Le dispositif lourd et volumineux, parfaitement dissimulé derrière les plafonds historiques, a pu être fixé sur la charpente existante. Pour donner une idée de ce que cela représente, il faut s’imaginer un gril technique, parfaitement opérationnel, caché derrière une fine couche de plâtre. Quand les projecteurs sont rangés, seuls les câbles qui tiennent les vergues tubulaires témoignent de l’existence du dispositif. 

La partie au-dessus du foyer, sous le toit rénové, est celle qui a subi les changements les plus visibles. Libéré de son usager précédent, un bar malfamé aux vitres peintes en noir, cette partie du bâtiment offre aujourd’hui deux salles de réunion lumineuses, avec des vues imprenables sur le paysage alpin. 

Finalement, ces travaux ont permis la mise aux normes thermiques et sanitaires sans avoir à sacrifier les admirables boiseries des grandes fenêtres, caractéristiques du bâtiment. Là aussi, l’essentiel des mécanismes de renouvellement de l’air a pu être dissimulé. L’image des combles, encombrés par la technique, est la face cachée d’une intervention qui a épargné la salle principale. La rénovation qui aura coûté 18 mio de francs (celle du théâtre l’Oriental a coûté 7 mio), dote la ville d’un espace fonctionnel et généreux digne de ses ambitions. Elle parvient à rétablir dans sa forme originale un édifice lié à l’histoire de la ville, sans le figer pour autant dans une reconstitution patrimoniale. Elle offre finalement un ensemble urbain dont la théâtralité renforce l’atmosphère de centralité de la place. 

L’Oriental 


Cette même fidélité à l’esprit d’un lieu, sans la lourdeur d’une restauration minutieuse, qualifie les travaux à l’Oriental. Ici, les interventions sont plus audacieuses et jouent la carte de la visibilité. Comme sur un chantier archéologique, les indices des transformations antérieures ont été préservés. Les parois de la cour couverte, dégagées des ajouts successifs, exhibent ces précieuses traces. Les espaces non lissés sont complétés par des constructions métalliques apparentes : escaliers et passerelles transforment la cour intérieure en axe de circulation vertical et traversant. 

Tour à tour lieu de culte catholique dissimulé, loge maçonnique, cinématographe de films muets, puis érotiques, l’Oriental fonctionnait depuis 2009 comme la principale salle alternative de Vevey. Sa rénovation s’efforce d’atteindre un triple objectif : produire un outil scénique de qualité dans une salle étroite
(12 m de largeur), créer des espaces de travail complémentaires de qualité ? salles de lecture, de répétition et bureaux ? et finalement dévoiler les strates d’aménagement d’un bâtiment dont l’histoire vaut le détour. 

Si la proposition souffre quelque peu du caractère démonstratif de certains choix (le non lissage vire parfois en esthétisation de la ruine), elle parvient tout de même à atteindre tous ses objectifs.

Côté salle, une solution astucieuse résout le problème de l’absence de hauteur suffisante pour réaliser une scène avec la hauteur technique requise : les gradins se terminent dans une fosse d’avant-scène, ce qui permet de faire émerger une scène tout en restant au niveau du sol. Cette fosse rend aussi possible l’acheminement des équipements stockés dans le dépôt, qui se trouve sous la scène. Ici aussi, les gradins sont amovibles.

A l’Oriental, c’est probablement le foyer qui présente le plus grand intérêt architectural. En plus des stigmates du temps qu’il expose, cet espace met en scène les circulations. Le jeu des passerelles et des escaliers pourrait être une variante contemporaine du grand escalier des théâtres du 19e siècle : un lieu qui outrepasse sa fonction pour devenir le support d’un autre spectacle, celui du théâtre de la société.

Moins visible, l’adjonction d’un demi-niveau supplémentaire sous le toit offre une salle de répétition de grande qualité, à la fois spacieuse et pourvue de lumière.

Architecum n’avait jamais réalisé de théâtre auparavant. Avec ces deux projets, le bureau fait preuve d’une grande maîtrise, et surtout d’une aptitude à concevoir des espaces scéniques en parfaite adéquation avec ceux qui vont les utiliser.

En sortant, on retrouve sur la façade les fragments d’inscriptions publicitaires successives qui ont été ramenées à la lumière du jour et stabilisées. Si l’essentiel reste caché derrière une façade qui ne se démarque pas du front de rue, cette résurgence colorée renvoie vers la rue les principes qui ont été appliqués pour la remise en état.

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