Pro­me­na­de le long d'u­ne rou­te

En 2005, le Service des routes du canton de Vaud a lancé un quadruple concours combiné d’ingénierie et d’architecture pour les quatre ouvrages d’art de la H144. Récit de la promenade d’un ingénieur civil le long du nouveau tronçon routier.

Publikationsdatum
01-10-2012
Revision
19-08-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Compte tenu des préoccupations contemporaines, l’intégration de la H144 a été longuement réfléchie.  Une promenade à pied permet de juger de la pertinence des solutions apportées.  

Envol

Une des premières particularités de la H144 concerne son orientation : en traversant l’ensemble de la Vallée du Rhône perpendiculairement à son axe, elle impose à l’automobiliste habitué à fréquenter l’autoroute A9 une appréhension inédite de ce territoire. Côté est, on accède à la H144 par un giratoire qu’on quitte en direction des montagnes vaudoises : on accède ainsi au Viaduc sur la A9 qui marque le début du nouvel itinéraire routier. Cet accès se fait lors d’une ascension accompagnée d’une rotation vers la droite au terme de laquelle on fait face aux montagnes valaisannes. En plus de souligner le changement d’orientation, cette entame procure une sensation de prise d’élan pour accumuler l’énergie nécessaire à la traversée de la vallée jusqu’à la galerie de Crébelley qu’on distingue au loin.
Au cours de cet «envol», l’automobiliste aura en outre la possibilité d’apprécier l’élégance de la courbure et la légèreté du premier des quatre ouvrages d’art qu’il rencontrera lors de son parcours vers la rive sud du Rhône. La finesse du tablier laisse deviner l’intervention de la précontrainte dans le fonctionnement statique de la structure. Le voyageur appréciera aussi l’harmonieux dessin des piles qui évoquent toutes un modèle identique, les plus basses apparaissant comme partiellement enfouies dans le sol. A noter que ces attributs esthétiques sont particulièrement bien servis par un béton présentant un fini d’une qualité supérieure à la moyenne et par la quasi invisibilité des équipements techniques. Bien que difficilement perceptible depuis la route, le dessin des culées est lui aussi remarquable.

Oeil

De ce mini-sommet, qui coïncide approximativement avec la fin de la partie courbe du Viaduc, la route se déroule tel un tapis rectiligne de plus d’un kilomètre à travers la plaine. Posée sur un talus qui la fait légèrement dominer les riches cultures de la Vallée du Rhône, la bande bitumineuse s’achève par un giratoire qui précède de peu l’entrée de la galerie couverte de Crébelley. La forme de cette dernière, qui se dessine toujours plus nettement au fur et à mesure qu’on s’en approche, n’est pas sans rappeler le contour d’un œil et s’insère de façon particulièrement heureuse dans la plaine : faite d’une voûte surbaissée qui s’associe harmonieusement au territoire qui l’accueille, elle justifie pleinement le choix du jury d’avoir exclu les variantes à parois verticales. Sur le plan technique, le très fort abaissement de la voûte suggère la nécessité statique de fermer la partie inférieure de la section (lire article sur la galerie couverte de Crébelley).

Jaillissement

Une fois cet «œil» traversé, le cadre naturel se trouve sensiblement modifié. Aux plates cultures maraîchères succède alors un paysage forestier légèrement vallonné au sein duquel le tracé, qui semble chercher un peu son chemin, devient plus sinueux. Pendant la légère courbe sur la gauche qui suit la sortie de la galerie, le regard est progressivement capté par un mur noir qui sort sur le bord gauche de la chaussée. Cet élément, qui marque la réorientation vers la droite du parcours, est le premier signe visible du troisième ouvrage ayant été l’objet d’un concours, le pont sur le Grand Canal. Servant aussi de protection anti-bruit pour le camping, ce mur semble appeller le voyageur à venir découvrir un nouveau paysage. Un peu plus loin, il est dupliqué sur le bord droit de la chaussée : sans qu’on perçoive le lieu exact de ce changement, ces deux murs deviennent les parapets de celui que tout le monde appelle déjà le «Pont noir».
Depuis la route, le pont en lui-même est quasiment imperceptible, une sensation encore accentuée par le fait que ses accès ne sont que peu marqués par des changements de pente. Associée aux revêtements bitumineux, la coloration en noir du béton est particulièrement heureuse, puisque cette unité de couleur contribue à masquer les différences fonctionnelles entre divers éléments qui n’ont fondamentalement aucune raison d’être séparés: il y a là une entité à même de garantir à la fois le franchissement d’un cours d’eau, la protection anti-bruit, le revêtement de la chaussée, voire, dans une moindre mesure, le guidage visuel. D’un autre côté, par sa teinte et ses lignes directes qui vont au-delà des limites effectives du pont, cet ensemble affirme et assume pleinement son rôle de voie de circulation. Une affirmation que l’on retrouve de façon encore plus spectaculaire lorsqu’on observe l’ouvrage depuis l’extérieur: le pont jaillit littéralement d’un côté ou de l’autre, créant un trait d’union direct et franc entre les deux bosquets d’arbres situés de part et d’autre du grand canal. Un jaillissement qu’on associe facilement à la célérité du trafic routier dans un ouvrage dont l’aspect extérieur est tout de fluidité et de spontanéité.

Ligne rouge

Le parcours se poursuit ensuite par une large courbe vers la droite accompagnée d’une légère ascension : s’approchant toujours plus de la barrière que constituent les alpes valaisannes, on sent qu’un changement de direction va être nécessaire pour quitter l’orientation inhabituelle que suivait la H144. Visible du bas de la douce montée évoquée, c’est alors le dernier ouvrage d’art, le «Pont rouge», qui se présente à nous, avec le vignoble valaisan comme toile de fond. Bien que maintenu aussi bas que possible par rapport au niveau de la plaine, cet ouvrage, contrairement à ce qui a été observé pour son collègue noir, affirme quant à lui clairement sa fonction première de franchissement. Une situation qui trouve un écho spontané dans le fait que c’est effectivement ce pont qui franchit la principale barrière physique naturelle qu’est le Rhône, lequel marque aussi la frontière entre les cantons de Vaud et du Valais.
Pour le «Pont rouge», on ose affirmer que le choix du jury d’avoir opté pour un pont sans porteurs verticaux au-dessus du tablier était bon. L’ensemble du projet de la traversée de la plaine du Rhône se caractérise par une forme aplatie qui colle autant que possible au sol et l’implantation soudaine d’éléments verticaux au-dessus du tablier, aussi discrets et limités en hauteur qu’on ait pu les imaginer, aurait certainement été déplacée. Un choix qui se paie peut-être par un caisson relativement imposant, mais sur lequel une réflexion architecturale inédite a été menée.
En effet, le «Pont rouge» se caractérise par deux éléments: la coloration inhabituelle du béton et la forme de son caisson. Le jeu retenu pour ce dernier – rétrécissement du bas au milieu des travées et élargissement sur les appuis – est particulièrement séduisant par le dessin des arêtes du caisson et des ombres qui en résultent, surtout lorsque le pont est observé depuis le dessous ou perpendiculairement à son axe. La perception de ce dessin est en revanche un peu moins convaincante lorsque la face inférieure du caisson n’est pas visible, ce qui est le cas lorsqu’on accède au pont depuis le giratoire marquant la fin de la H144 côté valaisan : de ce point de vue, la netteté des courbes qui marquent les bords supérieurs et inférieurs des parapets s’accommode parfois mal de la ligne brisée dessinée par le bas du caisson.
Au niveau de la couleur, notre jugement varie selon qu’on se trouve sur le pont ou qu’on l’observe depuis l’extérieur. Dans le premier cas, on ne retrouve pas l’extraordinaire symbiose observée sur le « Pont noir » : les parapets rouges ne convainquent pas vraiment et il y a fort à parier que la coloration souffrira de la perte de son éclat. En revanche, de l’extérieur et tout particulièrement lorsque le pont est abordé perpendiculairement à son axe, le pari consistant à dessiner une ligne rouge (« Redline » selon le titre du projet) sur le Rhône est indéniablement réussi, l’effet étant encore renforcé par le choix de la faire reposer sur des piliers noirs.

Hasard

Le retour en direction de Vaud confirme deux impressions ressenties lors du parcours en sens inverse. Tout d’abord, chacun des quatre ouvrages entretient un lien quasi visuel avec celui qui le précède ou lui succède directement : à chaque fois qu’on quitte l’un d’entre eux, le suivant nous tend les bras. Ensuite, la galerie couverte marque clairement le passage entre deux types de paysages différents: d’un côté une plaine avec une route rectiligne, de l’autre un paysage plus vallonné souligné par un tracé plus sinueux. Deux éléments fortuits qui conduisent à s’interroger sur la place du hasard dans la réussite de l’intégration d’une route comme la H144.

 

Viaduc sur l’A9

 

IngPhi, ingénieurs en ouvrages d’art, Lausanne
B+W architecture sàrl Ueli Brauen & Doris Wälchti, Lausanne
De Cérenville géotechnique SA, Ecublens  Galerie couverte de CrébelleySD Ingénierie Fribourg SA (mandat repris du bureau Perss), Fribourg
Virdis Architecture, Marly Pont sur le Grand CanalConus & Bignens SA ingénieur civil, Lausanne
Fastt architectes associés, Lausanne
Amsler & Bombeli SA Géotechnique, Genève Viaduc sur le RhôneConus & Bignens SA ingénieur civil, Lausanne
Meyer & associés architectes SA, Genève
Amsler & Bombeli SA Géotechnique, Genève