Les ar­chi­ves du bé­ton au Mu­sée su­is­se d’ar­chi­tec­tu­re (S AM)

Une exposition intitulée simplement Béton ouvrira au Musée suisse d’architecture (S AM) à l’automne 2021. Elle est le ­résultat d’une collaboration entre le musée et trois centres d’archives à Lausanne, Zurich et Mendrisio. Co-commissaire de l’exposition, Sarah Nichols revient sur les principaux enjeux.

Publikationsdatum
24-11-2021

Plus que n’importe quel autre matériau, protagoniste ou typologie, le béton fédère autour de lui l’ensemble du pays. C’est en substance ce qui est ressorti des discussions entre les partenaires de la recherche, alors que nous réfléchissions au meilleur sujet pour aborder des cultures constructives régionales disparates. Par ailleurs, la place centrale du béton dans la construction suisse est aujourd’hui une préoccupation majeure. Confrontés à la nécessité urgente de faire face à la crise climatique, les matériaux de construction sont aujourd’hui reconsidérés sous l’angle très large de leur impact environnemental, de l’extraction aux émissions de gaz à effet de serre, en passant par leur toxicité (lors de leur production et de leur utilisation) et par la gestion des déchets lors de la démolition des bâtiments. Ce projet s’intéresse donc au développement et à l’utilisation du béton comme un moyen pour comprendre l’évolution contemporaine de notre culture constructive. En évitant le récit naturalisant habituel, notre compréhension du béton est le résultat d’idées, de technologies et d’arrangements sociaux fluctuants – ouvrant ainsi la voie à un avenir du béton toujours plus éloigné de ce qu’il a été par le passé.

Les multiples facettes d’un matériau

Au regard de son omniprésence, exposer le béton est un véritable défi. Il est le matériau de construction le plus utilisé sur terre. On le trouve dans toute la Suisse, comme sur l’entier du globe ; il est employé pour la construction de bâtiments, mais aussi pour des projets d’infrastructure ; sous forme de petits éléments de maçonnerie ou de grandes structures monolithiques. Il est utilisé pour des applications high- et low-tech, par des ingénieurs et architectes mais également par des constructeurs amateurs. Est-il seulement possible de restituer dans une narration structurée quelque chose qui peut prendre presque n’importe quelle forme, pratiquement partout, et être produit par presque n’importe qui ? Des questions plus spécifiques sont également apparues, en particulier en termes d’imaginaire collectif. Alors que de nombreux architectes apprécient, voire fétichisent le béton en tant que matériau apparent, les sentiments du grand public vont de l’indifférence et du dégoût, voire du rejet de son apparence brute, aux objections éthiques fondées sur son empreinte écologique. Comment dès lors réaliser une exposition sans glorifier le matériau (une exposition qui s’adresserait exclusivement aux puristes et ignorerait les conséquences environnementales réelles de sa mise en œuvre) – ni le diaboliser – ce qui occulterait le rôle important et parfois irremplaçable qu’il joue dans des projets d’intérêt commun ? Le défi a dès lors été de penser l’exposition comme un territoire neutre dans lequel les deux positions seraient remises en question et la multiplicité du matériau serait montrée de manière à illustrer non seulement le béton mais aussi les acteurs, les procédés et les politiques qui y sont liés.

À la recherche du béton

Aussi surprenant que cela puisse paraître, trouver des archives sur le béton n’est pas aisé. De manière générale, les archives d’architecture proviennent de legs individuels : des architectes de renom font donation de leurs fonds privés ou professionnels. Même dans les cas où les pièces ont été collectionnées à partir de nombreuses sources – tel le fonds Robert Maillart conservé dans la Hochschularchiv de l’EPFZ – le matériel est classé en premier lieu par nom (auteur, donateur, organisation, etc.) et ensuite rangé par type (correspondance personnelle, plans grand format, documents de projet, etc.). Parmi les centaines de milliers de pièces composant une archive, il n’y a aucune fonction de recherche permettant de trouver toutes les entrées correspondant à un seul matériau. Il nécessite généralement un lent et méticuleux processus de ratissage de centaines de sources afin de trouver des éléments pertinents – un processus que seule permet l’expertise des archivistes. Les recherches menées pour créer l’exposition Béton ont par la même occasion révélé un biais ontologique connu mais souvent négligé des archives en faveur d’objets et d’auteurs discrets au détriment de catégories d’objets qui partagent des points ­communs, qu’ils soient matériels, temporels ou formels. Une autre limitation, plus évidente, tient au fait que les trois sources principales de la recherche sont des archives, donc des fonds constitués essentiellement de pièces qui étaient contemporaines de constructions qu’elles documentent, essentiellement des institutions dédiées à l’architecture. Aussi les nombreux registres de la construction béton – du mur de soutènement au barrage hydroélectrique, en passant par le Toblerone anti-char et le bâtiment – sont inégalement représentés dans ces fonds. Une sélection attentive du matériel issu des trois archives et d’autres sources à travers le pays a permis de s’affranchir de ce déficit et d’illustrer la diversité des applications du béton.

Béton et environnement

C’est pourtant une seconde problématique qui a été la plus difficile à articuler : les questions environnementales, qui sont d’une telle urgence aujourd’hui, n’étaient absolument pas une préoccupation à l’époque où le béton est devenu un matériau de construction répandu. Il y a très peu de matériel d’archive contemporain capable de documenter les conséquences de l’expansion du béton en temps réel. Aussi l’exposition abordera cette question de plusieurs manières, bien qu’aucune d’entre elles n’apporte encore de réponse satisfaisante. Feront également partie de l’exposition des livres et des films critiques sur le béton qui le décrivent comme menant la ville à sa ruine. L’absence de matériel additionnel sera explicitement thématisée et exploitée pour en tirer une leçon sur les principaux développements de la fin du 19e à la fin du 20siècle. La programmation annexe (conférences, visites et débats) de l’exposition servira elle aussi à montrer certains points de vue sur le matériau qui ne sont pas immédiatement accessibles dans les pièces d’archive mises à disposition, y compris sur les aspects écologiques, économiques et culturels du béton.

Au vu de ces préoccupations, l’exposition adopte une approche ouverte, offrant, au moment où nous rédigeons ces lignes, une série de neuf hypothèses qui ont été cruciales dans la façon dont le béton a été conceptualisé et utilisé, en évitant toute catégorisation ou périodisation absolues. Le travail a été mené par déduction, en construisant un argumentaire visuel autour du matériel iconographique disponible. Le résultat sera une exposition qui montre l’importance récurrente de certains thèmes, malgré les changements d’expression de ces mêmes thèmes dans le temps.

Article paru dans TRACÉS Laisse Béton, novembre 2020.

Sarah Nichols est architecte et chercheuse au gta Institut et à Rice University, Texas.

Exposition – 20.11.21-24.04.22

Béton - Musée suisse d’architecture (S AM), Bâle – sam-basel.org

L’exposition Béton, repoussée d’une année en raison de la crise sanitaire, sera le premier résultat d’une collaboration de recherche sur la construction en Suisse entre le S AM et les Archives de la construction moderne (Acm) à l’EPFL, l’Archivio del Moderno (Adm) de l’Université de la Suisse Italienne et les archives de l’Institut de théorie et d’histoire (gta Archiv) de l’EPFZ.

Commissariat: Sarah Nichols (gta/Rice University), Andreas Kofler (S AM), Yuma Shinohara (S AM) ; assistante de recherche, Ziu Bruckmann

À paraître:

Building in Concrete. Swiss Works since 1883

Salvatore Aprea, Presses polytechniques et universitaires romandes, novembre 2021

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