De l'u­ni­té d'ha­bi­ta­ti­on vil­la­geoi­se à l'u­ni­té d'ha­bi­ta­ti­on voi­si­na­ge

Dans la commune de Presinge, un audacieux projet de logements propose la création d’un éco-village en extension de son centre villageois. Genèse d’une transformation territoriale genevoise et observations au sujet du mandat d’études parallèles pour le développement du centre villageois de Presinge

Publikationsdatum
10-04-2017
Revision
14-10-2019

Pour se donner les moyens de répondre aux besoins concrets d’un bilan démographique positif, la politique genevoise du logement ne cesse de se réinventer. À Presinge, une politique territoriale à long terme a permis de découvrir il y a quelques semaines les résultats du mandat d’études parallèles -MEP- pour le développement urbain de cette commune genevoise. Au programme, un projet d’habitat coopératif et une reformulation de la place du village, qui devront reconfigurer au cours des prochaines années l’image rurale d’une commune historiquement vouée à la culture de son terroir.

Situés dans un village d’un peu plus de 700 habitants et implantés sur une parcelle publique d’environ 21 000 m2, les 140 nouveaux logements à loyer abordable, dont le tiers sera réservé aux habitants de Presinge, viendront dynamiser la centralité villageoise d’un territoire à cheval entre urbanité et campagne rurale. Un développement majeur cherchant d’une part à assurer la pérennité démographique et sociale de la région (environ 280 nouveaux résidents s’installeront dans le futur quartier), et d’autre part à profiter de ce processus de mutation pour anticiper la future identité de son cœur villageois.

Le projet lauréat conçu par l’équipe genevoise m+n paysage et architecture & Atelier Nature et paysage propose dans l’enveloppe d’une architecture discrète, la création de deux nouvelles rues constitutives du réseau d’espace public existant. Cette implantation en ‘L’, inspirée des cordons bocagers existants, offre au village un nouvel enclot bâti perméable à l’espace agricole environnant tout en recréant vers son intérieur une intensité urbaine généreuse. Le centre du village, actuellement imperceptible, s’éloigne ainsi du croissement routier de la mairie et reprend en faveur du nouvel ensemble, une position centrale adéquate aux rencontres et aux échanges spontanés.

Imaginé il y a environ une quinzaine d’années lors du lancement des études pour l’établissement d’un plan directeur communal 1, ce nouveau quartier d’habitations sera complété par un programme plus extensif d’activités, de commerces et d’équipements, et par un parking souterrain d’environ 230 places de stationnement. À terme, ce projet poursuit un nouveau modèle de développement pour attirer dans cette région de nouveaux acteurs économiques en lien avec le caractère et les valeurs du nouvel éco-village.

Imaginaire d’une nouvelle entité territoriale
Dans son traité Communauté et Société «Gemeinschaft und Gesellschaft» 2 Ferdinand Tönnies (1855-1936) établissait trois formes extérieures de vie en communauté : la maison, le village et la ville. A Presinge, ces trois formes de relations trouvent dans la structure villageoise un cadre idyllique pour satisfaire les conditions d’habitabilité d’une unité coopérative «Genossenschaft».

Ce mode de vie ou forme d’habitat vise avant tout à favoriser les relations sociales et les rencontres spontanées au sein d’une même communauté. Pour ce faire, plusieurs dispositifs sont mis en place : appartements de type clusters, espaces communs mutualisés, chambres d’amis partagées, co-voiturage, etc. Tous les automatismes de cette structure habitée doivent favoriser les échanges entre acteurs, accompagner l’évolution progressive des résidents et les encourager à s’orienter vers des activités économiques collaboratives.

En substance, cette opération immobilière favorise le partage des biens collectifs et des services communs en s’engageant prioritairement vers une réduction des besoins individuels. Cette stratégie, appliquée efficacement à ce fragment de campagne, ressemble fortement au programme et aux services proposés il y a quelques années aux habitants et coopérateurs de l’association Kalkbreite 3, ceci dit, en plein centre ville de Zürich.

Espace public ou espace coopératif?
À Kalkbreite, l’espace extérieur en forme de grande cours partagée est devenue au fil du temps un grand espace réservé à tous ceux qui participent à la gestion et à l’animation du mode de vie coopératif. Si au départ le bâtiment était voulu comme un pôle d’attraction pour tous les riverains et les passants de cette micro-cité autonome, cet espace est aujourd’hui perçu par une partie de la population qui n’y habite pas comme un «Ghetto-ssenschaft» 4

Que ce soit dans l’exemple zurichois ou le modèle genevois, les droits d’usage public ou codes de l’unité «ville» ont été progressivement remplacés par les codes de l’unité «voisinage» ou code des usages locaux 5. Dans les deux cas, la volonté de communion des objectifs partagés opère comme médiateur ou régulateur entre les relations plus ou moins spontanées du milieu coopératif.

Si ce mécanisme d’appropriation spatiale est exemplaire en termes d’habitat collectif, il soulève néanmoins une incertitude quant à la hiérarchie des environnements collectifs formé par l’ordre villageois existant et le nouveau quartier d’habitation. Est-ce que le nouveau secteur sera-t-il en mesure d’inciter et d’engager l’organisation villageoise au mode opératoire citadin ? Ou au contraire, est-ce que l’appropriation informelle de l’habitat villageois encouragera-t-elle la construction d’un espace partagé plus spontané et libre ?

Ce nouvel équilibre des espaces non bâtis, suscitera naturellement une fluctuation des occupations et des usages de ces différents types d’espaces. Une nouvelle gouvernance et de nouvelles habitudes viendront se créer. Ces lieux, ouvert à tous, viendront susciter et stimuler les habitants vers des actions où l’improvisation, ou du moins son interprétation, pourrait volontairement trouver sa place. Cette pratique, où les intérêts communautaires des uns et des autres favorise et améliorent les conditions de vie de l’ensemble, ne sera pas sans conséquences. Car pour atteindre cet objectif, il sera sans doute nécessaire de questionner ou de remettre en cause la notion même de ‘village’.

Un eco-village en campagne – modèle ou exception?
Face au modèle britannique de cité-jardin habituel des milieux suburbains en première partie du 20e siècle, l’éco-village de Presinge propose de donner vie et forme à l’étendue des activités citadines dans un environnement plus responsable et naturel que celui de la ville. En quelque sorte, le propos d’une telle entité urbaine est de récréer à l’échelle d’un quartier les avantages de l’urbain – espaces extérieurs projetés, parking privé à proximité, bornes amovibles, hiérarchies spatiales préconçues, buanderies, jardins d’enfants, etc. – et bénéficier simultanément des qualités du rural – densité basse, nuisances réduites, flux maîtrisés, milieu naturel, proximité de la campagne.

À la différence de la structure villageoise existante, fondée sur l’agriculture et la viticulture, les futurs résidents ne participent pas à la création du tissu économique du lieu de résidence. La ville, dans ce cas particulier Genève, reste le lieu de production et de travail principal. Une ville qui devient en quelque sorte la périphérie productive de ce petit village et réduit un projet urbain de cette envergure à un laboratoire expérimental d’habitabilité. Une opération qui participe amplement à la diversification des types d’habitations suggérées aux résidents genevois.

À travers une structure d’habitat flexible, ce système est en mesure d’admettre que si les territoires changent, il en va de même pour les habitudes et les coutumes des citoyens. Reste à se demander si à l’inverse les procédures à venir, notamment la rédaction d’un plan localisé de quartier, accorderont le même degré de flexibilité au projet. Et surtout si dans cette remise à l’échelle de la proposition originale, la richesse et le niveau de détail proposés, s’incrémenteront en faveur des futurs habitants du quartier.

Villages au 21e siècle – Micro polarités urbaines ou macro centralités villageoises?
A Presinge, les autorités communales, accompagnées efficacement par un collège d’experts, ont relevé le défi d’imaginer les espaces à vivre de demain en se mettant au service de l’habitat collaboratif. Une initiative d’un grand courage politique qui participe à la transformation urbaine d’un territoire nettement plus vaste, celui du bassin franco-valdo-genevois. Un territoire certes limité mais qui, au-delà des pressions urbaines exercées par les besoins sociaux, est avant tout un territoire exposé à une gouvernance partagée entre pouvoirs nationaux, cantonaux et communaux. Ce phénomène contrasté entre imaginaire et projet ou représentation et gouvernance est révélateur de l’importance stratégique que peut avoir le développement de cette nouvelle entité territoriale sur la future planification genevoise.

Si les modèles coopératifs visent à offrir un maximum de services et d’autonomie aux résidents, sommes-nous devant un nouveau phénomène de ville dortoir ? Ou au contraire, le développement des centres villageois peut-il résorber une partie des problématiques urbaines genevoises en proposant de nouveaux satellites habités attractifs ? S’agit-il d’une matérialisation de la notion de centralité suburbaine 6 ou plutôt d’un rééquilibrage démographique par le renforcement et le développement d’une nouvelle ceinture sociale solide ?

Sans perspective, aucun modèle local préconçu n’offre de réponse à un tel phénomène. C’est pourquoi les seules règles qui s’établissent et s’imposent dans le développement de ce type de territoires restent majoritairement importées du milieu urbain. Une évidence si, à juste titre, l’action est portée par le milieu qui en souffre le plus. Mais au-delà de ces indices, cette singulière opération de densification soumettra certainement les acteurs du territoire, publics et privés, à admettre au fil du temps que ce qui n’est pas au centre ne se trouve pas forcément en périphérie.