Un pe­tit Xan­a­du* bien vau­dois

Au menu de la chronique critique de Pierre Frey: le nouveau parlement vaudois qui sera inauguré officiellement le 14 avril prochain

Publikationsdatum
28-03-2017
Revision
28-03-2017

On ne saura jamais qui a mis le feu au Reichstag allemand la nuit du 27 au 28 février 1933. C’est selon toute apparence une loi du genre, les causes de l’incendie du parlement vaudois restant elles aussi floues. Ce qui par contre est certain, c’est que l’incurie et peut-être une certaine perfidie en ont aggravé les conséquences. On s’est abstenu en effet pendant de longs mois de mettre la ruine hors d’eau, soulignant pour quelque raison que ce soit la rage sournoise d’en finir avec la valeur symbolique et la charge de sens du vénérable édifice qui abritait depuis 1806 l’institution centrale de la démocratie sous notre ciel.

Sur ce terrain que les épidémiologistes diraient favorable, un conseiller d’Etat vert à l’esprit tortueux et un architecte cantonal dont ce n’était pas l’état pouvaient enchaîner les manœuvres biaises. Rappelons qu’en 1997, un concours avait régulièrement départagé les projets de rénovation du Parlement et que c’est au cours du chantier qui s’ensuivit que l’incendie s’est déclaré. On entreprit pourtant de bafouer le droit de ce marché public passé, on reprit la parole de l’Etat adjudicateur. Le géomètre et le magistrat voulaient juger un nouveau concours! Un des compères avait probablement une idée en tête; tel le Petit Poucet, il a semé des indices. Mais il entendait aussi que l’opération fût resplendissante, si bien qu’on requit tout d’abord pour présider le jury un ingénieur et magistrat à la probité sans faille. Mais on s’avisa, chemin faisant, de le rétrograder à une vice-présidence. On avait en effet entre-temps convaincu un «expat», architecte-star, Lord au royaume d’Elisabeth II et châtelain vaudois, de faire reluire ce jury. Sir Norman Foster avait inauguré en 1999 à Berlin la coupole du Reichstag qui avait été en partie reconstruit entre 1961 et 1993. Pour l’histoire de l’architecture, il est bon de mentionner que dans cette œuvre d’exception, il avait mis en évidence, en la respectant, la spécificité du bâtiment, s’inscrivant avec force et décence dans la continuité de son histoire et ménageant une dynamique d’avenir. Toutefois, dans le registre inconscient, une analyse somme toute élémentaire aurait permis de flairer les risques symboliques de ce transfert qui rapprochait deux incendies pourtant fort éloignés à première vue. 

Ce second concours, qu’aucun motif de programme ne justifiait, est à deux degrés, dont le premier donne lieu à une procédure en contestation. Les dépositions qui sont entendues laissent entrevoir des manières troublantes et révèlent un jury divisé. Division qui va perdurer s’agissant de départager les protagonistes de la combinaison gagnante qui avait été imposée au premier tour. La solution qui sort du chapeau porte pour devise «Rosebud». Elle consiste en une sorte d’extravagance provinciale, qui sera évidemment contestée, rejetée, négociée et arrangée «de sorte» et, tout compte fait, aggravée. La Cité, sauvée dans les années trente du grand projet Beaux-Arts d’Alphonse Laverrière, voit son Académie flanquée d’un parfait bonnet d’âne. Il abrite une morne caisserie de bois collé et couvre une atteinte inédite et inadmissible au patrimoine architectural, aux typologies du quartier de la Cité. Autant d’avanies qu’on tente de faire oublier en agitant quelques fétiches archéologiques. Il serait peu charitable d’imputer à l’actuel Conseil d’Etat la responsabilité de ce déconcertant cortège d’échecs. Il appartient pleinement à l’héritage de ses géniteurs, Messieurs François Marthaler et Eric Perrette.

Rosebud, c’est le nom prononcé en forme de vœu et de malédiction par le sinistre Citizen Kane du film d’Orson Welles. C’est aussi le nom d’une rivière du comté de Big Horn dans l’Etat américain du Montana. C’est en ce lieu que succomba héroïquement le général George Custer après qu’il a été trahi par des officiers félons du 7e de cavalerie des Etats-Unis. En Suisse, Google indexe cette marque comme «la référence des sex-toys». Difficile de dénicher un nom plus lourd à porter et il faut cette confiante inculture provinciale qu’on se plaît à revendiquer sous nos cieux pour placer sous de tels auspices un projet soumis à un concours d’architecture. Le règlement SIA 142 devrait s’enrichir d’un article additionnel; il interdirait sous peine d’élimination des devises renvoyant à des désastres répertoriés.

Note

 

* Résidence du personnage Charles Foster Kane dans le film Citizen Kane d’Orson Welles.

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