Con­strui­re un té­lé­phé­ri­que

Aussi rare que spectaculaire, la réalisation d’une ligne de téléphérique est captivante. Elle impose de s’adapter à des conditions de travail inhabituelles, notamment aux aléas de la météo qui rendent incertaine toute planification détaillée.

Publikationsdatum
12-11-2013
Revision
12-10-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Le positionnement des éléments porteurs d’un téléphérique dépend essentiellement du relief que la ligne doit franchir. Si l’emplacement des extrémités de la liaison est en principe choisi par le maître d’ouvrage, le choix du nombre, la hauteur et l’implantation des pylônes le long du profil répond essentiellement à des considérations géométriques que le fournisseur de l’équipement doit prendre en compte. Il s’agit en effet de garantir que les câbles porteurs suivent une trajectoire qui les maintienne à une distance suffisante du sol, ceci quels que soient la position et le chargement des cabines. Pour y parvenir, il convient de calculer les flèches les plus défavorables. Compte tenu de la dilatation des câbles porteurs (dont les extrémités sont fixées une fois pour toute), le cas le plus défavorable admet une température maximale de 30° C et une majoration de 10 % de la flèche résultant des charges dynamiques.
Dans le cas présent, et au regard de ces hypothèses, les obstacles à franchir entre Grimentz et les hauts de Sorebois ont pu l’être en limitant à trois le nombre de pylônes intermédiaires, situés à des distances respectives de 1607 m, 1799 m et 2905 m de la station aval (image). Relativement rapprochés l’un de l’autre, les deux premiers ont une hauteur respective de 54 et 52 mètres, alors que le troisième a une hauteur de 35 mètres. L’écart entre les flèches extrêmes des câbles atteint près de 40 mètres au milieu de la première portée. Une variante avec deux pylônes – un de 80 mètres de hauteur à la place des pylônes 1 et 2 – a été étudiée, mais elle n’a pu être réalisée car l’angle de déviation des câbles sur le pylône unique était trop important et ne permettait pas le passage des cabines en descente avec la garantie de l’appui correct du câble tracteur. 

Dimensionnement


Une fois le tracé fixé, les charges induites par le téléphérique sur les stations amont et aval ainsi que sur les pylônes sont calculées par le fournisseur de l’installation. Elles proviennent :
- du poids propre de la cabine vide (11 to),
- de la tension des câbles porteurs (4×110 to à la station aval et 4×160 to à la station amont),
- des charges à transporter (125 personnes de 80 kg, soit 10 to),
- du vent (80 km/h en service et des pressions correspondant à des vents quatre fois plus élevés hors service),
- du givre, des séismes, des risques d’avalanches ainsi que des diverses situations d’exploitation (mise en marche, arrêt d’urgence, etc.).
Les efforts qui résultent de ces divers éléments servent de base à l’ingénieur tant pour le dimensionnement des fondations que pour celui des structures métalliques.
L’analyse de la partie métallique (pylônes et rails de guidage des stations) est de la responsabilité du fournisseur de l’installation. C’est notamment lui qui fixe l’empattement – 15 mètres en moyenne – des pylônes et qui fournit à l’ingénieur responsable de la partie génie civil les sollicitations à prendre en compte pour le dimensionnement des composants non métalliques des stations et des pylônes.
Au niveau des stations, la masse des bâtiments et de leurs fondations doit permettre la reprise des efforts induits par la fixation des quatre câbles porteurs et garantir leur stabilité au renversement et au glissement (image 1 et 2). Les stations accueillent ainsi des « fromages » qui servent à la fixation des câbles porteurs : il s’agit de quatre tambours d’ancrage circulaires en béton d’un diamètre de 4.5 mètres, qui sont protégées par une couverture en bois et autour desquels les câbles sont enroulés (image). Ces derniers, qui ont chacun à reprendre une tension atteignant quelque 160 to à proximité de la station amont, sont des câbles clos d’un diamètre total de 68 mm qui pèsent 25.6 kg/m. Ils sont constitués de 197 fils répartis en dix couches et leur charge de rupture est de 510 to, ce qui correspond à un facteur de sécurité supérieur à trois. Ils accueillent en outre une fibre optique dans un tube de 2.5 mm de diamètre qui assure la transmission des données de commande entre les stations (image).
Les trois pylônes reposent sur des fondations composées de quatre blocs en béton d’un volume de près de 70 m3 chacun (image 1 et 2). Ces fondations doivent retransmettre au sol les charges mentionnées précédemment. L’ingénieur doit vérifier la résistance au renversement global et au glissement de chaque socle de fondations ainsi que celle du pylône dans son ensemble. Pour le premier d’entre eux, les conditions géologiques défavorables ont compliqué les travaux. Les éboulis grossiers repérés en surface avaient en fait une épaisseur de 4 mètres. De 4 à 10 mètres, on s’est trouvé en présence de permafrost formé d’éboulis cimentés par de la glace. Il a ainsi fallu ancrer les socles de ce pylône. Exécutés dans un terrain fortement fracturé (présence de quartzite entre 12 et 14 mètres) sur une longueur de 16 mètres, les ancrages ont posé bien des soucis à l’entreprise et au géotechnicien.
L’hétérogénéité du sol a imposé le tubage de tous les forages. Chaque socle ayant été muni de six ancrages précontraints, près de 400 mètres de forages ont ainsi été réalisés pour assurer la stabilité à long terme du pylône. Les quantités de coulis d’injection ont été deux à trois fois supérieures à la moyenne. Afin de surveiller le comportement du massif à long terme, le site a été instrumenté avec deux extensomètres et un inclinomètre.

Travaux dans des conditions inhabituelles


La spécificité des travaux tient naturellement au cadre inhabituel dans lequel ils se déroulent. Si l’adaptation de la station inférieure à Grimentz se fait dans des conditions relativement traditionnelles, il n’en va pas de même pour la construction de la station supérieure de Sorebois ou celle des pylônes intermédiaires. Tout d’abord, le planning de ces chantiers dépend fortement des conditions météorologiques. Situé à une altitude avoisinant les 2700 mètres, le chantier sur les hauts du domaine skiable de Zinal a ainsi dû être interrompu d’octobre 2012 à mi-mai 2013 à cause de la neige. Au niveau de l’organisation, on a dû y monter – dans les deux sens du terme – deux grues, une centrale à béton avec des silos à ciment. Plus de 1000 m3 de gravier à béton y ont été acheminés par camions depuis la vallée, en empruntant une route d’alpage qui croise les pistes de ski sur les derniers kilomètres.
Difficilement accessibles avec des véhicules, la situation est encore plus délicate pour les chantiers des pylônes. Des baraquements avec logement y ont été aménagés pour les ouvriers chargés du montage des structures métalliques. Les transports, qu’il s’agisse du matériel ou des ouvriers, se sont faits principalement par voie aérienne : sur la durée du chantier, plus de 5000 rotations héliportées auront été effectuées. Pour les fondations des pylônes, quelque 1000 m3 de béton ont été livrés par hélicoptère, à raison de 250 litres par rotation. En plus de devoir s’intégrer dans des fenêtres météorologiques favorables, le balai aérien des hélicoptères a dû être coordonné avec celui des camions qui assuraient la livraison du béton depuis la plaine.
Pour les pylônes, un hélicoptère plus puissant (type Kamov) disposant d’une charge utile de 4 to a été utilisé (image). Le transport des structures métalliques (350 to) a nécessité plus de 100 rotations avec ce gros porteur. La construction in situ des pylônes s’effectue à l’aide d’un mât de montage provisoire de 30 mètres de haut. Pour la première étape, son pied repose sur le sol et sa stabilité est assurée par des haubans (image). Une fois cette étape achevée, le mât de montage est déplacé de 15 mètres vers le haut pour être fixé par des câbles à la partie déjà construite du pylône : il dépasse celle-ci d’une hauteur de 15 mètres sur laquelle la suite du pylône est montée.

 

Coûts

Coût de l’installation : 16.5 mios. 
Coût des travaux annexes (gares de départ et 
d’arrivée, génie civil pour pylônes, locaux administratifs, constructions annexes) : 13.5 mios.

 

Dates principales

Juillet 2010: accord de principe des deux assemblées générales de Remontées mécaniques Grimentz SA et Zinal SA d’étudier une liaison entre les deux domaines skiables.
23 août 2012: octroi de la concession par l’Office fédéral des transports. Démarrage du chantier.
Décembre 2013: mise en service.

Verwandte Beiträge