ar­chi­tec­tu­re in­cré­men­ta­le

Largement diffusée depuis l’obtention du Lion d’argent à la 11e Biennale d’architecture de Venise, l’initiative chilienne Elemental méritait qu’on s’y attarde: c’est chose faite avec l’ouvrage homonyme paru en 2012 aux éditions Hatje Cantz.

Publikationsdatum
17-01-2013
Revision
23-10-2015

Ce projet d’habitat social extensible repose sur une prise en charge par le futur habitant d’une partie non négligeable de la construction. Si l’idée de départ a tous les attributs d’un rêve d’étudiant, la mise en œuvre fait preuve d’un savoir faire exemplaire, impliquant des architectes, des ingénieurs, des spécialistes en financement et des juristes. Elemental se veut une tentative de refonte radicale du principe qui régit l’acquisition et l’occupation des logements sociaux en Amérique latine.
Ses concepteurs peuvent se vanter aujourd’hui non seulement d’avoir mené à bout leur projet, mais surtout d’avoir déclenché un processus qui a pu se décliner en une vingtaine d’expériences distinctes, au Chili et ailleurs.
En 2004, lors du lancement du premier ensemble à Quinta Monroy, l’équation qui se posait était la suivante: comment faire pour augmenter la qualité et la superficie de l’espace habitable des logements sociaux, tout en tenant compte des faibles ressources des futurs habitants ? Comment faire plus et mieux sans augmenter le coût de production ? L’habitat social de base, qui remplace souvent des quartiers informels, est constitué de très petites maisons individuelles. Celles-ci souffrent de deux défauts chroniques : l’éloignement croissant des centres urbains pour bénéficier des terrains les moins chers, et les extensions anarchiques faites par les occupants en besoin de plus d’espace. 
Face à cette situation, la solution ne tarde pas à se dessiner: ne réaliser qu’une partie de l’habitation (le gros œuvre, l’aménagement global, l’eau, l’électricité), en laissant à l’occupant le soin de finaliser la réalisation. Au lieu de s’opposer à l’instinct des habitants d’agrandir leur maison, Elemental leur offre de la place pour qu’ils puissent s’épanouir. L’envie et le besoin de transformer son habitat sont mis à contribution : l’habitant devient ainsi un des acteurs de l’aménagement de son cadre de vie. 

Une maison extensible


En partant du constat que les besoins des familles ne cessent d’évoluer, et en observant la difficulté d’agrandir des lotissements standard, les architectes vont se lancer dans la conception d’un module qui anticipe l’extension au lieu de la subir. Chaque lotissement comporte une partie creuse, facilement aménageable. Libre ensuite à l’habitant de choisir quand il va entreprendre l’extension de son logement. Libre à lui aussi de choisir les matériaux ou la forme des ouvertures pour les nouvelles pièces. La structure initiale garantit une certaine homogénéité et surtout la qualité structurelle de ce qui pourra être fait dans l’espace prévu à cet effet. Il n’y a pas moyen d’empiler, ni de construire des pièces sans ouverture. Le projet établit ainsi les bases pour une expansion raisonnée de l’espace habitable. Il permet également une appropriation par chaque habitant de son lieu de vie. La façade devient le support d’inscription de la particularité de chaque famille.
Le projet parvient ainsi à décupler tant l’espace que la valeur des lotissements proposés. Il répond à un défaut chronique du logement social: sa perte progressive de valeur.
L’habitant-acquéreur devient dès lors le principal responsable du maintien de la valeur de son bien. Si le projet pilote (Quinta Monroy) semble un peu trop paramétré à la réalité sud-américaine (le coût total des premières maisons ne dépasse pas Fr. 7000.-), les versions qui lui ont succédé démontrent que le principe peut se décliner sur des projets aux standards plus élevés.

Transformer pour maintenir la valeur 


L’idée de rendre une construction évolutive, c’est-à-dire transformable par l’usager, pourrait constituer une solution pour résoudre les difficultés liées à la gestion du parc de logements sociaux en Europe. Comme au Chili, l’habitat social dans les pays qui en ont construit massivement (France, Italie, Pays-Bas), souffre d’une perte endémique de la valeur du bien. C’est la fameuse paupérisation qui hante les lotissements sociaux, qu’ils soient loués ou en accession. Et si la valeur décline, c’est tout simplement parce que le bien ne peut pas évoluer. 
C’est sur ce dernier point que l’expérience chilienne pourrait servir de modèle en Europe: elle pourrait contribuer à développer des stratégies pour maintenir la valeur foncière des biens immobiliers dans des zones en déclin. La solution serait donc d’accorder une marge de manœuvre à chaque habitant, qu’il soit locataire ou propriétaire, pour transformer son logement. 
Le fait même de pouvoir transformer sa maison ou son appartement en augmenterait la valeur. Un appartement trop petit ou inadapté pourrait ainsi redevenir approprié aux nouveaux besoins de ses occupants. Transformable, il gagnerait en attractivité en cas de vente ou de changement d’usage. 
Des appartements que l’on pourrait diviser, aux extensions que l’on s’amuserait à plugger sur la façade d’une immeuble, les perspectives ouvertes par le concept chilien sont inépuisables.

 

Elemental. Incremental Housing and Participatory Design Manual

Alejandro Aravena, Andrés Iacobelli, Hatje Cantz Verlag, Ostfildern, 2012, anglais/espagnol / € 49

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