Su­per Con­stel­la­ti­on

L’influence de l’aéronautique sur les arts et la culture

Publikationsdatum
16-07-2013
Revision
10-11-2015

Peut-on vraiment parler de réciprocité en ce qui concerne les influences entre la création artistique et la technologie? Le flux n’est-il pas à sens unique, l’art s’inspirant plus facilement des évolutions scientifiques que la science des mouvements artistiques? A en croire Christophe Asendorf, rien n’est moins sûr que ce poncif. 
C’est le point de départ de son ouvrage sur l’influence de l’aéronautique sur les arts et la culture. Partant des premiers vols en dirigeable pour arriver à la conquête spatiale, Asendorf établit que les influences entre ingénierie, stratégie militaire, architecture, philosophie, art et cinéma sont plus réciproques qu’on ne le croit. Elles constituent même un véritable réseau d’idées et de pratiques qui traversent les disciplines. 
Dans la plus grande tradition de la Kultur-wissenschaft germanique, « Super Constellation » s’appuie sur l’évolution de l’aéronautique pour appréhender l’histoire des techniques et l’histoire de l’art du 20e siècle comme un ensemble cohérent. Persuadé que la conquête du ciel est un des chantiers déterminants de la modernité, Asendorf pousse le raisonnement à ses limites. Il parvient à rendre intelligibles des concepts transdisciplinaires capables de générer dans des contextes très différents des évolutions similaires.
Cette concordance entre des champs de savoir distincts serait le fait du Zeitgeist (esprit du temps) aéronautique. Dans l’avant-propos, Angela Lange prend soin de nous rappeler que les sujets appréhendés dans cette optique perdent leur singularité pour devenir des représentations propres à une société ou une époque donnée. Le recours au Zeitgeist, plutôt qu’à l’historiographie conventionnelle, permet de réunir dans une même trame de lecture la production technique et les avancées esthétiques et culturelles. Cette méthode, Angela Lange l’impute au bâlois Jacob Burckhardt qui proposait en 1860 d’élargir l’histoire de l’art à la vie quotidienne pour appréhender les choses dans leur totalité. 
Au-delà des détournements et reconversions (l’industrie du meuble qui récupère dans les années 1950 les innovations de l’industrie aéronautique), au-delà également des influences conscientes (l’art qui s’inspire de la vue aérienne pour exprimer le catapultage de l’homme moderne dans son nouvel environnement décentré), il y aurait un esprit de l’époque en perpétuel réajustement, capable non seulement de produire des représentations, mais aussi de stimuler l’évolution dans son ensemble. L’ouvrage d’Asendorf regorge d’exemples qui vont dans ce sens : des développements parallèles, synchrones mais non prémédités, imputables au Zeitgeist. 
L’application à partir des années 1930 de nouvelles techniques de construction en coque, dans les domaines de l’architecture et de l’aéronautique, serait un bel exemple. Le principe qui régit les toitures géodésiques de Pier Luigi Nervi est similaire à celui qui conditionne l’évolution des carlingues d’avions. L’un et l’autre travaillent sur les diagonales entrecroisées, « courbées selon la forme de la surface et disposées dans la direction de la plus forte tension de torsion ».
Pendant que les ingénieurs s’efforcent de concevoir des grands abris en limitant les appuis à l’intérieur du bâtiment, le génie aéronautique s’efforce d’alléger et d’agrandir les carlingues d’avions, en réduisant les armatures volumineuses. La réponse scientifique à ces deux défis se sert du même principe : c’est la « peau » (et pas seulement l’ossature) qui doit garantir sa propre cohésion, statique pour une toiture, mécanique pour une carlingue. L’enjeu du travail d’Asendorf consiste à montrer que ce type de transversalité n’est pas une exception, mais la règle qui détermine l’évolution des sciences et des arts.
Le propos fluide se construit comme un perpétuel va-et-vient. Chaque chapitre se développe en diagonale sur plusieurs disciplines. On pourrait s’attendre à un résultat confus, pourtant c’est le contraire qui se produit. « Super Constellation » déborde de sens et éclaire admirablement l’objectif qu’il s’est fixé : désigner l’airmindedness (état d’esprit aéronautique) comme un des principaux axes pour déchiffrer le 20e siècle.

 

Super constellation, l’influence de l’aéronautique sur les arts et la culture

C. Asendorf, A. Lampe, Editions Macula, 2013 / € 35