Re­vi­ta­li­ser la cul­tu­re al­ter­na­ti­ve à Genè­ve

Les raisons d'exister de la Fondation pour la promotion de lieux pour la culture émergente, qui livre son premier rapport après quatre années d'activités et un soutien fourni à près d'une vingtaine de lieux culturels.

Publikationsdatum
03-09-2014
Revision
19-10-2015

L’âge d’or des squats. Au milieu des années 1990, la ville de Genève était, au prorata de sa population, la plus squattée d’Europe. Le mouvement a pu grandir et demeurer en place grâce notamment à une certaine tolérance manifestée par les autorités : les squats étaient dans la plupart des cas évacués seulement si les propriétaires proposaient en contrepartie un projet de rénovation de leur immeuble et des loyers modérés pendant les premières années suivant la remise en état. Les propriétaires eux-mêmes faisaient preuve d’une certaine flexibilité, accordant parfois aux occupants des contrats de confiance. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, plusieurs facteurs mènent à la fin de cette particularité. Elu en 2002 procureur général de Genève, Daniel Zappelli se lance dans une politique d’expulsion des squats : en moins d’une décennie, leur nombre passe de 122 à 27. A l’été 2007, le plus ancien squat de la ville, RHINO (« Retour des habitants dans les immeubles non occupés »), est par exemple vidé de ses 70 occupants, qui y logeaient depuis près de 20 ans. Le RHINO, situé à la lisière du quartier le plus chic de la ville, abritait aussi la Cave 12, association créée en 1989 pour « faire connaî-tre et diffuser des musiques hors norme ». Parallèlement à la politique initiée par le procureur, largement relatée par la presse au-delà des frontières nationales1, l’entrée en vigueur en 1998 de l’Ordonnance fédérale sur l’assainissement des sites pollués déclenche la mise en place d’une phase d’investigation historique et technique sur d’anciens sites industriels. A Genève, la période d’enquête dure six ans et conduit à la disparition de plusieurs sites dédiés à la culture alternative et à la vie nocturne, comme c’est le cas d’Artamis. Ce collectif, constitué d’un théâtre, d’ateliers d’artistes, de petites entreprises et de salles de concerts et de soirées, s’était installé sur un site du quartier de la Jonction, après le départ des Services industriels. Les travaux de déconstruction, de désamiantage et de décontamination du sol, souillé par des décennies d’activités industrielles, ont débuté en 2008, et un écoquartier est en train de sortir de terre2.

Corollaire logique à l’évacuation d’une centaine de squats et à la disparition ou fragmentation de collectifs localisés sur des sites pollués, les lieux pour la culture et la vie nocturne alternatives font défaut dans la Cité de Calvin, comme le montre notamment le rapport « Voyage au bout de la Nuit »3. Plusieurs actions ou discussions ont été lancées en ce sens par les représentants des autorités publiques, en collaboration avec les acteurs culturels. C’est ainsi qu’est née en 2009 la Fondation pour la promotion de lieux pour la culture émergente (FPLCE), qui émane d’un partenariat public-privé entre l’Etat, la Ville, l’Association des communes genevoises, l’association Picto (composée en partie d’anciens acteurs d’Artamis) et la Fondation Hans Wilsdorf. La FPLCE, qui soutient des projets de mise à disposition ou de réhabilitation de lieux à vocation culturelle, a publié le mois dernier un rapport qui retrace ses quatre premières années d’activités.

Grâce à un fonds de six millions de francs fourni par la Fondation Hans Wilsdorf et aux mesures engagées par les autorités – baisse de loyer ou mise à disposition de locaux –, la FPLCE a soutenu la création ou la réhabilitation de 19 lieux nocturnes ou de culture. Elle a participé à la reconstruction du théâtre du Galpon, anciennement situé sur le site d’Artamis et qui se dresse désormais au bord de l’Arve, au pied du Bois de la Bâtie. Elle a permis de finaliser les travaux de sécurité et d’aménagement du relogement de la Cave 12, après l’évacuation de RHINO. Elle a aussi financé les travaux d’isolation phonique et d’aménagement intérieur du relogement à l’Usine Kugler de l’association Database59, association fondée en 1996 sur Artamis, comptant des plasticiens, des cinéastes, des graphistes, des architectes, des stylistes, des musiciens et des ingénieurs du son. La  FPLCE a également fourni une aide à la création de nouveaux lieux nocturnes, comme le Motel Campo ou la Gravière, situés dans d’anciens bâtiments industriels. 

La fondation permet ainsi, à son échelle, de redonner à Genève un peu de la vitalité qu’elle a connue dans les années 1990 en matière de culture alternative. Ce bel élan risque cependant d’être freiné à moyen terme, car deux tiers du fonds fourni par Hans Wilsdorf se sont déjà consumés.

 

 

Notes

1. Le Monde Diplomatique, Le Monde, New York Times
2. http://www.ville-geneve.ch/themes/amenagement-construction-logement/chantiers-cours/jonction/ecoquartier/
3. Cette recherche sur la vie nocturne genevoise, commandée par le Département de la culture et réalisée en 2010 par l’Association pour la reconversion des Vernets, en collaboration avec Marie-Avril Berthet et Eva Nada, conclut notamment que «les lieux alternatifs sont les plus sollicités comme ‹lieux manquants› (...), toutes catégories de noctambules confondus, alors qu’ils ne représentent que 3 % des lieux recensés». www.arv-ge.ch/content/étude-voyage-au-bout-de-la-nuit 

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