Low­tech ver­sus high­tech

Le débat public sur l’énergie est lancé sur une seule voie, focalisé sur l’énergie consacrée au chauffage. Il ignore les questions essentielles du confort perçu et est totalement muet quant aux masses gigantesques d’énergie grise. Ce constat à lui tout seul sonne comme une critique du label Minergie, et c’est ce qu’il entend être.

Publikationsdatum
30-10-2012
Revision
01-09-2015

Celui qui construit une maison écologique en bois, bien isolée, dans laquelle règne un climat d’habitation sain et confortable, sans le recours à quelque ventilation forcée que ce soit et qui peut présenter des bilans de consommation énergétiques extrêmement favorables, se situe ipso facto dans le camp des adversaires de Minergie1. Parfois sans même le savoir. L’adhésion à ce camp résulte en effet presque automatiquement du recours à des matériaux de construction naturels et sains, capables de réguler la migration de l’humidité et qui procurent un climat d’habitation perçu comme sain et confortable tout en offrant des bilans de consommation énergétiques avantageux. Ces caractéristiques constituent un contre exemple low tech aux constructions Minergie. L’intention de fond est la même, mais le cheminement est différent. Les solutions préconisées par Minergie relèvent de la haute technologie : isolation très performante obtenue par des enveloppes parfaitement étanches à la vapeur et qui nécessitent une ventilation artificielle, impliquant une technologie précise et performante. Elles présentent dans l’ensemble des bilans de consommation énergétiques relativement bas, même en tenant compte des systèmes de ventilation. Les buts atteints sont indiscutablement louables. Minergie constitue le premier label environnemental de l’industrie suisse du bâtiment ayant réussi à s’imposer sur une échelle importante. Les solutions techniques qu’il a fait émerger peuvent se comprendre du seul point de vue énergétique, mais les résultats entrent en collision avec des besoins humains naturels. La comparaison avec le modèle low tech esquissé plus haut et qui a fait ses preuves met en évidence les faiblesses de Minergie. 
Les usagers et les habitantes auxquels les constructions Minergie ne conviennent pas critiquent en général le climat généré et le confort perçu de leur habitation. En cause, la ventilation forcée – les promoteurs parlent de ventilation de confort –, rendue nécessaire par l’importante isolation et, surtout, l’enveloppe hermétique. Elle génère un climat intérieur problématique, caractérisé par des taux d’humidité de l’air si faibles qu’ils sont perçus négativement par les usagers et ont un impact négatif sur la santé. Il est vrai que des dispositifs techniques additionnels, consommant autant d’énergie supplémentaire, peuvent y remédier. Jusqu’à ce point, rien de nouveau dans le contenu des critiques de Minergie: installateurs et utilisateurs sont familiers de ces problèmes et en parlent ouvertement. 

Taux d’humidité des locaux d’habitation et santé

Les corrélations entre taux d’humidité de l’air, bien-être et santé font l’objet d’études précises depuis l’apparition des installations de climatisation de l’air. Médecins, biologistes, ingénieurs y ont consacré une importante littérature. D’une manière générale, les spécialistes s’accordent pour considérer que des taux d’humidité de l’air inférieurs à 30 % sont clairement préjudiciables à la santé. Pour se retrouver dans ce débat, il convient de ne pas perdre de vue que l’humidité relative de l’air dépend de la température. L’air froid est saturé plus tôt que l’air chaud. Un mètre cube d’air à 0° peut contenir 4,8 grammes d’eau à l’état gazeux, alors que la même quantité d’air à 20° peut contenir 8,8 grammes et en contenir 30 à 30°. Le problème est, que lorsque l’air froid de l’hiver (50 % d’humidité à 0°, soit 2,4 grammes d’eau) est aspiré et porté à 20°, son taux d’humidité relative tombe à 13 %. 
En soi, l’air sec n’est pas malsain, mais ses effets sont négatifs sur le bien-être et la santé. Les muqueuses du nez, de la gorge, des yeux et de la bouche réagissent directement à la sècheresse. L’écoulement nasal normal est entravé, les yeux piquent, la bouche et sa cavité sont perçues comme desséchées. Un air sec accentue les difficultés des asthmatiques. La santé et le bien-être sont atteints par d’autres effets d’un air trop sec. Dans un environnement sec, les microorganismes et les particules de poussière pénètrent plus facilement dans les voies respiratoires. Un air très sec empêche les poussières de se poser et prolonge la durée de vie des virus de l’influenza. La plupart des études arrivent à la conclusion que la probabilité d’attraper une grippe augmente lorsque le taux d’humidité de l’air est faible et diminue lorsque celui-ci est maintenu entre 55 et 65 %.
Les habitants des constructions certifiées Minergie qui constatent un inconfort mentionnent donc en général le climat d’habitation et les effets d’un très bas taux d’humidité de l’air. Il convient cependant, pour progresser et surmonter ses défauts, de ne pas perdre de vue les avancées indiscutables que l’on doit au label Minergie.

Comment Minergie a mis un terme à l’irresponsabilité généralisée

Une chose ne se discute pas: l’introduction du label Minergie a constitué une avancée significative, spectaculaire. A ses promoteurs revient indiscutablement le mérite d’avoir civilisé le débat sur l’énergie. Avant l’introduction et la promotion par les cantons de Berne et de Zurich de la marque Minergie, n’importe quel charlatan, même idéaliste, n’importe quel entrepreneur pouvait déclarer une maison «à basse consommation énergétique». Le moindre progrès, la moindre avancée pouvait se proclamer «écologique» sans critères d’évaluation d’ensemble. Dans la sombre période qui précède Minergie, des critères d’évaluation clairs et des standards reconnus faisaient complètement défaut. La diffusion du label Minergie a contribué de manière décisive à concrétiser le débat énergétique dans le milieu de l’industrie de la construction. C’est grâce à Minergie qu’il existe aujourd’hui une vision précise de ce qu’est une enveloppe bien isolée; ces standards sont compréhensibles et communicables et les clients disposent de moyens nouveaux pour exercer leurs droits si une valeur n’est pas atteinte ou un critère non respecté. De plus, le label Minergie a connu un succès marketing comme peu d’autres : en Suisse, la plupart des personnes connaît ce nom. Pour la plupart, Minergie signifie démarche technologique qui promet confort élevé, construction soutenable pour l’environnement et frais de chauffage réduits. Il résulte du label Minergie un deuxième progrès évident: grâce à sa popularité, la plupart des autorités en charge de délivrer des permis de construire demande des informations quant à l’efficacité énergétique des constructions projetées et la soutenabilité environnementale des matériaux mis en œuvre. Au point que, bien souvent, la question se réduit à savoir si telle construction «est Minergie».
De ce point de vue, le label est pour ainsi dire dépassé par son succès, au point que le grand public est porté à le considérer comme une sorte de garantie forfaitaire d’une manière de bâtir qui répondrait à la totalité des exigences en matière de consommation énergétique et de qualité environnementale des constructions. Mais ces exigences dépassent très largement ce que Minergie peut promettre. De ce fait, le label est en train de muter d’une posture de pionnier vers un argument de vente grand public. Minergie est devenu un argument de vente et un facteur de valorisation commerciale des constructions sur le marché immobilier. Le label fragilise ainsi sa position, d’autant qu’il devient de plus en plus évident que l’ensemble du mouvement définit ses propres règles et se certifie pour ainsi dire soi-même. A terme, cette situation cesse d’être stimulante du point de vue de la politique énergétique.

Effet pervers n° 1 : un principe unique

Le revers de la médaille Minergie et de son développement important réside dans le caractère unilatéralement technique de la démarche et des solutions qu’il propose. Bien qu’il se développe de manière suivie et lance des labels secondaires pour des matériaux ou des techniques spécialement écologiques ou durables (au point qu’il est permis de se demander si le label de base possède lui-même de telles qualités). Dans son principe, la démarche demeure toujours la même, fondée sur l’étanchéité absolue de l’enveloppe, la performance de l’isolation et une coûteuse ventilation artificielle. Si bien qu’il faut constater qu’au fond, la conformité au standard Minergie ne correspond pas nécessairement à des valeurs énergétiques précises, mais représente avant tout le choix d’une technique particulière. Le recours nécessaire à la ventilation forcée pose comme principe général l’adhésion à une démarche coûteuse, intensive en investissements et en technologie. Cela peut réjouir le secteur des installateurs CVSE, mais offense durablement la réflexion de ceux qui pensent méthodiquement en termes d’impact environnemental des constructions. Le problème dépasse largement le constat qu’un système qui doit constamment avoir recours à une énergie extérieure pour faire fonctionner la ventilation ne peut être écologiquement optimal. Il est plutôt irritant que cette importante technologie et les services qu’elle implique pèsent lourdement sur le bilan écologique dans son ensemble, et qu’ils provoquent un débat sur le climat et le confort d’usage qui n’est pas prêt de se clore. 
La consommation énergétique des systèmes de ventilation peut éventuellement être considérée comme marginale, mais il ne faut pas perdre de vue l’énergie engloutie dans le dédale de tuyaux de ventilation qui sont nécessaires à son fonctionnement. Rapporté à la durée de vie du bâtiment, le taux élevé d’énergie grise incorporé ainsi aux constructions Minergie relativise considérablement leurs valeurs de consommation énergétique. En théorie, on pourrait balayer cet argument et défendre l’idée qu’il suffit d’éliminer le système de ventilation et confier aux usagers le soin de gérer cet aspect. Mais cette possibilité n’existe pas : Minergie est indissociable du double flux de la ventilation forcée; ils sont des frères siamois. Le label repose sur la ventilation et l’industrie de la ventilation repose sur le label, pour la prospérité de ses affaires. Tant et si bien que le premier label énergétique de l’industrie suisse du bâtiment sollicite toujours le même paradigme technique, quel que soit le problème particulier qu’il cherche à résoudre, et qu’il se montre incapable de s’en écarter lorsqu’il s’agit d’obvier aux défauts reconnus du système. Par exemple, il ne peut tenter de répondre aux taux d’humidité de l’air manifestement trop faibles que par le recours à encore plus de technique, supposée être capable de réhumidifier l’air desséché par l’installation.
Il résulte de ceci un dilemme politique de première importance. La question se pose en effet de savoir si les communes, les cantons et la Confédération, qui ont soutenu pour d’excellentes raisons le standard Minergie à ses débuts, doivent désormais lui subordonner concrètement les autorisations de bâtir qu’ils vont délivrer. Il en résulterait une situation tout à fait contradictoire et bizarre où la loi en viendrait à prescrire par quelle technique spécifique on doit atteindre un certain but énergétique et environnemental. Une telle situation serait hautement contre-productive, dans la mesure où elle handicaperait le développement d’autres solutions qui seraient plus performantes que Minergie du point de vue de l’efficacité énergétique et de l’environnement. Elle déprécierait et dégraderait des solutions capables de fournir des prestations équivalentes avec des moyens consommant beaucoup moins d’énergie grise. En transposant cette situation sur un autre terrain, celui des véhicules automobiles, il est aisé de démontrer à quel point une telle politique entraverait les innovations et les développements alternatifs. Supposons que l’Etat ne se contente pas de stimuler la mise sur le marché de véhicules énergétiquement plus performants et donc moins nocifs à l’environnement, mais qu’il impose les seuls moteurs à combustion interne d’hydrocarbures. La consommation moyenne d’hydrocarbure diminuerait sans doute de manière sensible, mais l’émergence d’alternatives plus favorables serait totalement entravée.
La critique selon laquelle la position forte de Minergie imposerait une technologie consommatrice d’énergie doit être relativisée sur un point. Il existe des circonstances qui justifient pleinement le principe de l’étanchéité absolue des enveloppes. Les personnes souffrant d’allergies seront soulagées de respirer un air filtré par une installation centralisée qui élimine les pollens dont l’inhalation les accable. Les habitants de logements situés en rez-de-chaussée et qui n’aiment pas ouvrir les fenêtres pour de motifs de sécurité apprécieront également ces dispositifs. Certains bâtiments spécifiques qui abritent des activités qui doivent se dérouler dans un climat entièrement contrôlé profiteront également des prestations de ce système. Des immeubles situés dans des zones très exposées aux bruits de la route profiteront pleinement de ses avantages. Mais toutes ces situations particulières ne justifient nullement la généralisation de cette technique à tous les locaux d’habitation et de travail.
Soyons donc reconnaissants à Minergie pour les avancées qu’il a permises jusqu’à ce jour. Il n’en reste pas moins qu’il est de moins en moins admissible que des maisons à basse consommation énergétique incitent à la débauche en matière d’énergie grise pour les isoler, assurer leur étanchéité et les ventiler. Cette manière de procéder est contradictoire avec l’idée que la meilleure, la plus indiscutable économie d’énergie est réalisée avec ce dont on peut se passer. Encore mieux, lorsque la technique dont on peut se passer présente autant d’inconvénients s’agissant du confort d’habitation perçu et que des alternatives sobres présentent un bilan infiniment supérieur. On peut espérer que les autorités publiques, et pourquoi pas des promoteurs du label Minergie, se détournent des solutions purement technologiques et concentrent leur action sur des objectifs de consommation énergétiques aussi bas que possible. Si cette mutation n’a pas lieu, le très populaire label Minergie restera prisonnier de ses propres paradigmes et en succombera.

Effet pervers N° 2 : le point de vue est trop étroit

La curieuse posture technophile que semble être le paradigme du label Minergie présente un défaut supplémentaire fondamental. Dans sa philosophie environnementale de départ, axée sur une basse consommation énergétique des constructions, Minergie s’est focalisé de manière centrale sur l’énergie nécessaire à l’exploitation de la construction existante. La démarche ne manque pas de logique : plus la consommation pour le chauffage et le fonctionnement est basse, meilleures sont les performances, moindre est l’impact sur l’environnement. Mais l’équation ne se résout que conditionnellement ; une intention si louable peut vous conduire à son exact opposé si le point de vue est trop étroit. Concentrer l’effort sur une enveloppe très bien isolée est absolument justifié. Le problème réside dans le fait que les valeurs d’isolation peuvent être augmentées presqu’à l’infini, ce qui a pour effet de faire diminuer les consommations énergétiques liées au chauffage. Sauf que la consommation énergétique nécessaire à la production et à la mise à disposition du matériau isolant augmente, et ceci dans des proportions qui, selon la nature du matériau choisi, la propulsent vers des valeurs qui peuvent dépasser celles de l’énergie de chauffage économisée. Nous nous sommes plu à le signaler ci-dessus, le label Minergie a contribué de manière tout à fait décisive à civiliser le débat énergétique dans la construction. Désormais, la concentration de l’effort sur l’énergie consommée pour le chauffage dérange: c’est un débat dépassé. Un débat énergétique civilisé doit aujourd’hui se poser en termes larges, et intégrer les énergies grises et indirectes absorbées par une construction. Le débat posé en ces termes prend en compte, en plus de la consommation directe d’énergie, celle nécessaire pour la fabrication, la mise à disposition et l’élimination de matériaux de construction et intègre également l’énergie consommée par le trafic induit par la construction. Un label énergétique qui tiendrait compte de ces facteurs de manière conséquente aurait un impact énorme sur les économies d’énergie. Le débat existe dans les milieux professionnels, mais il n’a jamais débouché sur une prise de conscience dans l’opinion publique. Même les autoconstructeurs, écologistes radicaux n’ont en général que des connaissances limitées. Le fait que la construction d’une maison à faible consommation énergétique absorbe autant d’énergie que consomme son exploitation pendant toute sa durée d’existence n’est guère pris en compte2. On estime généralement que l’énergie nécessaire à la construction, rapportée à une durée de vie moyenne, nécessite 80 à 100 mégajoules par mètre carré de référence (surface habitable). Dans ces conditions, diminuer d’un mégajoule par mètre carré et par an la consommation directe en énergie, représente certes un effort louable, mais n’améliore malheureusement pas beaucoup les choses. Le plus grand potentiel d’économie d’énergie dans le secteur du bâtiment se situe dans le choix des matériaux et dans leur mise en œuvre, il est énorme. Le paradoxe réside dans le fait que la position du label Minergie sur le marché lui offrirait la crédibilité pour faire connaître ces données. 
Mais on peut élargir encore ce point de vue et englober la question de la mobilité. Le simple calcul de la consommation énergétique directe de la maison devient encore plus absurde si elle se situe à des kilomètres du premier transport public et que l’on s’abstient de tenir compte de 20 000 km/an parcourus en voiture pour l’atteindre. 
Le caractère restrictif du point de vue adopté par Minergie se laisse aisément démontrer à l’aide d’un seul exemple provenant du domaine des industries de la construction : les plaques de matériaux isolants en mousse de polystyrol EPS, issue du styrol, un dérivé d’hydrocarbure. Il suffit d’envisager le bilan énergétique de ce matériau du point de vue des distances parcourues pour induire un verdict de prudence. L’examen plus détaillé le disqualifie totalement, ce qui n’empêche nullement son producteur de le promouvoir et pourquoi pas de vanter ses qualités «vertes». Le polystyrol EPS contient 105 mégajoules d’énergie grise par kilo3, soit 30 fois plus que des flocons de cellulose (3,6 MJ/kg), sans compter le fait qu’au moment de son élimination, le polystyrol EPF constitue un déchet spécial en raison de la présence d’un composant difficilement dégradable, incorporé pour augmenter la valeur de résistance au feu du matériau (hexabromcyclododecan HBCD) qui, soit dit en passant, dégage en cas de feu de la dioxine et de la furane. Les notices du fournisseur sont un divertissement à elles toutes seules. En 2011, le diffuseur allemand informait ses clients qu’en raison d’une obligation administrative il devait attirer leur attention sur la présence de HBCD dans son matériau, que cette composante était «toxique, bioaccumulatrice et persistante», mais que le matériau était inoffensif et indispensable. En Suisse, la maison mère communique sans faire mention de la teneur en HBCD.
Ce développement dépasse très largement une critique du label Minergie et n’a en vérité rien à voir avec celui-ci. Il vise uniquement à démontrer à quel point il est problématique de refermer le point de vue et de le restreindre à la seule question de la consommation énergétique des bâtiments pour leur exploitation. A cet égard, Minergie présente des lacunes considérables. 
Nous devons à Minergie d’avoir dans le passé concentré l’attention sur un phénomène et d’avoir sensibilisé un large public. Presque tout le monde comprend désormais qu’une consommation réduite d’énergie de chauffage ménage le budget. Mais s’en tenir à ces constations revient à se détourner de la grande question liée à l’avenir : l’énergie grise engagée dans une construction. Il n’est plus possible de se contenter de certifier une construction qui se révèle économe en énergie de consommation, si pour parvenir à ce résultat il faut recourir à des matériaux problématiques en termes d’impact environnemental et d’énergie grise. Celui qui veut vraiment progresser sur le terrain des économies d’énergie se doit désormais de s’engager sur le terrain de l’évaluation énergétique de l’ensemble des matériaux de construction. Seule cette évaluation, conduite indépendamment des intérêts du marché de manière transparente et comparable permettra aux matériaux à bas impact environnemental de trouver leur place sur le marché. Une certification individuelle des matériaux serait une issue intéressante et offrirait un repère aux usagers finaux et aux amateurs.

Effet pervers n° 3 : l’idée est parfaite, les hommes ne le sont nullement

Une enveloppe parfaitement isolée qui garantit une consommation énergétique basse : cette idée de base est indiscutablement bonne. Elle ne conduit pas pour autant automatiquement à des constructions écologiques, durables. En effet, ces qualités ne sont atteintes dans leur contenu profond que si ces constructions correspondent à la nature humaine et à ses besoins fondamentaux de bien-être et de confort, que lorsque les hommes ont véritablement la volonté d’y vivre. Nous avons évoqué plus haut l’impact négatif de la ventilation forcée. Nous voulons approfondir ici le facteur « mou », mais essentiel, le facteur humain. Les humains réagissent davantage à des conditions climatiques de l’habitat qu’à des valeurs d’isolation. Rendre étanche des bâtiments et les ventiler ensuite par des dispositifs techniques coûteux pour les rendre à nouveau habitable, stimule les réflexes défensifs de l’individu. Pas chez tous les individus, mais chez bon nombre d’entre eux. Les humains veulent habiter un nid, pas une machine. Du point de vue humain, le conflit fondamental que suscite le label Minergie provient du fait qu’il admet ou qu’il impose des techniques constructives et des matériaux qui s’opposent à la notion de confort perçu des occupants et qu’il cherche à compenser en partie ces inconvénients par le recours à encore plus de technique. Lorsque les matériaux de construction sont incompatibles avec l’humain, le conflit perceptif est évident. Même si les matériaux présentent de hautes qualités environnementales, comme c’est l’exigence pour le standard Minergie-Eco, le conflit perçu reste ouvert. La ventilation forcée péjore le climat d’habitation, réduit l’humidité de l’air, porte préjudice au confort et à la santé des usagers. Considéré avec un peu de recul, on constate que le paradigme technique qui préside à la recherche de solutions crée des univers d’habitation qui correspondent à une forme de raison, mais offensent l’âme et les sens. Evidemment, se préoccuper de l’âme ne place personne sur le terrain des solutions dures, scientifiques, et pourtant ce débat fait d’arguments et de facteurs « mous », de considérations relevant de la perception et de la sensualité est essentiel. Aussi longtemps que les tentatives de créer des habitations écologiques se contenteront de suivre les règles du paradigme technique, les besoins essentiels de la perception et des sens de l’habiter seront négligés. Un des enjeux centraux des préoccupations énergétiques et écologiques, le rapport de l’être humain à la nature et à l’environnement, n’est pas considéré. Ses besoins ne sont pas satisfaits.
Les réponses à ces objections sont connues : il n’existerait pas de preuves scientifiques valables que les usagers développent des réactions négatives au climat d’habitation produit par le recours à la technologie. Ou encore : des milliers de personnes habitent leur logement Minergie sans se plaindre. C’est probablement aussi vrai et pas plus discutable que d’affirmer que des milliers de gens vivent sans se plaindre dans des habitations chauffées au mazout, dépourvues de capteurs solaires.
L’avenir nous réserve sans doute des développements technologiques encore plus sophistiqués pour la ventilation, la diffusion et la récupération de la chaleur, la régulation du taux d’humidité. Il ne fait aucun doute que des ventilations plus silencieuses, dépourvues de toute vibration seront bientôt présentes sur le marché et des installateurs encore plus certifiés seront à l’œuvre. Mais la question de savoir de combien de sensualité l’habitant a-t-il besoin demeure sans réponse. Il faut nous souvenir que, du point de vue bioclimatique, les maisons sont des enveloppes, la troisième peau de l’homme. Ce besoin de sensualité est satisfait par le confort perçu de cette troisième peau. En ce qui concerne la deuxième peau, nous avons compris l’essentiel depuis longtemps. S’il fait vraiment froid, on enfile un épais pullover. Mais chacun est libre de préférer un textile futuriste qui promet tout ce que l’homme pense attendre de lui : un coupe vent étanche, un textile hybride qui peut se chauffer, avec microprocesseur et régulateur intégrés (chargeur compris dans le prix de la livraison). Nous choisissons le pullover. Il ne tient pas plus chaud. S’il est de bonne qualité, il n’est pas moins cher. Mais il parle à nos sens. La laine vient des pentes des Préalpes, c’est Rosa qui l’a tricoté. Le pullover n’est pas seulement un dispositif technique destiné à tenir chaud, mais il est un objet sensuel qui tient chaud autant qu’il tient « au chaud ». C’est dans cet esprit qu’il doit être possible de bâtir la troisième peau de l’homme.
Merci Minergie, grâce à ce label il est possible d’habiter le long des artères les plus bruyantes sans étouffer dans une enveloppe étanche. Pour les autres usagers, il reste à espérer que le label de base s’éloigne rapidement du paradigme technique, des méthodes hostiles à l’usager et des matériaux qui lui sont si étrangers.

Le présent texte constitue un chapitre du livre Das Holzhaus der Zukunft, de Markus Mosimann et Marc Lettau (Rotpunktverlag, 2012). Nous remercions les auteurs d’autoriser sa publication. 

Traduit de l’allemand par Pierre Frey

 

 

Note

1 Minergie est une marque protégée mondialement pour la certification de constructions durables. Elle a été développée dès 1994 par Heinz Uebersax etRuedi Kriesi. En 1997, elle était la propriété des cantons de Berne et de Zurich qui l’ont mise à disposition sans frais et pour une durée illimitée à l’association Minergie. L’association assure le marketing et les certifications. En Suisse, Minergie est le Label le plus diffusé pour les maisons dites à faible consommation énergétique. A ce jour, en Suisse et à l’étranger, près de 24 000 constructions ont été certifiées.
2 Source Société suisse des Ingénieurs et Architectes, SIA
3 Forum Nachhaltiges Bauen (D), 2011 La maison en bois, maison du futur« Holzhaus der Zukunft »* est un plaidoyer pour une conception de l’architecture en bois, fondée sur une technique de construction en ossature bois, réalisée en atelier, entièrement « sur mesure », c’est-à-dire suivant un plan original d’architecte et dans une division du travail qui attribue à ce dernier un rôle renforcé dans l’approche des besoins spécifiques de l’usager final. La technique se caractérise par un rapport inhabituel entre matériaux de construction (env. 55 %) et main d’œuvre, le recours à d’importantes quantités de matériaux isolants, des ajustages extrêmement précis, possibles uniquement en atelier par le recours à la découpe pilotée par ordinateur. Elle a produit dans la région de Berne des habitations aux performances énergétiques exceptionnelles et s’est fait remarquer sur la scène nationale en procurant une alternative très convaincante à des usagers incommodés par les contraintes et les inconforts des habitations construites selon les techniques préconisées par le label privé Minergie. La démarche présentée dans cet ouvrage implique une critique circonstanciée du standard Minergie. Cette critique rejoint des observations et des réserves qui vont se répétant et s’amplifiant dans le milieu des professionnels de la construction, TRACÉS présente ici la traduction de ce chapitre.
Pierre Frey
* Markus Mosimann, Marc Lettau, Das Holzhaus der Zukunft. Ökologisch bauen mit menschlichem Mass, Rotpunkverlag, Zurich, 2012