Li­ving Ar­chi­tec­tures

Le coffret Living Architectures se compose d’un livre accompagné d’un support en 3 volets contenant 3 DVD

Living Architectures, c’est la visite, ou plutôt les visites, de sept bâtiments que les deux complices Ila Bêka (architecte) et Louisa Lemoine (philosophe) ont choisi de passer au crible, le temps d’un tournage pour le moins inhabituel.

Publikationsdatum
13-02-2014
Revision
13-10-2015

Avec la réalisation atypique en 2008 du film Koolhaas Houselife, le projet d’origine est né au singulier. Séquencé en de multiples saynètes, il montre, sous toutes ses coutures, la Maison de Bordeaux, conçue en 1998 par le célèbre architecte néerlandais Rem Koolhaas. Si la sophistication structurelle, technique et conceptuelle -– en réponse au handicap moteur du propriétaire Jean-François Lemoine – a rendu iconique ce projet privé inscrit à l’Inventaire des monuments historiques, rien ne lui permet pourtant d’échapper au destin de n’importe quel espace construit: sa dégradation progressive. A bien des égards, le temps révèle les qualités mais aussi les défauts et malfaçons que les mascarades inaugurales se chargent de dissimuler avec soin et habilité. Fardées de retouches, les images sont parfois trompeuses. Pourtant, ce sont elles qui se portent garantes de l’identité des projets dans chaque support de communication. Mais sans subterfuge et après plusieurs années d’usage, qu’en est-il vraiment de ces «starchitectures»? A l’abri des projecteurs, comment vit-on réellement dans une maison dessinée par Koolhaas ? Telle est la question soulevée par le duo de chercheurs.

Pour y répondre, la parole a été donnée à Guadalupe Acedo, la fée du logis de la villa. Car même si Koolhaas s’en étonne à la vue du film, du coup de balai au ronronnement de l’aspirateur, le nettoyage quotidien s’impose aussi dans son architecture. L’utilisation de ces outils ménagers lui paraissant si incongrue, le concepteur se prend même à réfléchir à un protocole de nettoyage spécifique à cette maison. Les bâtisses de demain seront-elles livrées avec un mode d’emploi? En attendant, Guadalupe astique les lieux de fond en comble, et ce, depuis plusieurs années. Elle en connaît les moindres recoins. Par temps de pluie, elle sait appréhender la fuite d’eau par-ci, mais également les endroits à « ne pas toucher» pour éviter la panne technique par-là. C’est donc avec beaucoup de sympathie et de simplicité qu’elle dévoile aux spectateurs les «loupés» et les secrets de la villa, sans pour autant la dénigrer. Jamais de jugement, juste du constat fondé sur le bon sens de son coup de balai, un soupçon d’ironie parfois, et surtout une bonne dose d’humour.

Ce parti pris audacieux et original, aussi éloigné soit-il des standards cinématographiques dédiés à l’architecture, a fait sensation à la biennale de Venise en 2008. Face à un tel engouement, la tentation fut grande de renouveler l’expérience. Le projet est ainsi devenu pluriel. A leur tour, Renzo Piano, Herzog & de Meuron, Richard Meier, et Frank Gehry, tous lauréats du Pritzker Prize, se sont frottés au regard critique d’Ila Bêka et Louisa Lemoine. A l’instar du projet de Koolhaas, les bâtiments ciblés ont déjà célébré une, deux, voire trois décennies d’existence depuis leurs inaugurations respectives. La série continue avec les mêmes attributs quant aux choix des « acteurs ». Tandis que les touristes s’amusent à reproduire le musée Guggenheim de Bilbao en papier aluminium, les habitants du quartier de Tor Tre Teste déplorent leur cohabitation avec l’église du Jubilé de Richard Meier dont les cloches sonnent « trop fort ». Tour à tour, visiteurs, passants, mariés, laveurs de vitres voltigeurs, employés, facteurs, gardiens, prêtres ou encore vendangeurs invitent le spectateur à partager leur quotidien, mais aussi leur témoignage sur ces architectures
de renom. 

Dernier arrivé dans la galerie des «chefs-d’œuvre déchus», un portrait croisé de l’immeuble d’Auguste Perret rue Franklin, de son gardien névrosé et de ses habitants désespérants. La beauté des intérieurs de Perret est neutralisée par la banalité, pour ne pas dire l’obscénité intellectuelle des propriétaires. En filmant la bourgeoisie du 16e arrondissement de Paris tel qu’ils le font, Louise Lemoine et Ila Bêka déclinent avec justesse un format qu’ils maîtrisent pour l’avoir inventé : le portait architectural comme hors-champ d’un portrait sociologique.

 

Living Architectures. The DVD book collection

Bêka&Partners, Paris / € € 99.-
www.living-architectures.com

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