La Mé­tro­po­le al­pi­no-lé­ma­ni­que. Un nou­vel ob­jet de re­cher­che et de pro­jet

Entretien avec Paola Viganò 

Publikationsdatum
30-08-2017
Revision
08-09-2017

Lausanne et les principaux pôles urbains lémaniques veulent organiser conjointement le prochain congrès de l’UIA. Ils veulent le faire sous le signe d’une urbanité lacustre, à définir par l’organisation même de l’évènement. Comment jugez-vous cette initiative, et comment qualifiez-vous cette ville en devenir?
Cette initiative pose de façon paradigmatique la question de l’échelle géographique de la ville contemporaine, une ville qui n’est plus autonome ou séparée d’un environnement donné et de conditions géographiques complexes.
Il s’agit donc de reposer la question de la ville et du rapport entre l’urbain et les grandes figures géographiques qui le structurent. C’est un thème qui nous permet de réfléchir différemment aux conditions actuelles de construction de l’espace, sur la question des risques, de l’adaptation aux changements climatiques et sur les nouveaux styles de vie et les nouvelles mobilités.
Le lac est une grande figure, claire, évidente, iconique qui peut servir à cela. En même temps, on peut l’utiliser pour aborder la question de la ville sous un angle plus spécifique. Le lac est aussi ce grand bassin qui va collecter les eaux qui arrivent des différents côtés. Quand on dit lacustre, on pense à cette fonction, qui est aussi un point de repère de toute une série d’éléments qui structurent eux-mêmes une partie de cette ville. Ceci fait de la métropole lémanique une figure ouverte.
Par ce raisonnement, on va au delà même de la figure du lac, pour en trouver une autre, celle de métropole d’eau, plus élargie, plus capable de toucher aux situations habitées actuelles. Cette approche ne vise pas à connecter uniquement les rives – la rive nord plus ensoleillée et la rive sud moins peuplée – mais aussi les plateaux et les vallées, les zones pavillonnaires et les zones plus denses, suivant les cours d’eau qui rejoignent le lac. Cette approche fait fonctionner la métropole, non plus repliée sur la figure emblématique du lac mais, au contraire, capable d’intégrer les différents territoires dont il est le repère. 

Comment l’eau, dans le cas de la ville lémanique, interagit-elle avec la notion de porosité? 
La porosité est une notion métaphorique et un concept bien défini dont le sens varie en fonction des objets auxquelles il s’applique. 
Dans le champ écologique, elle concerne plutôt des questions de perméabilité des sols, et plus généralement de la nécessité d’aborder la question de l’eau et des échanges biotiques. 
Dans le cas de la de porosité sociale, on pense à la ville d’enclaves, à la fragilité et pauvreté des espaces publics. Concernant la métropole lémanique, une nouvelle porosité écologique et sociale pourrait se construire en suivant l’écoulement des eaux et en donnant de la continuité à l’espace public à l’échelle territoriale. Il suffit de penser aux croisements entre les circulations et les espaces de biodiversité. L’idée d’une métropole qui s’adapte à ses lignes d’eau et à ses mouvements géographiques nous permet de repenser la porosité de la ville actuelle dans son ensemble, qu’elle soit sociale, économique ou culturelle. L’exemple le plus simple serait la question de l’accès aux rives du lac, cruciale dans une ville territoire lémanique. Là, il y a clairement un manque de connectivité et de porosité qui doit être retravaillé. 

On peut aussi utiliser ce concept de porosité pour parler de l’adaptabilité de la ville, de ses «matériaux urbains», de leur disponibilité au changement. Si on met la figure du lac au centre de cette métropole, si on la considère capable d’organiser son développement, on peut alors imaginer comment une structure géographique pourrait guider le recyclage et métamorphoser différentes portions du territoire urbain. 
Dans ce cas la porosité serait l’infiltration potentielle, la possibilité de restructurer à partir d’un système d’espaces publics et de parcours d’eau qui prendrait en compte les nouveaux défis: la croissance de la population, la densification du tissu, le recyclage des tissus existants et, finalement, la possibilité pour les tissus de se réorganiser autour de formes de mobilité différentes, de nouvelles connectivités et continuités écologiques. 
De tels projets nous réconcilieraient avec l’idée de métropole, dépasseraient les oppositions simplifiées entre ville et territoire et appuieraient une nouvelle vision à une figure commune.

 

Note pour la lecture des cartes.

Les cartes proposent une interprétation du phénomène de métropolisation et de densification en cours autour de l’arc lémanique qui s’appuie sur l’idée de bassin versant du Léman et sur la structure hydrographique comme structure «faible» pour repenser l’habitabilité, l’accessibilité et plus en général la continuité et la lisibilité d’un territoire en forte évolution. 
La question de la densification est posée alors à l’échelle d’un territoire urbain plus vaste, une «ville-territoire», dans lequel la densification croise la tradition d’habitat dispersé qui intéresse toute la Suisse, vallées alpines inclues.
La carte du TRAIL, montre la capacité de cette structure faible, d’eau, de parcours et de cordons boisés, à organiser les espaces publics, à les mettre en relation avec le transport en commun, à valoriser et connecter les infrastructures sociales, à connecter la ville au lac. La carte carte des éléments du paysage et espaces publics sélectionne les paysages qui enrichissent le TRAIL et ses icônes, urbaines et paysagères, les « monuments » de la Métropole alpino-lémanique qui peuvent la faire émerger en tant que construction de l’imaginaire collectif. 
Les cartes réalisées par les étudiants ont un caractère exploratoire et visionnaire (dans le sens d’illustrer une vision). Elles sont accompagnées par des approfondissements à différentes échelles sur les territoires du Chablais (Valais), de la vallée de l’Arve, des deux versants du Léman qui montrent les potentialités de cette interprétation et par un Atlas qui décrit formes et géographies (naturelles, sociales, liées à la valeur foncière…) de la métropole alpino-lémanique.

La recherche se poursuit au Lab-U (EPFL) et implique l’atelier de projet de la III année. Elle est coordonnée par Paola Viganò avec Marine Durand, Roberto Sega, Antoine Vialle. Depuis 2016 elle s’enrichit de la participation à la réflexion DENSUISSE proposée par la Fondation Braillard (P. Mantziaras) avec la participation de l’ETH Zurich (M. Topalovic) et de l’Accademia de Mendrisio (Frédéric Bonnet).

Paola Viganò est professeur d’architecture à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.