Vul­né­ra­bi­lité po­ten­tielle des ou­vrages de sou­tè­ne­ment

Elément essentiel pour la planification de leur entretien, l’évaluation de l’état réel des ouvrages de soutènement est l’objet de nombreuses réflexions au sein de l’OFROU. Aperçu du programme mis en place.

Date de publication
03-11-2015
Revision
17-11-2015

De par la topographie variée du réseau des voies de communication de notre pays, les ouvrages de soutènement constituent une partie importante des ouvrages d’art de Suisse. Concernant le réseau des routes nationales, la base de données des ouvrages d’art KUBA-DB1 recense, à ce jour, environ 2500 ouvrages de soutènement pour une surface totale d’environ 600 000 m2. Pour cette raison, la maintenance de ces éléments de l’infrastructure joue un rôle considérable pour l’Office fédéral des routes (OFROU). 

Une menace latente à long terme


Contrairement aux ponts qui sont bien documentés, la documentation des ouvrages de soutènement du siècle passé est généralement lacunaire au niveau des bases géotechniques, des calculs statiques et des dossiers conformes à l’exécution. Ce constat est problématique pour la maintenance de ces structures : en raison du manque de visibilité, il n’est pas possible d’acquérir des informations complètes sur les éléments statiquement pertinents. De ce fait, l’évaluation du degré de conformité structural est rendue difficile. 

A l’instar des autres ouvrages d’art, les murs de soutènement font l’objet d’une surveillance régulière et d’une inspection principale quinquennale gérée par les filiales de l’OFROU. Conformément à la norme SIA 469, l’inspection se fait de manière visuelle, avec des moyens simples. L’expérience acquise ces dernières années par l’OFROU a toutefois montré qu’un contrôle visuel des murs peut donner l’illusion que tout est en ordre alors qu’un processus de dégradation sournois opère discrètement. Ces dégradations concernent aussi bien les ouvrages de soutènement ancrés que non ancrés.

Pour les ouvrages ancrés, une étude menée de 2003 à 2007 sur l’A9 entre Lausanne-Vennes et Villeneuve a mis au jour des dégradations inquiétantes de certains tirants d’ancrages. Du fait de la génération des tirants mis en place, il existe en effet un risque important de corrosion des torons sous tension, surtout à proximité de la tête. Ce type de dégâts peut, à terme, conduire à une rupture partielle ou totale d’un ouvrage. Les résultats de cette étude ont amené l’OFROU à intégrer dans sa directive « Tirants d’ancrages »2 une méthode multicritère d’analyse de risques pour ces objets. 

Pour les murs non ancrés, la problématique a été mise à jour pour la première fois en juillet 2007 lors d’investigations à l’arrière de murs en L situés le long de la route nationale A5 entre La Neuveville et Bienne. Des sondages ont montré une importante corrosion de l’armature principale de flexion concentrée en pied de mur. Cette découverte a engendré la mise en œuvre de mesures d’urgence pour garantir la sécurité des usagers des CFF circulant en contrebas des murs et ceux de la route nationale circulant en amont. A partir de 2008, des investigations similaires entreprises pour les murs de soutènement le long de la route nationale A9 entre Vennes et Villeneuve ont montré le même type de dégâts spécifiques et récurrents.

En mars 2012, un effondrement brutal d’un mur de soutènement s’est produit en Autriche (photo). Cette rupture a été induite par le cumul de plusieurs causes, dont une présence de corrosion – non prépondérante dans ce cas. En l’état actuel de nos connaissances, le mécanisme de ruine constaté s’apparente à ce qui pourrait se produire en cas d’une perte critique de section d’armature en pied de paroi.

Actuellement, la corrosion n’est pas répartie de manière homogène le long d’un ouvrage. Cet aspect offre un délai suffisant pour analyser les ouvrages à risque et prendre des mesures le cas échéant. Cependant, le processus de dégradation en cours sur certains ouvrages évolue inexorablement et constitue donc une menace latente. Il s’agit de les détecter rapidement pour ne pas être confronté à une dégradation trop importante dans le futur. 

Adoption d’une stratégie préventive

 
L’objectif prioritaire de l’OFROU est d’agir de façon réfléchie avant le déclenchement d’un éventuel sinistre. A cet effet, sur la base des constats décrits ci-dessus et d’une analyse « risque et priorisation », l’OFROU a engagé dès 2010 des mesures d’interventions ciblées, pour un montant d’environ 150 millions de francs sur une période de cinq ans, gérées par sa filiale d’Estavayer-le-Lac. Ceci a été entrepris dans le but de garantir durablement la sécurité des usagers et la disponibilité des routes nationales A5 entre La Neuveville et Bienne et A9 entre Vennes et Villeneuve. En parallèle, la stratégie suivante est adoptée :

- Maîtriser le patrimoine et la substance (inventaire exhaustif, adaptation de la base de données KUBA-DB).

- Prioriser les ouvrages de soutènements en relation avec le concept de gestion des risques global de l’OFROU (matrice de risques).

- Evaluer l’état, investiguer proportionnellement à la priorisation.

- Intervenir selon les objectifs généraux pour l’utilisation et les prescriptions définies dans la convention d’utilisation spécifique à chaque projet.

Durant l’élaboration de ces nombreux projets de renforcements, des points particuliers de conception et de réalisation ont été étudiés en détail et harmonisés. En parallèle, une étude pilote réalisée en deux phases, entre 2012 et 2014, a été entreprise afin de répondre à des objectifs prioritaires définis paritairement. Finalement, trois thèmes centraux de recherche ont été identifiés.

L’objectif des articles qui suivent est de présenter la stratégie adoptée entre 2009 et 2014 pour l’examen et les interventions de maintenance des ouvrages de soutènement des routes nationales A5, A9 et A16 de la filiale 1 de l’OFROU. 

Stéphane Cuennet, ingénieur civil HES, spécialiste ouvrages d’art à la division Infrastructure Ouest de l’OFROU / centrale d’Ittigen.
Philippe Schär, ingénieur civil EPFL, chef de projet à la division Infrastructure Ouest de l’OFROU / filiale d’Estavayer-le-Lac.

 

 

Notes

1. KUBA-DB : base de données permettant la saisie de données sur la substance d’ouvrages d’art, sur leurs inspections et interventions de conservation.
2. Directive OFROU 12005 « Tirants d’ancrages », édition 2007

 

Besoins de recherche

Faisant suite aux résultats de l’étude pilote sur les murs en L, le groupe de travail de recherche en matière de ponts (AGB) a évalué les besoins de recherche en relation avec la maintenance des murs de soutènement. Il a abouti à la définition de trois thèmes centraux de recherche, qui ont fait ensuite l’objet d’une procédure spéciale de demandes de projets de recherche de la part de l’AGB publiée sur Internet.

Thème 1: risques potentiels des murs de soutènement existants
Ce projet de recherche devra identifier aussi bien les points faibles des différents types de murs de soutènement que les risques géotechniques spécifiques nécessitant un examen approfondi et permettant une priorisation dans le cadre du relevé de l’état et de la maintenance, pour garantir l’utilisation efficace des ressources budgétaires disponibles. Le travail de recherche devra faire référence aux murs de soutènement béton à semelles, aux murs de soutènement ancrés ainsi qu’aux murs de soutènement de type poids, qui à priori pourraient être considérés plus robustes. De même, il faudra traiter les murs de revêtement, qui n’ont en principe pas de fonction porteuse mais peuvent tout de même mettre en danger les voies de communication. 

Thème 2: comportement à la rupture des murs de soutènement béton à semelles
Ce projet de recherche devra répondre à la question fondamentale du comportement structural incluant les déformations à la rupture. Il devra en conséquence, sur la base de modèles théoriques fondamentaux, déterminer si une défaillance peut se dérouler avec ou sans signes annonciateurs et si elle risque d’aboutir à une défaillance locale ou générale. Ce projet devra également définir dans quelle mesure des redistributions de sollicitations et une robustesse de la structure porteuse peuvent être admises. Différentes hypothèses et mécanismes plausibles de défaillance induite par les défauts fréquemment rencontrés seront analysés. D’éventuelles possibilités d’améliorer de manière significative le comportement à la rupture et la capacité de déformation des murs de soutènement béton à semelles seront proposées. Ces améliorations pourront s’obtenir au moyen d’une remise en état ou d’une modification de la structure porteuse. 

Thème 3: techniques de mesures de surveillance des murs de soutènement non ancrés
Le but de ce travail de recherche sera de définir une ou des techniques de mesures de surveillance instrumentées spécifiques aux murs de soutènement non ancrés. Le système proposé devra être en mesure de détecter les anomalies du comportement du parement du mur. Cette recherche devra plus spécifiquement développer les aspects de dispositifs de mesures automatiques couplés avec un système d’alarme. L’étude devra considérer tous les facteurs influençant une variation du déplacement du parement en tête pendant l’exploitation. En fonction de différentes typologies de murs de soutènement, des plans de surveillance standards avec des indications sur le type d’équipement adéquat, de sa disposition et de sa densité seront développés. La forme et les moyens de transmission des données seront également traités.

Dr Manuel Alvarez, ingénieur civil EPFZ, responsable des ouvrages d’art à la division Réseaux routiers de l’OFROU / centrale d’Ittigen et président de l’AGB

 

 

Adaptation des standards OFROU

Les expériences faites à ce jour permettront d’aboutir à une méthodologie de traitement harmonisée au niveau de l’OFROU. Les outils suivants permettront d’assurer le traitement de ces problèmes :

  • Adaptation du logiciel KUBA-DB par l’intégration d’un standard d’ampleur ainsi qu’une priorisation des interventions.
  • Elaboration d’une fiche technique spécifique à la maintenance des murs en L dans le manuel technique «Tunnel/Géotechique»

Des rapports «Etudes et travaux 2006 – 2013 – rétrospective et expériences» et «Evaluation de l’état des murs de soutènement béton à semelles - Etude pilote - Rapport de synthèse des phases 1 et 2» établis par GUMA seront joints en annexe à la fiche technique de manière à transmettre une information complète sur toute l’expérience acquise.
Ces documents seront mis à disposition librement sur le site Internet de l’OFROU: www.astra.admin.ch dans le courant de l’année 2016.

 

Intervenants

Maître d’ouvrage: 
OFROU, filiale Estavayer-le-Lac

Mandataires:
GUMA - Groupement Murs et Ancrages comprenant les bureaux partenaires :
- De Cérenvile Géotechnique SA, à Ecublens
- Norbert SA Géologues-Conseils, à Lausanne
- OPAN concept SA, à Neuchâtel
En plus des partenaires de GUMA, le Groupe de travail «Evaluation de l’état des murs de soutènement» comprenait aussi:
- le bureau Dr Vollenweider AG, à Zurich
- la société suisse de protection contre la corrosion (SGK), à Zurich
- le laboratoire TFB, à Widegg
- AGB (groupe de travail de recherche en matière de ponts) pour l’accompagnement 

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