So­no­rité et ar­chi­tec­ture, tis­sons de meil­leurs liens

Une ambiance sonore, qu’elle soit harmonieuse ou bruyante, est une composante caractérisant un environnement tout autant que l’esthétique. Si la musique adoucit les mœurs, l’architecture devrait pouvoir mieux composer avec cette dimension invisible, si difficile à appréhender et pourtant omniprésente. Réflexions autour de la rénovation du Théâtre de Beaulieu à Lausanne.

Date de publication
20-09-2022

«Pour avoir une bonne acoustique, une salle doit être large ou étroite, haute ou basse, en bois ou en pierre, ronde ou carrée»: Charles Garnier semblait perplexe sur l’art et la manière de maîtriser la sonorité. Jusqu’au début du 20e siècle, le métier d’architecte impliquait de manier soi-même les paramètres lorsqu’il fallait concevoir les qualités acoustiques d’une salle de concert. Aujourd’hui, même s’il est le plus souvent accompagné par un spécialiste, l’architecte peine toujours à saisir les propriétés acoustiques des volumes qu’il projette et des matériaux qu’il emploie.

Temps de réverbération

En 1898, Wallace Sabine établissait mathématiquement la relation qui lie un volume, les propriétés d’absorption acoustique de ses surfaces et le temps de réverbération. Cette dernière grandeur est encore aujourd’hui fondamentale et oriente les premières esquisses. En effet, l’auditeur d’une salle de concert va percevoir un son direct mêlé à des sons réfléchis dépendants de la configuration spatiale et de sa matérialité. Ainsi, un temps de réverbération court est favorable à une bonne intelligibilité de la parole, mais pourrait sembler trop sec. Plus long, il accompagne l’expressivité d’un orchestre symphonique avec une sonorité enveloppante. Tout l’art consiste donc à moduler l’absorption et la réflexion des parois, à travailler les directions de réverbération afin de fournir une ambiance homogène et une écoute équivalente, quelle que soit la place occupée par l’auditeur. En fonction de leur densité, de leur compressibilité et de leur module de cisaillement1, les matériaux présents vont offrir une résistance plus ou moins grande au passage d’une onde – une rupture d’impédance2 entraînant l’impossibilité par la matière d’absorber l’énergie acoustique.

Une salle mythique

En 1954, une nouvelle salle de spectacle était aménagée à l’intérieur du Palais de Beaulieu. Ce dernier possédait des halles d’expositions, un cinéma ainsi que des salles de conférence installés dans l’aile nord. Au sud, quelques marches permettaient d’accéder à un foyer qui desservait tout à la fois le théâtre et une salle de bal. La jauge du Théâtre de Beaulieu était alors comparable à celle de l’Olympia3 à Paris, ce qui fait de lui – aujourd’hui encore – le plus grand théâtre de Suisse. Leur configuration montre une galerie en forme de demi-cercle qui s’avance sur les parois latérales4, rapprochant le spectateur et l’acteur.

Si la salle de l’Olympia a été déplacée et entièrement reconstruite en 1997, les services de protection du patrimoine bâti ont veillé à ce que, même après sa transformation, le Théâtre de Beaulieu reste tel quel. Deux ans de travaux ont été nécessaires pour désosser l’aile sud du Palais de Beaulieu, rénover le Théâtre et accueillir le Tribunal arbitral du sport. Ce dernier a pris ses quartiers en juin 2022 tandis que le Théâtre a été inauguré ce 3 septembre. Le Théâtre de Beaulieu – de 27,6 m sur 28 m pour une hauteur initiale de 13,8 m au droit du lustre – peut maintenant accueillir des représentations de théâtre, de danse contemporaine, avec la présence du Béjart Ballet Lausanne, des concerts classiques, donnés entre autres par l’Orchestre de la Suisse romande, et des récitals jazz
et pop.

Des bureaux aux loges en passant par une nouvelle salle de répétition, la mue est conséquente, comme en témoignent les images du chantier, où seules la façade et la salle de spectacle sont maintenues. Une entrée désormais dédiée mène aujourd’hui au foyer organisé sur quatre niveaux. La scène jusqu’alors en légère pente est placée à l’horizontale et les gradins du balcon sont retravaillés de manière à assurer une bonne visibilité. La mise aux normes, particulièrement celles concernant la protection incendie, était ardue à maîtriser. Des tuyaux de désenfumage ajoutés à une ventilation double flux dessinent du reste un horizon plutôt complexe en toiture.

Un plafond aux formes courbes

À l’intérieur, le Théâtre de Beaulieu reste semblable à lui-même. L’énorme lustre a été conservé et renvoie une image chatoyante. Les parois latérales présentent toujours leurs coques en noyer aux courbures diffusantes. Quelques-unes dissimulent dorénavant un dispositif électroacoustique activé par un simple bouton, qui adapte la réponse sonore de la salle aux particularités du spectacle. Le plafond en plâtre a quant à lui disparu au profit d’un plafond ondulé en bois, dont le rehaussement ouvre visuellement l’espace et donne une meilleure résonance globale. Sa plasticité a été définie par l’architecte grâce à un fin travail réalisé en maquette. La forme donnée par les lattes en bois a ensuite été légèrement corrigée par l’acousticien, après quelques calculs qui évitaient par exemple qu’une concavité – focalisant les sons – ne trouble l’audition. L’espace technique qui chapeautait la salle s’est agrandi et remplace le demi-étage d’autrefois. La forme du balcon, complexe par ses courbures, a été relevée par scanner 3D. La nouvelle balustrade – où chaque barreau est unique –, dessine une légère brisure qui renvoie le son dans de multiples directions.

Mathématiques et sensibilité

Eckhart Kahle, acousticien du projet s’amuse de la citation de Charles Garnier et souligne qu’elle date d’une époque où la science n’existait pas. Cependant, les énormes progrès réalisés depuis, en Amérique puis en Europe, ne peuvent pas, selon lui, s’affranchir du ressenti de l’humain et de son caractère subjectif. Même accompagné aujourd’hui d’ordinateurs puissants, l’acousticien ne connaîtra jamais la recette ultime, car le fin mot de l’histoire appartient à l’auditeur.

Rénovation du Théâtre de Beaulieu, Lausanne (VD)

 

Jauge
1600 places

 

Volume
11 000 m³

 

Plafond acoustique
lattes en MDF vernies

 

Parois
réemploi partiel de diffuseurs en noyer

 

Parterre
parquet en chêne

 

Balcon
gradins et parquet en chêne

 

Architecture
Fehlmann Architectes, Morges

 

Acoustique
Kahle Acoustics, Ixelles

 

Menuiserie, spécialiste auditorium
Schwab-System, Gampelen

En visite – SIA Vaud – 15.09.2022
Visite du théâtre de Beaulieu
Réservée aux professionnel·les
Inscription obligatoire: participer [at] sia.vd

Notes

 

1 Anne Tanguy, «La propagation du son dans les matériaux: vibrations, diffusion, atténuation, Laboratoire de physique de la matière condensée et nanostructures», Université Claude Bernard Lyon 1, conférence donnée le 18 mars 2009

 

2 L’impédance acoustique est la résistance que présente un matériau au passage de l’onde acoustique et varie selon la fréquence. Elle dépend fortement des états limites qui, s’ils montrent une différence de phase incompatible, réfléchissent l’onde. Ainsi, une fine laque protégeant un panneau de bois modifie les propriétés acoustiques de celui-ci.

 

3 La jauge de L’Olympia est de 1985 places, dont 1161 sièges à l’orchestre et 824 en balcon. Beaulieu a perdu 200 places durant la rénovation et propose désormais 1019 sièges sur le parterre, 608 en balcon.

 

4 Marcel Maillard, «Le Théâtre de Beaulieu à Lausanne», in Bulletin technique de la Suisse romande, numéro 81, 1955

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