Simón Vé­lez ar­chi­tecte, la maî­trise du bam­bou

Eloge d’une architecture «végétarienne»

Date de publication
16-07-2013
Revision
10-11-2015

La maison d’un architecte peut être pour lui un véritable laboratoire, un terrain d’expérimentation. Elle constitue parfois même une sorte d’autoportrait tant l’analogie avec ses constructions est manifeste. Mies van der Rohe était l’architecte de la lumière, de la transparence. Il vivait pourtant dans un logement sombre, fermait ses volets, fouillait dans les rayons de sa grande bibliothèque à l’aide d’une lampe de poche. Rien de tel pour Simón Vélez, qui expérimente sa propre architecture en vivant dans une maison qu’il a conçue. L’architecte colombien, instigateur d’une architecture qu’il qualifie de « végétarienne », a fait du bambou son matériau de construction privilégié. Sa maison qu’il a commencé à construire dans les années 1970 à Bogota, possède un toit, une charpente, un mobilier et une cabane de jardin en bambou. Elle est un véritable hameau, « constitué par agrégations progressives au cours de 40 dernières années », nous raconte l’historien de l’art et professeur à l’EPFL Pierre Frey dans son dernier livre un éloge de l’architecte «végétarien». 
Le texte monographique bilingue (français/anglais) se déploie sur quelque 250 pages. L’auteur plante d’emblée le décor en exposant le contexte dans lequel Simón Vélez a fait ses armes et en décrivant la tradition architecturale dont il est issu. Simón Vélez rejette en partie le modernisme et le Bauhaus, « exagérément » enseigné par ses professeurs d’architecture, et a choisi de construire principalement en bambou, ancrant ainsi son travail dans un contexte local, colombien, où la botanique est fondamentale. A Manizalès, sa ville natale, la culture du guada (variété de bambou, la plus utilisée par Simón Vélez) prime sur celle du café et constitue pour la région un « élément culturel et économique fondateur ». 
La seconde partie de l’ouvrage, plus technique, s’éloigne de l’architecture de Simón Vélez à strictement parler pour sonder le matériau en soi, très peu utilisé par les architectes et ingénieurs européens. Le lecteur profane apprendra notamment qu’il existe plus de mille espèces de bambou, dont la moitié pousse en Amérique du Sud. Utilisée par Simón Vélez, la Guada angustifolia Kunth « se détache nettement des autres espèces de bambou par ses propriétés physiques et mécaniques », note l’auteur. Un tableau dresse le portrait du bambou, son cycle de vie, l’anatomie de sa tige et ses propriétés mécaniques. Une poignée de pages décrivent ensuite comment cultiver ou assembler le bambou. 
Le reste de l’ouvrage revient sur le travail de l’architecte, avec des textes consacrés à ses types de constructions – toits, qui débordent du corps de bâtiment pour le protéger, et serres – et à des exemples précis de bâtiments imaginés par l’architecte colombien – une station-service, un musée nomade, des villas, des ponts, des bâtiments publics. Simón Vélez a aussi construit le pavillon colombien de l’exposition universelle de Hanovre, en 2000. Un bâtiment qui a permis à l’architecte de promouvoir à l’échelle internationale le bambou comme matériau de construction.
Le livre traduit par endroits la pensée de Simón Vélez. « L’architecture actuelle suit un régime exagéré et malsain, elle est totalement carnivore. L’état de nature exige que nous revenions à un régime plus sain, plus végétarien », nous dit-il dans ses notes. Si Simón Vélez peut paraître radical dans sa manière d’aborder l’architecture, il ne rechigne pourtant pas à faire usage de matériaux plus « carnivores » que le bambou, le béton ou l’acier – dans ses constructions, les barres d’armature en acier servent parfois de main courante ou sont assemblées pour former un portail. 
Les textes sont ponctués d’images : d’admirables clichés de la photographe Deidi von Schaewen qui nous font éprouver la moiteur de la forêt, mais aussi des photographies noir/blanc de l’architecte, de sa famille, de sa maison et des plans. Simón Vélez a pour seul outil de travail un carnet Clairefontaine quadrillé dans lequel il croque ses futures constructions. Dommage que si peu de croquis soient reproduits dans le volume. 
Pierre Frey nous livre ici un bel ouvrage, où les anecdotes côtoient les données contextuelles, où les informations techniques prennent place aux côtés de textes d’architecture. Un ouvrage qui fait l’éloge, si ce n’est la louange de l’architecte colombien Simón Vélez. Au point qu’on pourrait regretter une vision un brin moins psalmodique de cette architecture « végétarienne ».

 

Simón Vélez architecte, la maîtrise du bambou

Pierre Frey et Deidi von Schaewen, Actes Sud, 2013 / € 39
Exposition à Rossinière jusqu’au 22 septembre 2013

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