Shi­vers

David Cronenberg, 1975

Le collectif Silo dissèque ici le film «Shivers» de David Cronenberg. Un long métrage qui questionne le mythe de la maison hantée et sa capacité à pénétrer un édifice – en l'occurrence un immeuble de verre construit par Mies van der Rohe en 1962 –, conçu pourtant pour faire obstacle à l'irrationnel.

Date de publication
17-10-2012
Revision
01-09-2015

Shivers (Frissons, 1975), premier long métrage de fiction de David Cronenberg, s’ouvre sur un diaporama. Tandis qu’à l’écran défile une série de clichés photographiques présentant sous toutes les coutures un immeuble d’habitation construit sur l’Ile des Sœurs à Montréal — sa façade de verre et de béton, sa structure oblongue et d’un seul tenant, ses douze étages érigés sur une vaste plateforme et les multiples services offerts à ses occupants —, une voix off en fait la publicité: «La vie quotidienne devient une croisière de luxe dans nos appartements de la Starliner Tower […] Traversez la vie dans le calme et le confort, naviguez Starliner. Studios, appartements une pièce ou deux pièces sont disponibles chez Starko, une division de la General Structure Inc.» Placé au seuil de l’intrigue, ce diaporama promotionnel augure à la façon d’un repérage du potentiel narratif d’un décor encore vide de personnages. Comment habiter ce lieu? Ou plutôt, comment le hanter ? Est-il seulement possible de hanter un tel bâtiment, à savoir un édifice construit (en 1962) par Ludwig Mies van der Rohe?
Telle est la question que pose Shivers : à quelles conditions le mythe de la maison hantée peut-il établir ses quartiers dans un immeuble de verre conçu pour faire obstacle à l’irrationnel? La hantise étant affaire de famille, de doubles fonds et d’obscurs placards, Shivers tourne résolument le dos à la transparence, cherche les espaces sans lumière et sans fenêtre, tire les rideaux et occupe de préférence les salles de bains. Mais surtout le film bascule quand la hantise déménage sur le palier et investit ce qu’il reste d’arrière-mondes dans l’immeuble de verre : couloirs, cages d’escalier, ascenseurs, parking, laverie au sous-sol. Paradoxalement donc, la hantise abandonne la sphère privée et rallie les espaces collectifs. Et que fait-elle sous la lumière crue des néons? Elle frissonne… autrement dit, elle jouit. C’est que l’immeuble de Mies van der Rohe est hanté par un étrange parasite qui, en décuplant la libido de ses habitants, expose très littéralement leur intimité au grand jour et aux regards du voisinage. Des organes sexuels en liberté mènent la danse dans les parties communes, libèrent toutes les manies sexuelles et conduisent tout droit à l’orgie finale dans la piscine olympique de la résidence. L’architecture est-elle sexuée? La réponse de David Cronenberg est pour le moins inattendue. A-t-on jamais imaginé en effet que l’architecture de Mies van der Rohe était hantée par des passions érotomanes?

www.lesilo.org 

Étiquettes

Sur ce sujet