Quand la force de l'eau trans­for­mait les villes

La maîtrise de la force hydraulique, dans le dernier quart du 19e siècle, a été un vecteur de modernisation important des villes suisses. Avant l’électricité, l’eau sous pression actionnait machines, ascenseurs et trains, traçant ainsi certaines articulations décisives du développement de ce qui deviendra la «métropole lémanique».

Date de publication
30-08-2017
Revision
05-09-2017

Entre la révolution industrielle de la vapeur et celle de l’électricité, il se passe bien un siècle. Quasiment privée de charbon, la Suisse a pour ainsi dire manqué le train de la première. Mais elle se trouve pourtant dans le wagon de tête de la seconde. Car, entre ces deux sauts technologiques, on oublie souvent d’évoquer la force motrice hydraulique, qui est pourtant une clé pour saisir le fulgurant développement des villes suisses à la fin du 19e siècle. D’un point de vue strictement technologique, c’est le développement des différentes turbines hydrauliques au cours du siècle qui permet cet essor. Ce nouveau type de roues, actionnées par le mouvement ou la pression de l’eau, augmente considérablement les rendements qu’atteignaient les anciennes roues à aubes installées au fil de l’eau. Mais du point de vue géographique, c’est une nouvelle conception du territoire, envisagé comme un potentiel énergétique à exploiter, qui voit le jour. En effet, contrairement à la machine à vapeur, qui dépend d’un carburant – le charbon –, dans le cas de la force hydraulique, c’est un morceau de territoire entier qui constitue une machine, la topographie déterminant la vitesse du courant et les hauteurs de chute. De plus, le problème réside autant dans la transformation que dans le transport des énergies cinétiques et potentielles offertes par la nature. Avant la maîtrise du courant électrique1, trois systèmes sont alors en concurrence: les câbles «télédynamiques», comme à Fribourg; l’air comprimé, comme dans l’expérience du train à traction pneumatique de Lausanne ; et finalement l’eau elle-même, mise sous pression – le procédé qui sera finalement utilisé à Lausanne, puis à Genève à très grande échelle. Dans tous les cas, l’énergie est transformée par quelques turbines placées à des endroits stratégiques et redistribuée aux ateliers par des câbles ou des conduites. L’exploitation de cette force, intimement liée à la morphologie du territoire et des villes, favorise par conséquent certains axes de croissance. Pour exploiter la force hydraulique, il faut donc associer investisseurs, ingénieurs et politiques: un réseau d’hommes pour créer un réseau de conduites, qui tissera des relations discrètes entre la topographie et la structure économique locale, la production artisanale et industrielle, certes, mais aussi le tourisme, qui fleurit dans toute la région lémanique. Les vastes opérations hydrauliques de la fin du 19e siècle ont des conséquences immédiates et durables sur le tissu économique et le développement urbain, bien avant que le mot «urbanisme» n’ait été prononcé.

La proposition de Guillaume Ritter (1835-1912) pour développer Fribourg est à ce titre exemplaire. En 1870, ce jeune ingénieur venu d’Alsace projette l’établissement d’un barrage sur la Sarine – le premier barrage en béton d’Europe2. L’énergie cinétique sera transmise par un câble relayé par des poulies, comme un téléphérique, selon un procédé appelé alors «télédynamie», jusqu’au plateau de Pérolles, situé 70 m plus haut, où des industries pourront s’établir. L’usine hydraulique projetée par Ritter permet également de fournir de l’eau potable à domicile et d’alimenter quelques turbines d’ateliers établis en ville. Enfin, dans le sillage du projet, sont prévus un établissement de pisciculture et des glacières, ainsi que des installations d’agrément destinées au tourisme. Dans ce cas, l’exploitation audacieuse de la tumultueuse topographie d’une rivière permet de révéler le potentiel économique de toute une ville. Si l’entreprise connaît d’importantes difficultés financières (notamment en raison de la crise consécutive à la guerre franco--allemande de 1870-1871), ce grand projet hydraulique pose les bases du développement industriel de Fribourg qui prendra son essor une dizaine d’années plus tard3.

Lausanne transformée en un vaste moteur hydraulique


Quelques années plus tard, à l’occasion de la fête du Tir fédéral de 1876, un jet d’eau de 40 m de haut est projeté sur la place de la Riponne à Lausanne (fig.). La Ville inaugure ainsi joyeusement la conduite d’eau forcée installée par la Compagnie du Lausanne-Ouchy et des Eaux de Bret, qui s’apprête à bouleverser complètement du paysage lausannois.

Cette mue débute par la proposition de créer un train qui relierait le port d’Ouchy et le centre de Lausanne, via la gare de l’Ouest suisse (1856), située à l’emplacement de la gare CFF actuelle. Une telle liaison intéresse évidemment les autorités communales et les investisseurs privés : le train permettrait d’acheminer des voyageurs fortunés, comme ceux séjournant au Beau-Rivage Palace (1861), ainsi que des marchandises en provenance du lac vers la gare et, de là, vers toute la Suisse. En échange de la construction du train, la compagnie obtiendrait une concession sur l’exploitation de la vallée du Flon, qui serait transformée en plateforme d’entreposage et d’échanges de marchandises. Pour assurer le rendement, elle prévoit d’établir une seconde ligne, directe, entre la gare de l’Ouest suisse et la vallée du Flon4.

Quel rapport avec l’eau? L’énergie exploitée pour activer le train et les machines – entièrement hydraulique. Car, au-delà des intérêts financiers et municipaux évidents, l’opération est également une expérience technologique à grande échelle, avec un enjeu décisif : la traversée des Alpes. Créer un train à forte pente entre Lausanne et Ouchy nécessite en effet le développement d’une solution technique qui pourrait par la suite être utilisée pour franchir le Simplon – une priorité absolue pour la Suisse occidentale5. La ville de Lausanne sert donc en quelque sorte de terrain d’expérimentation à une technologie qui permettrait de traduire l’énergie hydraulique en une force capable de propulser un train : la traction atmosphérique (ou pneumatique). Aussi, pour expliquer le projet du Lausanne-Ouchy (L-O) sont représentés sur une même planche le mécanisme de propulsion pneumatique (1:10) et le tracé de la ligne (1:1000) (fig.). Bien que mal maîtrisée, la traction pneumatique nourrit alors bien des espoirs6, en particulier ceux de Louis Gonin (1827-1898), ingénieur cantonal des ponts et chaussées du Canton de Vaud et membre du Conseil communal de Lausanne7. Dans une Notice sur l’application de la propulsion pneumatique par l’air comprimé à la traction sur les fortes rampes et en particulier au chemin de fer projeté entre Lausanne et Ouchy, daté de septembre 1869, celui-ci explique comment la topographie complexe du pays offre elle-même les moyens de vaincre les obstacles qu’elle provoque :

« Quiconque a jamais parcouru les vallées alpestres de la Suisse aura remarqué et admiré l’abondance des cours d’eau qui descendent des glaciers et qui ne tarissent jamais, ni dans les chaleurs de l’été, ni dans les rigueurs de l’hiver. Ces torrents, dans leur course rapide, portent avec eux une puissance de travail qui peut s’évaluer par milliers de chevaux. Ne serions-nous pas autorisés à considérer cette richesse de forces comme placée providentiellement à côté des obstacles que la nature a élevés sur notre chemin et comme un moyen de les vaincre? C’est, animé de cette conviction, que nous cherchons à introduire dans la pratique un procédé qui permette d’appliquer aisément à la locomotion les forces hydrauliques8 […] ». 

Pour fournir de l’énergie au train, il faut modifier le paysage. L’eau sous pression provient du lac de Bret, situé à 12 km au nord-est de Lausanne, à 670 m d’altitude. Afin d’accroître l’alimentation en eau de ce petit lac, Gonin propose de détourner en partie une rivière, le Grenet. « L’œuvre de la Compagnie, explique-t-on, consiste à modifier […] celle de la nature, en perçant des mamelons par un souterrain de 280 m, qui livrera passage à une partie des eaux de Grenet et les amènera dans le lac de Bret9. » Le lac fonctionne alors comme un grand « réservoir régulateur ». Afin de contrôler son débit, un barrage est construit sur un ruisseau par lequel il s’écoulait naturellement. Acheminée par aqueduc jusqu’au réservoir de Chailly, l’eau pénètre ensuite dans une conduite en ciment de 80 cm de diamètre, à 140 m au-dessus de la place du Flon. La pression exercée par cette gigantesque colonne d’eau doit fournir assez de force pour faire avancer le train et distribuer une énergie bon marché à différents ateliers de la ville, imprimeries, serrureries, charpenteries ou blanchisseries.

Avant l’introduction du courant électrique, deux grosses artères souterraines alimentent la ville de Lausanne en énergie hydraulique, l’eau motrice. De celles-ci se détachent des branchements de plus petits diamètres qui, à leur tour, se ramifieront jusque dans les maisons10. La première conduite court le long du Flon, alors que la seconde longe un tronçon de la « ceinture Pichard » entre le Tunnel et la place Pépinet, en passant par la place de la Riponne. C’est là que le jet d’eau inaugural est lancé, en 1876.

Entre-temps, la traction atmosphérique du train a été abandonnée. Après quelques tests grandeur nature (fig.), le rendement s’avère catastrophique et les moyens manquent pour la développer. Mais l’enthousiasme généré par cette nouvelle technologie (et sa potentielle application à la traversée du Simplon) aura contribué à tracer les grandes lignes du développement futur de Lausanne : deux décennies plus tard, l’étendue comprise entre le lac Léman et la gare ferroviaire est entièrement bâtie.

La traction funiculaire, plus contraignante, est finalement préférée11 et le 15 mars 1877 la ville inaugure le premier train du genre en Suisse. Et c’est bien la force du petit lac de Bret qui le fait avancer. Son câble est tracté par une double turbine hydraulique : une pour monter, une pour descendre. Bien plus, c’est l’ensemble des dispositifs déployés par la compagnie du L-O qui tourne à la force hydraulique : sur la plateforme industrielle du Flon, l’eau sous pression active les câbles du « chariot transbordeur », cette sorte de tracteur ferroviaire qui achemine sur l’axe central de la vallée les wagons arrivant d’Ouchy ou de la gare (fig.). La force de l’eau propulse également le monte-charge de la plateforme de Bel-Air, par lequel les wagons étaient acheminés au nord de la ville. Enfin, l’eau rejetée par les turbines de la salle des machines du Flon est récupérée et les 100 m de chute restant jusqu’au lac Léman sont exploités pour activer le treuil de halage des wagons de la gare, le vérin à crémaillère de la plaque tournante, le monte-charge à bagage, puis, à Ouchy, le treuil d’un autre chariot transbordeur ainsi qu’un ascenseur hydraulique12. Jusqu’à l’introduction progressive de l’électricité, l’eau sous pression transforme ainsi une partie de la ville de Lausanne en une grande machine qui déplace, trie, et distribue les matériaux vers toute la Suisse.

Genève, premier barrage alpin de Suisse


En 1876, alors que la crise économique touche durement les artisans et industriels genevois, un rapport concluait : « que faut-il pour que ces industries naissent et prospèrent? Des forces motrices et des capitaux13 .» Très dépendante en approvisionnement en charbon de deux pays voisins qui se font la guerre, la Ville confie à l’ingénieur et politicien Théodore Turrettini14 (1845-1916) l’aménagement du dispositif capable de capter la force motrice du Rhône, qui était jusqu’ici exploitée essentiellement par de grandes roues à aubes disposées au fil du fleuve. Au lieu d’opter pour la « télédynamie », comme à Fribourg, il propose de suivre l’exemple zurichois, pratiquement unique en Europe, consistant à exploiter l’eau sous pression. Dès le début des années 1870, les premières turbines Schmid, inventées à Zurich, prolifèrent à Genève. Ces machines utilisent l’eau motrice pour faire tourner une machine dans un atelier, de la même manière que nous branchons aujourd’hui nos appareils sur du « courant » électrique.

Le projet Turrettini dispose l’usine des forces motrices en coude au niveau de la Coulouvrenière et construit une digue parallèle au quai dans le prolongement de l’île, séparant ainsi le Rhône en deux bassins : un canal de fuite sur le bras droit, et le canal d’amenée dans le bras gauche, qui acheminera l’eau du Rhône vers les turbines de l’usine (fig.). Le vaste chantier hydraulique, entre 1883 et 1892, est rythmé par la disparition progressive des moulins et la nécessité de restituer à ces fabriques les forces motrices équivalentes. L’opération hydraulique a donc des conséquences directes sur l’aménagement des rives du Rhône, dont le cours ne doit pas être entravé. Celui-ci est discipliné comme un boulevard hausmannien : les nombreuses constructions saillantes sont détruites. En plus des nombreux moulins, Turrettini cite des immeubles en saillie sur le bras gauche, les épuisoirs et étendoirs des tanneurs, les différentes constructions sur pilotis et les dispositifs défensifs qui freinaient le courant du fleuve15. Mais l’établissement de l’usine de la Coulouvrenière a certainement un impact beaucoup plus important sur la structuration de la ville, car la nouvelle source d’énergie permet de répartir les activités industrielles sur l’ensemble du canton, alors que les usines étaient jusque là majoritairement regroupées autour du Rhône, de l’Arve et des canaux industriels. «[...] grâce au système de transmission adopté, explique Turrettini, la Ville avait été chercher l’industriel chez lui, au lieu de l’obliger à se déplacer pour se rapprocher du lieu de production de la force motrice16

Si la révolution au charbon a généré des conglomérats industriels, hérissés de hauts fourneaux, celle de l’eau sous pression favorise une dissémination plus libre des ateliers mécaniques. La force motrice du Rhône fait tourner les meules et les courroies d’une myriade de petits fabricants dispersés dans toute la ville : cabinotiers, menuisiers, diamantaires, couteliers et les différents ateliers de la Fabrique – (l’ensemble des métiers artisanaux liés à l’industrie horlogère) – mais aussi minotiers, brasseurs, etc. Dans le rapport rendu à la Ville par Turrettini figurent deux cartes qui révèlent le réseau d’adduction d’eau sous haute pression (bleu) et basse pression (rouge) dans la ville (fig.) et le canton de Genève (fig.). Semblable à un réseau sanguin qui irrigue un muscle, le tracé rouge pénètre dans chaque îlot, tandis que les grandes artères bleues alimentent la ceinture fazyste puis partent en étoile vers les communes limitrophes. L’introduction de l’eau sous pression agit sur la géographie industrielle de Genève: l’usine Gardy à la Jonction, la fonderie Kugler et l’usine de dégrossissage d’or en face de l’usine hydraulique, les ateliers Pic-Pic à la rue de Lyon et les ateliers du Sécheron… Toutes ces usines bénéficient de l’apport de l’eau sous pression17. Enfin l’adduction jusqu’à Carouge et vers les petites communes du canton contribue à développer les activités industrielles dans l’ensemble de l’agglomération.

L’opération des forces motrices a un autre impact, cette fois à l’échelle de toute la région lémanique. Les variations annuelles du niveau du lac Léman pouvaient atteindre 1,40 m et, depuis le 17e siècle, les autorités vaudoises accusaient les installations situées au débouché du Rhône d’obstruer le lac et de provoquer les crues qui détruisaient régulièrement les cultures et les constructions proches des rives. L’affaire, portée devant le Tribunal fédéral, aboutit à la convention intercantonale de 1884, qui règle définitivement le litige. Parmi les mesures prises pour régler le conflit séculaire, un barrage à rideau qui doit stopper l’eau et la faire dévier dans le canal d’alimentation des turbines. Mis en fonction en juillet 1887, celui-ci est formé de simples stores à lamelles en bois qui, en s’enroulant « à la façon des stores de jardiniers18 », contrôlent le niveau du lac Léman (fig.). Ce dispositif simplissime régule définitivement le niveau du lac, permettant un aménagement durable des ports et des pontons sur l’ensemble de ses berges, de Villeneuve à Genève. Le lac Léman est définitivement dompté.

En plus de la régularisation du lac et de l’apport en énergie, il faudrait mentionner l’apport d’eau potable, le nouveau système d’égout ou au moins relever ici la contribution de cette vaste opération hydraulique dans la construction paysagère de la ville du bout du lac. Les Genevois connaissent bien l’histoire: dès que les premières pompes sont actives (1886), quand les machines des ateliers s’arrêtent en fin de journée, une vanne de sécurité située sur la tête du bâtiment en construction doit être ouverte, afin de laisser s’échapper la surpression contenue dans les conduites. Tous les soirs, un jet irrégulier s’élève, à une hauteur variable qui peut atteindre 30 ou 40 m (fig.). Sur le principe, la gerbe écumeuse est similaire au jet de vapeur que laisse échapper une locomotive, à l’approche de la gare, afin d’évacuer la pression : elle signale le ralentissement des activités, la fin d’une journée de labeur. Le jet devient une attraction ; il sera recréé artificiellement dans la rade en 1891, où il atteint désormais 90 m et devient un symbole. Né d’une nécessité, le premier jet était un signe : celui du travail des ouvriers, celui du travail du fleuve. Alors que l’exposition de Paris (1889) érige avec la tour Eiffel un édifice à la gloire des ingénieurs qui défie la gravité, les Genevois créent un monument fluide, qui désigne l’enthousiasme et la précocité avec laquelle les ingénieurs hydrauliciens sont parvenus à dompter le Léman.

De l’eau motrice pour des villes électriques


La révolution hydraulique amène celle de l’électricité. A sa naissance, le système d’Edison ne pouvait en effet fournir du courant qu’à une distance de 100 m de la source d’énergie19. Un établissement connecté au réseau d’eau pouvait y installer une turbine accouplée à une dynamo pour générer du courant électrique. Voilà qui explique que la région lémanique soit pionnière mondiale en la matière. Dès 1882, un an après Londres, Lausanne se dote de la première usine électrique de Suisse : une dynamo de 20 CV mue par les eaux du lac de Bret alimente une vingtaine de lampes d’une brasserie et de quelques commerces du centre-ville20. L’année suivante, l’hôpital cantonal est illuminé par des ampoules électriques. En 1888, la centrale de Taulan fait rouler le premier tramway électrique de Suisse, entre Vevey et Montreux. Enfin à Genève, avant même l’achèvement de l’usine de la Coulouvrenière (1891), les turbines étaient déjà prêtes à recevoir des générateurs de courant, dont le but immédiat, à titre de démonstration, sera l’illumination du Théâtre de la Ville. En quelques années, la nouvelle énergie supplante l’eau sous pression. La Coulouvrenière représente pour les historiens une «passerelle technologique21», car elle permet de passer rapidement à une autre étape: celle de le centrale hydroélectrique de Chèvres, édifiée quelques kilomètres en aval de Genève en 1896, première centrale du genre recensée en Europe. Cette année-là se tient l’exposition nationale, lors de laquelle le jet d’eau est littéralement éclipsé par l’apparition éclatante de la Fée Electricité. Bientôt celle-ci tissera son réseau, national, puis international, nous permettant ainsi d’oublier cette époque où la ville était elle-même sa propre usine énergétique, l’époque où le « courant » était encore celui du Rhône et des rivières, et où le développement des villes était intimement lié à la force de l’eau.

 

Notes

1.  André Ducluzaux. «Transporter l’énergie hydraulique à distance, avant l’électricité (1830-1890) », La houille blanche, 415/2002

2. Voir Philippe Morel, «La Sarine: première rivière européenne domptée par du béton», TRACÉS n° 20/2015. 

3. Marc-A. Barblan [sous la dir.], Il était une fois l’industrie: Zurich - Suisse romande, paysages retravaillés: quelques exemples d’occupation industrielle du territoire, Genève: Association pour le patrimoine industriel, 1984, pp. 78-79.

4. Joëlle Neuenschwander, «La vallée du Flon ou l’industrie au creux de la ville», Il était une fois l’industrie... op. cit, pp. 50-63; INSA Lausanne, pp. 262-263.

5. Au début des années 1870, les solutions du percement ou du passage par les lignes de crêtes sont encore en discussion. Or, une locomotive chargée de charbon ne pouvait franchir des pentes de plus de 5‰. Les ingénieurs sont donc à la recherche d’un système de traction alternatif, qui laisse plus de marge de manœuvre que le train funiculaire, comme celui qui a été récemment développé sur la Croix-Rousse à Lyon. Voir Cédric Humair, «De l’eau pour actionner les chemins de fer: le rêve éphémère de la traction pneumatique dans le canton de Vaud (1864-1877)», Revue historique vaudoise, n° 124/2016.

6. Qualifiée par les historiens «d’impasse technologique », la traction pneumatique suscita pourtant de grands espoirs en France et en Angleterre, où de courtes lignes expérimentales sont réalisées avec un rendement médiocre. Voir Paul Smith, «Les chemins de fer atmosphériques. Première partie», In Situ, 10/2009.

7. Louis Gonin est également administrateur de l’Ecole spéciale de la Suisse française (la future EPFL), fondateur et président de la Société vaudoise des ingénieurs et des architectes et le premier rédacteur de la future revue TRACÉS.

8. Notice sur l’application de la propulsion pneumatique par l’air comprimé à la traction sur les fortes rampes et en particulier au chemin de fer projeté entre Lausanne et Ouchy, Lausanne, G. Spengler, 1869, p. 8.

9. W. Grenier, «Le chemin de fer Lausanne-Ouchy et les Eaux de Bret. III Canalisation des Eaux de Bret», Gazette de Lausanne, 25 février 1875.

10. Idem. A noter que l’alimentation en eau potable était également prévue par la Compagnie. En raison d’un différend avec la Ville, sa potabilité ne sera admise qu’en 1957.

11. Le profil en long menant de Lausanne à Ouchy ne présente pas une inclinaison constante et le mouvement des marchandises et des voyageurs est trop déséquilibré pour faire fonctionner un train funiculaire traditionnel. Le funiculaire automoteur lausannois nécessite donc un moteur fixe, qui sera alimenté par la force motrice hydraulique et accessoirement par une machine à vapeur en cas de pénurie d’eau.

12. Jean Paillard, Roger Kaller, Gaston Fornerod; avec la collab. de Michel Dehanne et Jean-Eric Seewer, La compagnie du chemin de fer Lausanne-Ouchy: épopée lausannoise. Lausanne: BVA, p. 102

13. Bernard Dussaud, Rapport de la commission chargée de faire une enquête sur la situation industrielle du canton de Genève, 1876, p. 28

14. Diplômé de l’Ecole Spéciale de Suisse française de Lausanne, directeur de la Société genevoise des instruments de physique dès 1870, membre du Conseil exécutif de la ville de Genève entre 1872 et 1892 et conseiller national entre 1906-1911. Turrettini assiste au développement de la première dynamo Siemens lors d’un séjour en Allemagne et rencontre Thomas Edison aux Etats- Unis. Il est également le cousin du directeur du constructeur de turbines hydrauliques Escher-Wyss – celles-là mêmes qui seront montées à l’usine de la Coulouvrenière. Sa carrière le mène à rejoindre la commission d’experts de la centrale hydro-électrique du Niagara en 1890-1891. C’est probablement cette expérience qui lui permet de construire la centrale électrique de Chèvres (1893- 1896), qui était, avec ses 18000 CV, la plus grande centrale du genre en Europe.

15. Utilisation des forces motrices du Rhône et régularisation du lac Léman. Travaux exécutés par la Ville de Genève sous la direction de Th. Turrettini, Genève, 1890, p. 18

16. Idem, Chapitre XIV, Développement des installations hydrauliques en 1888, p. 148

17. François Piguet, L’industrialisation de Genève au XIXsiècle : l’eau motrice, une forme originale de transmission de l’énergie, Mémoire de licence en histoire économique. Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, 1977, p. 80

18. E. Imer-Schneider, Notes & croquis techniques sur Genève, 4e éd., Genève 1907, pp. 7-20. Cité par Jacques Gubler, «Genève hydraulique», Nos monuments d’art et d’histoire, 27/1976, pp. 178-187, p. 183. Le système du barrage à rideau est appelé Caméré, du nom de l’ingénieur hydraulicien qui le mit au point sur la Basse-Seine. 

19 Cédric Humair, «Aux sources du succès hydroélectrique suisse: l’introduction de l’éclairage électrique dans l’arc lémanique (1881-1891)». Annales historiques de l’Electricité, Victoires éditions, 1/2005, pp. 113-126, p. 122.

20. Monique Savoy, Lumières sur la ville. Introduction et promotion de l’électricité en Suisse. L’éclairage lausannois 1881-1921, Histoire et société contemporaines, 8, Lausanne, 1987, p. 26

21. Serge Paquier. «D’un district industriel à l’autre. L’histoire de la transition industrielle genevoise de la fièvre scientifique des années 1770 à l’explosion inventive de la deuxième industrialisation.». International Economic History Congress, Helsinki, 2006. 

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