Les théâtres en bois de Pa­trick Bou­chain

L'architecte et scénographe français, avec son agence, a construit pléthore d'espaces scéniques en bois.

Date de publication
16-01-2014
Revision
12-10-2015

Patrick Bouchain et la constellation d’architectes qui s’est formée autour de lui1 ont développé au fil des ans un grand savoir-faire en matière de constructions scéniques en bois. Les nombreux projets réalisés ces 30 dernières années constituent un plaidoyer inégalé en faveur de ce matériau pour des salles de spectacle. 
Le bois souffre pourtant encore d’une série de préjugés à son égard : risques d’incendie, fragilité mécanique, défaut d’insonorisation… Petit panorama de trois projets dont la longévité, le coût et la modularité n’ont pas fini de nous surprendre.

Le théâtre équestre à Aubervilliers

Le théâtre Zingaro est construit en 1989 pour accueillir les spectacles hippiques de Bartabas, mettant en scène des danseurs, des acteurs, mais surtout des chevaux. L’édifice principal réunit deux fonctions : une salle de spectacle circulaire et assez grande pour y faire courir les chevaux, et juste à côté, l’écurie de la compagnie. 
L’usage exclusif du bois pour une salle de spectacle fut confronté à la question du feu. Il est vrai que les salles en bois brûlaient fréquemment avant l’arrivée de l’électricité. Même si les conditions ne sont plus les mêmes, et tout en sachant qu’une structure en bois est aussi sûre, sinon plus, qu’une en maçonnerie avec son lot de faux plafonds et de revêtements, la crainte persiste. Patrick Bouchain choisit de répondre à ces préoccupations par une surenchère. L’aménagement comprend plus d’issues de secours que ce que requiert la commission de sécurité. Aussi, le caractère inhabituel de la construction, permanente mais démontable, entre le théâtre fixe et la structure foraine, autorise à invoquer une législation moins contraignante : celle en vigueur pour les chapiteaux. L’interprétation de la réglementation permet souvent de trouver des solutions là où une lecture rigide de la loi n’en laisse aucune. Au-delà de ses vertus constructives (rapidité d’exécution, faible coût, réutilisation), le bois joue ici un rôle symbolique. Il participe de la mise en scène du site. Il habite le théâtre, devenant par là même un élément du spectacle. 
Cet usage du bois n’est pas ornemental. S’il constitue un décor, c’est comme peut le faire un théâtre antique pour une tragédie ancienne. Le théâtre Zingaro ne représente pas le milieu qu’il met en scène : il est ce milieu. Ce n’est pas une scène déguisée en structure foraine, c’est une scène qui fonctionne bel et bien sur un mode forain.

La Grange au Lac 

La Grange au Lac est une salle de concert entièrement en bois, construite en 1993 à Evian-les-Bains. La création de cet équipement répondait à un besoin précis : abriter les Escales Musicales d’Evian, festival de musique classique qui a lieu chaque année au mois de mai. Avant la construction de la salle, les organisateurs avaient recours à des chapiteaux provisoires. L’idée initiale des commanditaires était de s’équiper d’une structure éphémère, démontable mais réutilisable, cela pour ne pas recourir tous les ans à la location. 
Au lieu d’un chapiteau aux performances acoustiques médiocres, Patrick Bouchain va suggérer de construire une tente en bois. C’est-à-dire une structure légère mais pérenne, pour le prix d’un chapiteau. 
L’idée séduisit Mstislav Rostropovitch qui présidait le festival, et le projet fut lancé. On fait alors appel à Yves Marie Ligot, le charpentier qui avait bâti le théâtre équestre Zingaro. En étroite collaboration avec l’acousticien Xu Yaying, ils vont concevoir un édifice pouvant accueillir 1200 personnes. 
Le terrain, un bois de pins mélèzes en pente, fixe la disposition de la construction. Le dénivelé des gradins de la salle reprend celui du terrain. Les principes qui régissent la forme du bâtiment sont simples. Ils sont la convergence des impératifs fonctionnels, économiques et éthiques du projet : une salle de concert à l’acoustique irréprochable, avec un très petit budget, capable de s’intégrer dans l’environnement naturel extraordinaire du site. 
La forme de l’édifice ne précède pas l’usage qui doit en être fait. Elle en découle. On n’essaye pas de faire entrer les fonctions dans un concept architectural. Au contraire, on déduit l’architecture des usages de la salle. 
Les rapports volumétriques (hauteur, longueur, largeur) de l’ensemble, traduisent les données acoustiques optimales pour une salle de concert, soit 10 m3 par personne pour que le son soit bien dispersé. Quant au plafond, des panneaux en aluminium assurent la réverbération sonore. 
L’édifice est un parallélépipède recouvert de 14 fermes de 3.5 m chacune. Cette trame détermine à la fois la forme du toit, et la place des balcons intérieurs.

La Condition Publique à Roubaix

Avant d’être un lieu d’exposition, de spectacle et de concert, la Condition Publique fut un entrepôt. Construite en 1901 pour y stocker la laine, elle comportait des grandes halles ainsi qu’une rue intérieure couverte. Les deux espaces de part et d’autre de cette dernière se ressemblaient : il s’agissait de toits terrasses en béton armé, soutenus par des poteaux métalliques hauts de huit mètres. Pour des raisons d’économie (ne pas faire plus que ce dont on a besoin), l’intervention s’est limitée à l’une des deux halles. L’ancienne salle des ventes, dotée d’une verrière, fut entièrement bardée en bois et éclairée par des tubes fluorescents disposés verticalement. L’ouverture zénithale de la salle des ventes et sa façon de transposer au cœur de la halle les qualités lumineuses de la rue couverte va servir de modèle pour la création de la salle de spectacle.
Le percement de la dalle et la surélévation de la toiture ont permis, outre l’apport de lumière naturelle, la création d’un espace technique au-dessus de la scène. La suppression de deux rangées de colonnes, remplacées par des béquilles en bois, offre un volume dégagé pour la scène et les gradins. En plus d’assurer la solidité de la construction, ces contreforts apparents créent une brèche d’ordre chronologique en instaurant un chantier perpétuel au cœur de l’édifice.

Voir article lié, sur les théâtres des Plateaux à la Friche la Belle de Mai à Marseille, livrés fin septembre dernier. 

 

Note

1. Loïc Julienne, Nicole Concordet, Sébastien Eymard, Chloé Bodart, Denis Favret, Marie Blanckaert et Sophie Ricard.

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