Les ba­tailles inu­tiles sont les re­fuge des im­bé­ciles  

La chronique critique de Pierre Frey

Date de publication
07-12-2017
Revision
13-12-2017

Cette forte sentence est attribuée au Maréchal Maurice de Saxe, elle n’est pas vérifiée, mais elle nous semble plausible venant d’un homme qui intitula « Rêveries » ses écrits militaires, au demeurant fort pertinents.

Des mal nommées «cures vaudoises» personne n’est jamais sorti guéri, et elles n’ont jamais logé aucun curé. Elles sont issues de la Réforme et ont été voulues et construites par les Bernois, soucieux d’un maillage du territoire conquis à l’occasion et sous le prétexte de cette institution protestante qu’ils imposèrent aux Vaudois en même temps que leur férule temporelle.

Cet ensemble architectural, empreint d’un classicisme régionaliste à la fois autoritaire et pompeux, est aujourd’hui au centre d’une dispute opaque autant qu’inutile.

D’un côté, l’Etat de Vaud a de légitimes raisons de se soucier des moyens de gérer ce confetti immobilier, désuet et hétérogène dont le rendement peut difficilement couvrir la charge. De l’autre, les défenseurs du patrimoine ont de tout aussi légitimes motifs de prétendre à ce que soient garanties les conditions dignes et rigoureuses de conservation de cet ensemble sensible de par sa substance autant que par son contexte. Pour sec qu’il est, cet énoncé n’en est pas moins logique et inclusif de tous les cas particuliers susceptibles d’être invoqués dans ce dossier.

Les choses se compliquent lorsqu’au-delà de la légitimité tragique des motifs respectifs, on en vient à examiner les ressorts qui animent les uns et les autres. Ego et politique s’en mêlent. Les magistrats et leur cohorte de fonctionnaires pensent devoir faire assaut de libéralisme bien compris, ils se voient en chasseurs de mammouths qu’ils rêvent de «dégraisser». Patrimoine suisse, très occupé à pousser sous le tapis diverses forfaitures, veut surtout faire oublier son avis ayant permis la destruction de la remise des locomotives pour faire place au nouveau MCBA. Le lobby du patrimoine, se souvenant peut-être qu’on fête cette année les 500 ans de la Réforme, veut se refaire et pense que les «cures» sont un sujet suffisamment consensuel et confus pour remporter une victoire. 

Formant un touchant ensemble, l’Etat de Vaud et Patrimoine suisse s’apprêtent ainsi à livrer une bataille inutile parce que chacun campe sur un terrain connu de lui et s’appuie sur la phalange infatigable des pensotteurs paresseux et des idéologues de boulevard.

Pendant ce temps, les cures sont abandonnées à leur triste sort, quelques-unes sont fermées, d’autres hébergent des locataires inquiets de leur avenir. 

Il existe pourtant une solution aussi simple qu’efficace. Le vendeur inscrit au Registre foncier des charges sous forme de droits réels en sa faveur, soit autant de servitudes qui garantissent la conservation des bâtiments dont il entend se séparer. Vendeur et acheteur s’entendent sur le prix qui résulte de ces charges obligatoires, ils font affaire et l’Etat vendeur se contente par la suite de faire respecter les charges inscrites sous forme de servitude. Son administration est équipée pour le faire, elle sait le faire (CAMAC), les efforts bureaucratiques supplémentaires sont négligeables. 

Pour parvenir à ce résultat, il suffirait que l’Etat de Vaud tende la main à Patrimoine suisse, aide cette organisation à s’extraire de sa tranchée. Ensemble, ils constitueraient sous la présidence d’un notaire expérimenté et d’experts en patrimoine architectural une commission qui définira la nature et l’étendue exacte des charges à inscrire sous forme de servitude au Registre foncier pour chacune des cures que l’Etat de Vaud souhaite vendre. Un prix plancher sera défini et le marché dira bientôt à quel prix il estime les charges ainsi posées. On peut prédire sans risque que les spéculateurs et les moutons noirs seront ainsi dégagés et il s’avèrera probablement qu’il existe une large demande solvable d’acheteurs respectueux du patrimoine qui consentiront, qui à garder un comble froid et renoncer à des percements en toiture, qui à conserver une typologie originale, des éléments essentiels ou des dispositifs paysagers spécifiques, et tous en cœur à renoncer à des fenêtres en plastique, des velux, des isolations périphériques et des volets en aluminium. 

Une telle opération serait saluée pour son caractère exemplaire, le vendeur y puisera une légitimité indiscutable et son partenaire sortira grandi de l’aventure. Savoir si la citation attribuée à Maurice de Saxe est vraie ou fausse est sans importance. L’Etat de Vaud et Patrimoine suisse ont dès à présent la responsabilité de faire en sorte qu’elle ne se vérifie pas à leurs dépens.

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