L'éclai­rage ex­té­rieur in­tel­li­gent

Origine de la technologie d’éclairage intelligent et développement en Suisse.

Date de publication
13-04-2016
Revision
14-04-2016

L’époque à laquelle les luminaires à chandelles de Paris étaient allumés par des citoyens désignés annuellement est loin dernière nous. Ces dernières années, des systèmes d’éclairage extérieur dit intelligents ont été développés. Ils modifient entièrement la façon d’éclairer nos rues. L’éclairage à la demande, et selon nos besoins, est à nos portes.
Jusqu’il y a peu, le pilotage de l’éclairage public était uniquement géré par des systèmes centralisés d’enclenchement et déclenchement des luminaires, fonctionnant grâce à des automates reliés à des horaires programmés, des cellules photoélectriques ou des horloges astronomiques.
Depuis quelques années, la gestion des luminaires va aussi au-delà du simple enclenchement/déclenchement, avec des solutions d’abaissement de puissance qui permettent de moduler le flux lumineux des lampes.
Mais c’est seulement avec la démocratisation de la technologie LED, diode électroluminescente, que le pilotage de l’éclairage a pu vraiment évoluer d’un fonctionnement on/off vers les systèmes de gestion dits intelligents. De par sa grande flexibilité, la technologie LED permet notamment de prévoir un enclenchement instantané des luminaires – ce qui n’était pas possible avec les lampes traditionnelles à décharges (~4 minutes) –, une gradation de 0 à 100 % du flux lumineux et des enclenchements/déclenchements fréquents. La combinaison de l’éclairage LED avec les technologies de l’information et de communication, ainsi que le développement de l’Internet des objets ont permis l’émergence de l’éclairage public intelligent.
Le développement des technologies d’éclairage intelligent est très récent puisque la première demande de brevet pour une application dans ce domaine date de la fin des années 1990.
C’est la ville d’Oslo qui a implémenté pour la première fois, en 2006, le plus grand réseau pilotable d’éclairage public en Europe. Le but du projet était de réduire la consommation énergétique de l’éclairage de 50%, d’accroître la sécurité routière et de réduire les coûts de maintenance.
Ce projet a fondé l’initiative E-Street, un groupe de recherche européen se penchant sur les solutions pour réduire les besoins en énergie des systèmes d’éclairage extérieur. Cette initiative a permis d’installer plus de 20 000 points lumineux intelligents à Oslo et de mettre en place un outil pour les gérer. Elle a aussi développé le partage de connaissances relatives à cette thématique grâce à des séminaires, ateliers et la présentation des résultats lors de conférences internationales. Le projet E-Street a pu déterminer que des économies annuelles de 38 TWh pouvaient être réalisées en remplaçant les anciennes installations d’éclairage traditionnel par un éclairage dynamique, soit la consommation annuelle de près de 64% du parc d’éclairage de 2008. Ce projet a fortement influencé les standards et la législation européenne pour les systèmes d’éclairage extérieur intelligent.
La Suisse romande a été pionnière en la matière, en particulier avec l’engagement de la Ville d’Yverdon-les-Bains qui a prévu d’installer ce type de système dans la majorité de ses quartiers. Une première rue a été équipée en 2010 déjà. Le projet a été étendu à tout un quartier en 2013. La suite du projet est en cours et plus de 500 points lumineux traditionnels vont ainsi être remplacés par de l’éclairage LED et dynamique. Ce nouvel éclairage public permettra de réduire la consommation d’énergie de l’éclairage de plus de 50%. A terme, un équipement complet en éclairage LED et dynamique permettra à la Ville de diviser la puissance installée de l’éclairage public par deux et sa consommation d’énergie par quatre. Ceci pourrait être possible à l’échéance 2020-2025.
Depuis, de nombreuses villes suisses ont intégré les systèmes d’éclairage dynamique dans leur stratégie d’éclairage, comme les villes de Saint-Gall, Zurich et Winterthour. Mais les grandes villes ne sont pas les seules à s’engager. De plus petites communes testent également la solution, comme récemment la commune de Blonay.

Un système intelligent avec des économies importantes à la clé

Selon l’agence suisse pour l’efficacité énergétique (SAFE), la consommation de l’éclairage public représente environ 1% de la consommation électrique totale des collectivités publiques. Les dépenses pour alimenter cet éclairage sont évaluées à 150 millions de francs par an. Un bon tiers pourrait être économisé en optant pour des LED dans le cadre de l’assainissement de cet éclairage (entre 40 et 50 % d’économie). Le potentiel d’économie sur la consommation pourrait être encore plus important en intégrant un système dynamique et intelligent (jusqu’à 70% d’économie).
L’éclairage devient intelligent en ajoutant et intégrant différents niveaux de pilotages qui permettent d’aller plus ou moins loin dans ce sens. Un premier niveau de gestion consiste à intégrer des équipements de contrôle des luminaires. Ils permettent d’allumer, d’éteindre ou de modifier l’intensité des lampes et de mesurer leur consommation électrique. Ces «contrôleurs» peuvent fonctionner de manière autonome selon une programmation définie à l’avance. Pour un contrôle plus flexible, ils peuvent être reliés entre eux par une solution de communication (courant porteur, en radiofréquences ou autres), afin de les connecter à un système de télégestion centralisé. Grâce à ce système, il n’est plus nécessaire d’avoir accès à l’armoire électrique de l’éclairage ou au luminaire lui-même pour contrôler ce dernier. L’éclairage peut ensuite être géré à distance en un clic de souris depuis un programme informatique ou un portail web. Au-delà de la gestion de l’éclairage, la commune peut visualiser toute une série d’informations sur son éclairage (consommation, état du point lumineux, tension, puissance, intensité, facteur de puissance, etc.).
Un niveau supplémentaire de pilotage est obtenu en intégrant des capteurs de mouvements (caméras, radars, etc.) aux lampadaires. L’éclairage public fonctionne alors en mode réduit durant certaines heures de la nuit, voire toute la nuit, et les lampadaires s’allument en pleine puissance au passage des usagers de la route. Il est également possible de programmer des niveaux de flux lumineux différents selon le type d’usager. Par exemple, on peut prévoir un flux lumineux à 80% si c’est un piéton qui passe. Une telle installation dynamique ne convient pas à tous les types de rue mais est particulièrement adaptée aux voies dont la fréquentation varie durant les heures de la nuit (axes secondaires, rues de quartier, de zones industrielles, chemins, parcs, etc.). Dans le cas où l’éclairage est déclenché par le passage des usagers plutôt que selon une programmation horaire du flux lumineux, on estime que des économies d’énergie de l’ordre de 70 à 80% sont tout à fait possibles (image).
Pour les axes routiers à fort trafic, un pilotage central ou des luminaires programmés avec un abaissement nocturne autonome sont préférables. Dans le cas des grands axes routiers, il est possible d’estimer les niveaux de trafic selon les horaires de la nuit et de programmer l’abaissement nocturne en conséquence. Les économies d’énergie pour ce type de pilotage sont certes plus faibles que pour l’éclairage dynamique (entre 40 et 60%), mais ce dernier ne serait pas plus efficace dans une telle configuration, essentiellement en raison du fort trafic enregistré à certaines heures.
L’éclairage intelligent ne permet pas uniquement de réduire la facture d’électricité de la commune, c’est également une source d’économies sur la maintenance du parc d’éclairage. Avec les luminaires traditionnels, l’entretien se fait de manière préventive afin de remplacer les sources et nettoyer les luminaires. En plus de cet entretien préventif, des dépannages curatifs sont entrepris en fonction des pannes détectées. Ces différentes interventions sont coûteuses, notamment en raison de la nécessité d’utiliser un camion nacelle, mais pourraient s’avérer encore plus coûteuses si des entretiens préventifs n’étaient pas réalisés. En outre, un éclairage qui n’est pas régulièrement entretenu est moins performant, avec un impact négatif sur la sécurité routière.
Avec un système de télégestion, les pannes peuvent être automatiquement détectées, notamment par des alertes. Les systèmes les plus avancés sont également capables de prévoir la durée de vie des luminaires et donc les maintenances préventives à mettre en œuvre. Cette anticipation et cette maîtrise des besoins permettent de réduire les coûts de maintenance, lesquels représentent environ la moitié des coûts de fonctionnement des parcs d’éclairage extérieur, la consommation d’énergie représentant l’autre moitié.
L’investissement à consentir est le premier frein à la mise en place de systèmes d’éclairage intelligent (LED et systèmes de détection, de régulation et de télégestion) dans le cadre d’un projet d’assainissement de l’éclairage public traditionnel d’une commune. Il faut cependant relever qu’il est moins onéreux d’investir directement dans une solution globale, comprenant à la fois les luminaires et le système de gestion, de façon à mutualiser les coûts d’installation.
Si la mise en place d’un tel système de gestion permet de faire des économies d’énergie supplémentaires, ces dernières ne permettent pas de rentabiliser complètement l’investissement étant donné le bas niveau actuel du prix de l’électricité.
En optant pour un éclairage intelligent, la commune répond donc davantage à un argument stratégique qu’économique. En effet, ce faisant, elle renforce son positionnement durable (réduction de la consommation d’énergie) et améliore la qualité de vie de ses habitants (réduction de la pollution lumineuse) et la sécurité des usagers. Un tel système permet aussi de développer les différents zones et quartiers de la commune par les tonalités et solutions d’éclairage spécifiques.
Un deuxième frein au développement d’un système d’éclairage intelligent par une commune peut résider dans la difficulté à faire le bon choix dans la vaste palette des solutions d’éclairage existantes. La commune doit notamment évaluer ces dernières en fonction de différents critères: technologie de communication, type de détecteurs de mouvements, niveau de sécurité, pérennité et évolution du système, ouverture du système, télégestion ou non et, cas échéant, type de télégestion à privilégier. Une mauvaise évaluation initiale peut engendrer des surcoûts en cas de problème de communication, de maintenance ou de pérennité. Un bon dimensionnement de départ est dès lors essentiel. Il induit une évaluation approfondie des besoins reposant sur une participation active des services de la ville.
Enfin, la réaction des citoyens face à l’installation d’un éclairage extérieur dynamique peut constituer un dernier frein au choix d’un tel système par une commune, en particulier si l’éclairage est combiné à une télégestion. En effet, on relève parfois un a priori négatif sur la collecte des données et l’utilisation de celles-ci. Dès lors, le choix du système – notamment le niveau de sécurité dans la communication – ainsi que la manière de stocker et d’utiliser les données sont importants pour favoriser un accueil positif du nouvel éclairage. A ce titre, le volet du projet portant sur la communication et l’information aux résidents est essentiel afin de présenter le système, la façon dont il sera utilisé et ses avantages.

Un jalon du développement de la Smart City

Au-delà de l’éclairage intelligent, le développement du réseau intelligent est un enjeu d’actualité qui intéresse fortement les villes dans la mesure où il aura un impact important pour le développement durable de celles-ci.
Omniprésents dans les villes, les lampadaires peuvent constituer des supports pour la mise en place d’un réseau de communication nécessaire au développement des applications de la ville intelligente. Les réseaux basés sur les protocoles ouverts en radio-fréquences permettent de ne pas être uniquement limités à la gestion de l’éclairage et de supporter d’autres applications liées à la thématique de la «Smart City», comme la gestion des flux de mobilité (piétons, véhicules, etc.), le monitoring des différentes énergies ou de l’eau, le parking intelligent, etc.
Le choix d’une solution est dès lors stratégique car, plus que l’éclairage intelligent, il concerne la mise en place des premiers équipements, solutions, et systèmes qui permettront ensuite de développer le réseau de la cité intelligente.
On le voit, au-delà des pratiques de gestion et de maintenance du parc d’éclairage, la mise en place de réseaux d’éclairage intelligent peut offrir de nouvelles opportunités à nos villes. Une réflexion a notamment été menée sur le sujet par l’artiste Daan Roosegaarde et le designer néerlandais Chintan Shah, inventeurs d’un système d’éclairage intelligent «à la demande». Roosegaarde s’est interrogé sur la possibilité d’utiliser cette technologie pour rendre la ville intelligente plus humaine, durable et naturelle. Il s’agit de s’éloigner de la machine et de transformer le système en «ami», par exemple en permettant aux ambulances et camions de pompiers de communiquer automatiquement avec les lampadaires et de les faire clignoter en rouge avant qu’ils traversent les rues. Cela permettrait aux usagers de la route de leur laisser le passage libre. Ces nouvelles utilisations peuvent être pragmatiques, mais également divertissantes, par exemple en permettant aux utilisateurs de lancer des scénarios d’éclairage interactifs lors d’occasions spéciales.
Avant d’en arriver à de tels usages, les collectivités publiques ont un choix à faire sur l’évolution de leur parc d’éclairage public. Le choix d’une technologie pérenne et fiable n’est pas forcément aisé face à la multitude de solutions proposées. L’apparente complexité des solutions préparant les «Smart Cities» de demain peut certes freiner leur mise en place, mais en Suisse, des villes pionnières montrent déjà la voie.

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