Le Roi et l’oi­seau

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Une lecture architecturale du Roi et L'Oiseau: La ville-château de Takicardie dessinée par Paul Grimault serait l'une des plus belles créations du style postmoderne et se rapprocherait de la "ville analogue" d'Aldo Rossi.

Date de publication
12-11-2013
Revision
25-08-2015

En regardant Le Roi et l’Oiseau, le formidable dessin animé que Paul Grimault conçut avec Jacques Prévert, on ne sait pas exactement si l’on doit ou non au roi Charles V + III = VIII + VII = XVI (lire « cinq et trois font huit et huit font seize »), monarque tyrannique du royaume de Takikardie, l’invraisemblable ville-château dans où il vit. Roi narcissique et autoritaire, il n’aurait peut-être pas eu la fantaisie nécessaire pour imaginer un tel enchevêtrement de styles. Dans ce palais éclectique, coupoles orientales et tourelles médiévales coexistent avec des colonnades antiques et des buildings austères ; on y reconnaît Rome, Venise, Florence, Chambord ; on s’y sent parfois comme dans un tableau de De Chirico. Souverain mégalomane et tout-puissant, le roi Charles aurait pu, néanmoins, rêver ce palais vertical qui s’élance dans les cieux et que son ascenseur métallique traverse à toute vitesse : les appartements privés du roi, sorte de donjon moyenâgeux perché (comme un oiseau ou un ramoneur  ) sur une colonne ionique, se trouvent, justement, au 296e étage. En multipliant plongées et contreplongées, le film sait habilement explorer cette verticalité : Takicardie est une ville debout, avec le roi (et ses courtisans) en haut et le peuple en bas. Ce dernier vit enfoui dans les masures informes et les ruelles sombres et sordides de la « ville basse », dans laquelle le couple pourchassé formé par la (charmante petite) Bergère et le (misérable petit) Ramoneur (de rien du tout) essaie de trouver refuge. Contrairement à Metropolis (Fritz Lang, 1926), cette « ville basse » n’est pas une cave, mais un ersatz des banlieues, dixit Paul Grimault
lui-même.
En regardant aujourd’hui la ville-château de Takicardie, il est difficile de ne pas y voir l’annonce, sinon l’une des plus belles créations du style postmoderne. Takicardie n’est pas (encore) le simulacre kitsch et nouveau riche auquel nous ont habitués les villes du jeu et les parcs d’attractions, mais plutôt la « ville analogue » dont parlait Aldo Rossi dans L’architettura della città (1966) : un lieu de mémoire collective, un véritable artefact chargé de valeurs symboliques et affectives. Comme Grimault, Rossi affectionne et combine dans ses dessins des formes élémentaires et abstraites avec des références historiques ; comme Grimault, il se laisse hanter par les architectures métaphysiques et fantasmatiques de De Chirico ; comme Grimault, enfin, il conçoit la pratique du dessin comme un acte poétique.

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