Le Prix Aga Khan d’Ar­chi­tec­ture, «pour amé­lio­rer le cadre de vie»

Référence importante dans une partie significative des pays du globe, notamment dans le monde musulman, le Prix Aga Khan d’Architecture demeurait jusqu’à récemment relativement confidentiel en Europe et en Suisse. L’adaptation aux conditions climatiques, l’implication des habitants dans le processus du projet ou encore l’emploi sensible de matériaux locaux, sont autant d’enjeux portés dès la création du prix et qui sont de plus en plus revendiqués dans les pratiques des jeunes architectes, ici et ailleurs. Le Prix Aga Khan jouit-il d’une attention croissante? Et si oui, pourquoi? Farrokh Derakhshani, directeur du prix, revient sur les origines de la distinction et commente les résultats de la dernière édition.

Date de publication
08-11-2019

Le Prix Aga Khan d’Architecture a été créé en 1977. Le monde de l’architecture regardait alors essentiellement vers l’ouest. Si l’on se réfère aux grands textes qui ont marqué ces années-là, ceux-ci s’intéressaient presque exclusivement aux modèles et contre-modèles étasuniens tels que Las Vegas ou New York1. Cette décennie, marquée par les deux chocs pétroliers, aura remis en cause un couple qui était jusque-là uni: progrès technologique et progrès social. Le Mouvement moderne touche alors à sa fin. Les architectes, saisis d’effroi, prennent conscience d’un monde devenu fragile et fini, et se tournent peu à peu vers d’autres modèles. C’est alors qu’au même moment, en 1969, l’architecte égyptien Hassan Fathy publie au Caire, Gourna, a Tale of two villages. Le livre rencontre un immense succès au-delà du monde arabe et sera traduit en plusieurs langues2. Le manifeste situé relate la construction d’un village pour des paysans près de la ville de Louxor. Fathy, qui sera le premier architecte à recevoir le Chairman’s Award du Prix Aga Khan, y décrit minutieusement son projet qui embrasse des enjeux tels que l’utilisation responsable de matériaux (brique de terre), l’adaptation aux conditions climatiques, l’implication des habitants dans les processus... Autant de thèmes longtemps portés par le Prix Aga Khan et qui aujourd’hui semblent de nouveau faire consensus dans les pratiques contemporaines de beaucoup de jeunes architectes en Europe. Près de 40 ans après la création du prix, les contextes géopolitique et économique ont bien changé. Pour les architectes, les enjeux en termes d’aménagement du territoire et de responsabilité sociale et environnementale demeurent.

Tracés : Pouvez-vous revenir sur la genèse du prix?
Farrokh Derakhshani :
Dans les pays en voie de développement, l’après Seconde Guerre mondiale coïncide avec les mouvements de décolonisation et la fin des grandes politiques expansionnistes. Au cours des années 1960-1970, une bonne partie des populations des pays du tiers-monde ont connu une forte dégradation de leur qualité de vie. Le Prix Aga Khan est né à ce moment précis pour promouvoir une approche qui cherche à améliorer la qualité de vie de ces populations par le cadre de vie. Et l’architecture y joue un rôle très important.

Parlez-nous de la première édition du prix. Quels projets a-t-elle récompensés?
Le prix a été créé en 1977. La procédure de sélection durant trois ans, la première volée des lauréats date de 1980. À l’époque, les restaurations patrimoniales, les revitalisations des bidonvilles, l’architecture du paysage ou encore les ouvrages de génie civil n’étaient pas considérés comme des œuvres de premier plan. Pour ce premier prix, le jury a décidé de récompenser 15 projets. Parmi eux, un projet de château d’eau au Koweït et l’amélioration des bidonvilles à Djakarta. Je crois que le Prix Aga Khan a contribué à aider à changer les regards sur ce type de réalisations.

Le Prix Aga Khan est la première distinction architecturale internationale. En quoi, selon vous, a-t-il contribué à l’architecture?
Aujourd’hui, heureusement, on parle beaucoup du rôle social de l’architecte. Il y a 50 ans, ce n’était pas évident pour tout le monde. Le Pritzker ou la médaille d’or décernée par l’Union internationale des architectes (UIA) sont destinés à des architectes. Dès ses débuts, le Prix Aga Khan a toujours récompensé des projets, et non des architectes. Nous n’avons jamais envisagé l’architecture comme un acte héroïque mais comme une approche collective incluant le maître d’ouvrage, les architectes, les ingénieurs, les artisans et les habitants.

Quelle aire géographique ou culturelle couvre le prix?
Le prix ne couvre pas un périmètre géographique précis. Au commencement, il s’intéressait et s’intéresse toujours aux aires habitées par les communautés musulmanes. Mais depuis 50 ans, de profonds bouleversements démographiques ont changé la donne. Par exemple, aujourd’hui, la communauté musulmane est plus importante en France qu’aux Émirats arabes unis. Les frontières géographiques sont plus perméables. Au-delà de cet aspect, le prix défend des enjeux contemporains : le développement durable, les actions à taille humaine ou encore l’adaptation aux changements climatiques. Les questions de lieu, de matériau et de climat sont universelles.

Pourquoi le prix ne deviendrait-il pas une distinction internationale?
Parce qu’il en existe déjà tellement...

Ce printemps, vous avez annoncé la liste des 20 projets présélectionnés pour l’édition de 20193. Selon vous, quelle est la singularité de cette édition par rapport aux précédentes?
Si je m’en réfère à la sélection du jury, la notion d’espace public semble redevenir un enjeu important. Je pense par exemple au projet de revitalisation de Muharraq à Bahreïn (lire p. 12) et à la réhabilitation de l’avenue Enghelab à Téhéran.

Farrokh Derakhshani est architecte et directeur du Prix Aga Khan d’Architecture.

Notes

 

1. Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour publient Learning from Las Vegas en 1972. Rem Koolhaas publie New York Délire en 1979.

2. Le titre choisi pour l’édition en langue française datant de 1970 est Construire avec le peuple.

3. Les 20 projets présélectionnés ont été annoncés le 25 avril 2019. Les six lauréats ont été proclamés le 25 août 2019.

Jury de l’édition 2017-2019

 

Elizabeth Diller (présidente), Anthony Kwamé Appiah, Meisa ­Batayneh, Sir David Chipperfield, Nondita Correa Mehrotra, Edhem Eldem, Mona Fawaz, Kareem Ibrahim, Ali M. Malkawi


Lauréats du prix 2019

 

Revitalisation de Muharraq, Bahreïn

Maître d’ouvrage : Shaikha Mai Al-Khalifa, Autorités pour la Culture & Département de Conservation des Antiquités, Manama, Bahreïn

Architecte: Autorités pour la Culture & Département de Conservation des Antiquités, Manama, Bahreïn

Conception: 2010-2013, réalisation : 2013 - en cours

 

Musée palestinien à Birzeit, Palestine

Client: Taawon-Welfare Association / Musée Palestinien, Ramallah, Palestine

Architecte: heneghan Peng Architects, Dublin, Irlande

Conception: 2012-2013, réalisation : 2016

 

Projet éducatif Arcadia, Sud Karnachor, Bangladesh

Maître d’ouvrage: Maleka Welfare Trust, Dhaka, Bangladesh

Architecte: Saif Ul Haque Sthapati, Dhaka, Bangladesh

Conception: 2012-2014, réalisation: 2016

 

Unité d’enseignement et de recherche de l’Université Alioune Diop à Bambey, Sénégal

Maître d’ouvrage : ACBEP, Ministère de l’Urbanisme & Ministère de l’Enseignement supérieur, Dakar, Sénégal

Architecte: IDOM, Bilbao, Espagne

Conception: 2013-2014, réalisation: 2017

 

Centre Wasit Wetland de Sharjah, Émirats Arabes Unis

Maître d’ouvrage : Autorités pour l’Environnement et les Zones Protégées, Sharjah, Émirats arabes unis

Architecte: X-Architects, Dubaï, Émirats arabes unis

Conception: 2012, réalisation: 2015

 

Programme de développement des espaces publics au Tatarstan, Fédération de Russie

Maître d’ouvrage: La République du Tatarstan, Fédération de ­Russie – Natalia Fishman-Bekmambetova, conservatrice

Architecte: Architecturny Desant Architectural Bureau, Kazan, Tatarstan, Fédération de Russie
Conception: 2015-2022, réalisation: 2017 - en cours

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