Le mu­sée ins­tru­men­ta­lisé

Editorial paru dans Tracés n°02/2015

Date de publication
28-01-2015
Revision
10-11-2015

Quel est le sens de la multiplication des nouveaux musées qui font leur apparition un peu partout dans le monde, mais aussi en Suisse ? La réponse toute évidente, celle qui y voit un développement de l’offre culturelle suite à une demande croissante de la part des publics, ne suffit pas à expliquer le phénomène dans toute son ampleur. Nous le savons depuis les années 1970 et l’expérience du Centre Pompidou à Paris : un nouveau musée peut jouer un rôle considérable dans la requalification urbaine en accordant aux efforts entrepris une visibilité difficilement atteignable par le seul travail sur le tissu urbain. 

Le nouveau musée, transformé en fer de lance d’une rénovation urbaine, en devient le symbole. Il en incarne la dynamique et en garantit la réussite. Nous avons pris l’habitude d’appeler cette instrumentalisation d’un équipement culturel « l’effet Bilbao ». La dérive de cette méthode ne se fait pas attendre. Des institutions, écrins prestigieux sans véritable raison d’être, se multiplient. Sans nécessairement répondre à une demande réelle, ils accompagnent des projets de développement ou de requalification. Des nombreuses fondations qui essaient de tirer profit d’une activité prestigieuse aux grandes institutions muséales qui vendent des annexes clé en main, les nouveaux musées à l’ère du capitalisme tardif font part d’une logique entrepreneuriale de développement et de rentabilité. 

Ce numéro tente d’y voir plus clair en comparant deux musées apparentés, mais qui fonctionnent différemment sur le plan du projet urbain : le musée d’ethnographie à Genève et le musée des Confluences à Lyon. Le premier est un projet discret, proportionné, qui conçoit son insertion dans le tissu existant comme de la microchirurgie réparatrice. Tout à l’opposé, le musée des Confluences rejoue à une moindre échelle l’effet Bilbao. Dynamique, exubérant, il incarne les efforts pour renouveler la partie de Lyon qui se trouve au sud de la gare Perrache. Nous sommes face à deux modèles distincts : d’un côté le projet fruit d’une négociation tendue et qui répond à une demande précise. De l’autre, un instrument pour faire la ville. Au final, le MEG serait un musée qui précède et conditionne le dispositif architectural qui va l’accueillir tandis que Confluences se sert d’un projet culturel pour justifier un geste architectural. Sans nécessairement condamner le second modèle, force est de constater qu’il peut bien plus facilement donner lieu à des projets équivoques. Si Confluences se tire d’affaire, c’est parce que le projet muséographique répond à une question de société d’une grande actualité. Celle du rôle de l’exposition ethnographique dans nos sociétés post-industrielles et prétendument postcoloniales. Comment élaborer un récit commun avec ceux qu’on a relégué à la marge de l’histoire nationale ? Les réponses apportées à cette question par les deux musées constituent, malgré ce qui les sépare, le fondement de leur légitimité.

Ce numéro est aussi l’occasion de lancer une nouvelle rubrique qui va nous accompagner pendant un an. Un numéro sur deux, Pierre Frey reviendra sur un objet du patrimoine urbain et architectural suisse. Travaillant à partir des Archives de la construction moderne, autour d’une polémique ou d’un nouvel enjeu, il s’efforcera d’en restituer la richesse et la complexité.

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