His­toire et de­ve­nir de trois mu­sées

La constitution du pôle muséal par l’agrégation du mcb-a, du mudac et de l’Elysée laisse des vides dans la cartographie culturelle lausannoise. C’est en particulier le cas de la maison de maître abritant aujourd’hui le musée de la photographie, qui ne sera plus un lieu d’exposition.

 

Date de publication
18-11-2015
Revision
04-12-2015

Le pôle muséal lausannois, qui réunira en un « quartier culturel » le Musée cantonal des beaux-arts (mcb-a), le mudac et l’Elysée, se dessine peu à peu. Dans la capitale vaudoise, l’idée de réunir plusieurs institutions sur un site commun n’est pas inédite, elle avait déjà germé dans l’esprit des acteurs politiques et culturels lausannois à partir de la seconde moitié du 19e siècle. Cette vision s’était alors matérialisée dans le Palais de Rumine, qui a abrité dès ses débuts et jusqu’à ce jour le mcb-a1. Le bâtiment de la place de la Riponne, aux forts accents de Renaissance florentine, est édifié de 1891 à 1906 sur les plans de l’architecte lyonnais Gaspard André, concrétisant ainsi la « volonté du Canton de se doter d’une université, sur le plan matériel, mais aussi institutionnel »2. Le programme du concours, lancé en 1889 par la Municipalité, définissait avec précision les locaux du futur bâtiment – notamment la bibliothèque cantonale ainsi que des salles pour abriter les collections scientifiques, historiques et des beaux-arts. 

« Sur le plan typologique, la réalisation d’un bâtiment réunissant sous le même toit plusieurs fonctions à vocation culturelle est une ambition fréquente au 19e siècle. En 1849 déjà, l’architecte Melchior Berri érigea à Bâle le musée de l’Augustinerstrasse regroupant musées des beaux-arts, d’archéologie et d’histoire naturelle, bibliothèque publique, aula et locaux d’enseignement pour la chimie et la physique. »3 Mais voilà, tous ne sont pas séduits par ce concept de mise en commun. Dès la genèse du Palais de Rumine, une minorité libérale du Conseil communal « reproche en premier lieu au projet de chercher à rassembler trop de services différents dans le même espace »4. Si l’idée de réunir des musées sous un même toit est défendable, l’impossibilité pour chaque musée de croître est en revanche rédhibitoire. Le manque d’espace se fait rapidement sentir, le mcb-a est à l’étroit « et le projet de réaliser un nouveau musée en site propre demeure d’actualité »5

« Cela fait plus de trente ans que le mcb-a n’organise que des expositions temporaires, en raison précisément de ce manque de place  », soutient son directeur, Bernard Fibicher. Dans son nouvel écrin, le musée disposera de près du triple d’espace pour présenter des expositions temporaires et permanentes, idem pour les dépôts. « Le départ prochain du mcb-a et du Parlement6 offre un formidable potentiel de développement pour les autres musées abrités dans le Palais de Rumine. Et permettra au mcb-a de retrouver une identité claire, car le Palais de Rumine s’apparente actuellement à un multiplexe », continue le directeur du mcb-a. On retrouve le doute émis par la minorité du Conseil communal il y a plus d’un siècle. 

Les demeures du mudac et l’Elysée 


Si le Palais de Rumine a immédiatement eu une affectation culturelle et scientifique, ce n’est pas le cas des bâtiments qui abritent l’Elysée et le mudac, tous deux à l’origine pensés comme lieux d’habitation. 

La maison Gaudard, écrin du mudac depuis quinze ans, est située dans le centre historique de Lausanne, à quelques encablures de la Riponne. Elle doit son nom au lieutenant Gaudard, qui lui a donné son aspect actuel en la faisant reconstruire vers 1670. Elle est rachetée plus tard par le Canton et sert de préfecture jusqu’à la fin des années 1990, date à laquelle l’édifice, passé en mains de la Ville, est transformé en musée. Charmante, la bâtisse est devenue inadaptée. La directrice du mudac, Chantal Prod’Hom, explique : « J’apprécie la maison Gaudard pour ses vieilles pierres du 17e siècle et pour l’impression d’intimité qu’elle procure, mais elle est faite de strates et manque cruellement de fonctionnalité et de flexibilité. Nous n’avons pas de monte-charge et les portes mesurent 80 cm de largeur, ce qui restreint drastiquement la palette d’objets que nous pouvons exposer. Nous manquons aussi de place pour les dépôts qui sont aujourd’hui externalisés. » 

Après le départ du mudac, l’affectation du bâtiment devrait demeurer culturelle. « A ce stade, personne n’a de réponses précises quant à la future affectation de la Maison Gaudard. Il y aura peut-être des ateliers d’artistes ou des espaces d’exposition. C’est en tous les cas certain que cet endroit restera un lieu à tonalité culturelle », poursuit la directrice du mudac.

Ce qui semble ne pas être le cas de la maison de maître construite dès 1780 sous la direction de l’architecte Abraham Fraisse abritant aujourd’hui le Musée de l’Elysée. La bâtisse, achetée en 1971 par l’Etat de Vaud, est alors entièrement restaurée et en partie aménagée en musée. Elle accueille d’abord le Cabinet cantonal des Estampes, puis, dès les années 1980, un musée pour la photographie. « Dans un premier temps, l’accent a été mis sur la photographie classique et l’histoire de la photographie, raconte Tatyana Franck, directrice de l’Elysée. Aujourd’hui, le musée accorde davantage de place à la création contemporaine. » 

A l’Elysée, comme au mudac et au mcb-a, le manque d’espace – et donc l’impossibilité de proposer des expositions permanentes – et les conditions de conservation rendent la mission culturelle difficile. « Le futur musée nous permettra de tripler nos réserves et doubler l’espace d’exposition. Nous serons enfin dans les conditions idéales pour des expositions d’envergure. » 

Reste que la future affectation de la maison de maître peut surprendre. Si elle accueille aujourd’hui des conférences intercantonales et des hôtes dits de marque ainsi que le musée, il semble qu’elle n’aura à l’avenir plus aucun espace dédié à la culture. « La maison de maître actuellement occupée par le musée reviendra au Canton et sera utilisée comme une maison de réception au sens large. Les jardins, propriété de la Ville de Lausanne, resteront, eux, accessibles au public », indique la directrice du musée.

Des liens entre les disciplines

 
Le futur pôle muséal va ainsi permettre aux trois institutions de résoudre des problèmes de superficie et de fonctionnalité. Mais aussi de tisser des liens entre elles et de créer des espaces mutualisés, comme la cafétéria et le centre de documentation. Le mudac et l’Elysée, superposés, partageront le même bâtiment. « Tant mieux, car les deux disciplines – design et photographie – ont beaucoup de choses à se dire », se réjouit Chantal Prod’Hom. « Le pôle nous permettra de penser au-delà des disciplines. Nous imaginons donc des résidences d’artistes, des expositions communes et des projets encore impossibles dans la maison actuelle », renchérit Tatyana Franck. D’ailleurs, les trois directeurs des musées et les deux conservatrices des fondations Toms Pauli et Félix Vallotton – dont les sièges seront intégrés au futur bâtiment du mcb-a – sont déjà en étroite relation, grâce au Conseil de direction du pôle muséal, créé à l’instigation du Conseil d’Etat et chapeauté depuis le printemps dernier par Chantal Prod’Hom. Une structure qui se donne ainsi les moyens de préfigurer, ensemble, ce que sera ce pôle muséal.

 

 

Notes

1. Le Musée cantonal des beaux-arts, créé en 1841, a d’abord été installé dans le musée Arlaud. 

2. Bruno Corthésy, Le Palais de Rumine, Guides de monuments suisses, Société d’histoire de l’art en Suisse, 2008, p. 4.

3. Ibid., p. 29. 

4. Ibid., p. 13.

5. Ibid., p. 42. 

6. Le Parlement vaudois déménagera une fois son nouvel écrin livré. Le concours lancé en 2007 par le Conseil d’Etat, portant sur la construction du nouveau bâtiment pour le Grand Conseil, a été remporté par les architectes lausannois Atelier Cube SA et barcelonais Bonell & Gil, et par les ingénieurs civils du bureau d’études liégeois Weinand. Le chantier a débuté au printemps 2014, et l’inauguration est prévue en 2017.

 

Les halles de 1911

Deux choses essentielles sont à regretter concernant l’évolution du projet de pôle muséal lausannois. D’une part, la future affectation de la maison de maître qui abrite aujourd’hui le Musée de l’Elysée et qui n’aurait, une fois que ce dernier aura quitté les lieux, plus d’espace dédié à la culture. D’autre part, la construction du nouveau mcb-a prévoit la destruction des halles CFF, érigées en 1911 suite au besoin croissant de nouvelles infrastructures lié à l’augmentation du trafic ferroviaire. Laurent Chenu, conservateur des monuments et sites, décrit dans un document1 la valeur patrimoniale de l’ouvrage, inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis la fin des années 1990 : « Typique de l’architecture ferroviaire et industrielle du début de ce siècle, la construction laisse entrer, par de généreuses ouvertures dans les façades longitudinales et en toiture, un large éclairage naturel. (…) D’excellente facture, l’ensemble de la construction de 1911 est aujourd’hui en bon état général et ne présente pas de défauts majeurs résultants de sa mise en œuvre. (…) Sa pérennité couplée à l’exceptionnalité de sa typologie et à son caractère unique dans le contexte ferroviaire de Suisse romande font du dépôt des locomotives de 1911 un édifice remarquable et particulièrement bien inscrit dans son site. (…) Il s’agit d’un monument d’importance régionale (qui) possède une valeur de classement. (…) La valeur patrimoniale de ce site historique tient autant à l’affirmation du plateau horizontal constitué par l’installation ferroviaire qu’à son entité formelle étirée, si particulière. »

1. « Lausanne – dépôt des locomotives. Histoire, modifications et pérennité de l’ouvrage », Canton de Vaud, service immeubles, patrimoine et logistique ; section monuments et sites, Laurent Chenu, conservateur des monuments et sites, 15 novembre 2010

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