Le Grand Pa­ris du sé­pa­ra­tisme so­cial*

Dans cet essai, Hacène Belmessous fait le procès d’un projet d’urbanisme d’essence néolibérale qui ne fait que stimuler le séparatisme social déjà à l’œuvre dans la région parisienne. Il en mesure les effets délétères dans le département de la Seine-Saint-Denis, classé au deuxième rang des plus riches de France, mais qui accueille les populations les plus pauvres de la région Île-de-France, et aura payé un lourd tribu à la pandémie.

Date de publication
16-06-2020

Dans cette période d’épuisement de nos certitudes d’hier, les débats sont dominés par la voix de l’apaisement, comme si la pandémie avait joué le rôle de catalyseur d’un dialogue intérieur. Dans la ferme conviction qu’il y aura un après, nombre de praticiens de la ville proclament en effet que plus rien du «modèle» néolibéral n’y survivra. Autrement dit, le SARS-CoV-2, cette secousse qui a ébranlé le milieu vivant – et donc l’une des activités créatrices humaines majeures, l’urbanisme des villes –, devrait lever en nous l’expérience bienheureuse d’un urbanisme du renouveau. L’influence retrouvée du volontarisme d’État et les prophéties sur l’impératif de sortir du jeu de la finance ces biens communs que sont les services publics, en matière de santé, de transports, de logement, sont-elles le signe d’une rupture totale avec l’urbanisme du séparatisme social qui organise la ville occidentale?

Cette notion d’urbanisme du séparatisme social fait écho à ce que nous observons dans l’organisation sociale des métropoles, à savoir leur aménagement selon les principes de l’entre-soi classiste. Afin de préserver leur position sociale, les catégories aisées paient en effet au prix fort une aire urbaine choisie, un environnement qui réunit à leur bénéfice un voisinage de même rang et une école de bonne réputation pour leurs enfants. Pour répondre sans partialité à cette question, le projet du Grand Paris1, l’incarnation en Europe d’un univers social soumis aux règles de l’avoir sur l’être, est le révélateur parfait de cette relation immédiate et toujours recommencée entre la finance et la ville.

Une sociologie francilienne impactée

Le Grand Paris est le projet urbain le plus important en cours en Europe occidentale. Sa portée est en effet exceptionnelle car les objectifs qu’il mobilise mettent en scène une nouvelle cartographie de l’Île-de-France, quand bien même il traversera avant tout quatre départements: Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine. Ce projet est en train d’impacter tous les pans de la vie urbaine: les transports à travers les nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express; l’habitat, étant entendu que les nouvelles stations de métro vont amorcer un boom immobilier autour des gares concernées, ces nouveaux quartiers constituant de nouveaux lieux de vie avec leurs propres services publics (écoles, crèches, administrations communales et départementales) et une nouvelle offre commerciale; l’emploi, car les pôles économiques seront reconfigurés à l’aune de ces nouveaux microterritoires. La sociologie francilienne sera elle aussi impactée. Les observations d’opérations similaires (à New York et à Londres pour ne citer que deux exemples de villes-monde dont les processus d’aménagement se rapprochent de celui en cours dans le cadre du Grand Paris) ont révélé des mutations sociales significatives, les catégories sociales aisées étant les populations ciblées par cet urbanisme qui valorise une sélectivité socio-spatiale.

Bien qu’il soit gouverné selon un cahier des charges et des modalités fixées par les pouvoirs publics, qui déterminent sa programmation, son calendrier, et désignent les constructeurs des différentes gares du Grand Paris Express; qu’en outre les nouveaux quartiers d’habitation sont bâtis en fonction de choix urbains opérés par les instances politiques communautaires (le logement n’est pas une compétence municipale mais intercommunale), ce Grand Paris en construction est dans les faits d’essence libérale. Ses choix programmatiques valident une logique de rentabilisation économique des produits immobiliers, à rebours donc des urgences sociales. Tandis que le nombre de demandeurs de logements sociaux grossit chaque année depuis plus de quarante ans2, on constate que les velléités de mixité sociale dans l’accès à la ville pour tous, d’un Grand Paris qui serait pensé comme un régulateur des fractures socio-urbaines, n’ont pas dépassé le stade de la déclaration d’intentions. Partout, l’accession à la propriété domine, à des prix d’achat au mètre carré compris entre 5 000 et 8 000 euros, des montants dissuasifs pour la majorité de la population.

Par ailleurs, les promoteurs politiques de cette opération s’en sont remis dans sa genèse à une méthode d’autorité. Afin d’éviter qu’il ne soit menacé dans ses fondements par des oppositions locales, et pour stopper toute contestation devant les tribunaux administratifs, l’État français a usé d’une arme diabolique en matière d’urbanisme: l’inscription de tous les programmes proches de son périmètre d’interventions dans cette procédure qui déroge au droit commun qu’est l’opération d’intérêt national (OIN)3. En établissant en règle de valeur la nécessité de protéger coûte que coûte les investissements de la chaîne immobilière – les multinationales du bâtiment, les promoteurs immobiliers, les banques –, l’État a voulu leur garantir un environnement social sans nuages pour la bonne marche de leurs affaires. Il est vrai que ce grand projet est l’instrument stratégique dans la compétition qui oppose Paris à Londres pour la «place» de ville-monde de l’espace européen.

Un Grand Paris rentable

Dans cette mise en forme, le déploiement de ce projet est en train de créer les conditions d’une nouvelle cartographie sociale de la première couronne francilienne. Nous pensons particulièrement ici au département de la Seine-Saint-Denis qui abrite les populations les plus pauvres de la région Île-de-France et incidemment, le plus grand nombre de quartiers d’habitat social. Une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)4, rendue publique en février dernier, en dressait un portrait social brûlant. Deux fois supérieur à la moyenne française, le taux de pauvreté y impactait en 2017 27,9% de sa population. En outre, avec 85'200 allocataires du revenu de solidarité active (RSA) en 2018, une allocation destinée aux personnes sans ressources, c’est plus de 11% de sa population qui est couverte par cette prestation. Heureusement, le système de protection sociale permet de réduire partiellement ces inégalités. Les statisticiens considèrent en effet que sans cette redistribution, le taux de pauvreté y serait encore plus élevé (39,4%). Un autre indicateur porte en lui les traits de la relégation sociale subie par une part importante des habitants de ce département, celui qui évalue les écarts de ressources. Ainsi, le niveau de vie médian annuel en Seine-Saint-Denis, 17'310 euros en 2017, est loin des deux autres départements directement «travaillés» par le Grand Paris, Paris mise à part. L’écart est de 9'780 € avec les Hauts-de-Seine et de 4'980 € avec le Val-de-Marne. Citons enfin ce dernier indicateur, les situations de mal-logement dans ce département perdurent, comme en témoignent le développement des habitations de fortune ou le nombre de places en hébergement d’urgence (2'110 places fin 2018).

Le Grand Paris y impulsera-t-il un processus associant urbanisme et redistribution sociale? Au regard des premiers programmes immobiliers engagés, leur dénominateur commun est qu’il privilégie les catégories sociales les plus aisées aux yeux «marchands» de la chaîne de l’immobilier. L’exemple de Saint-Ouen l’Aumône est significatif de cette option idéologique. Son maire, élu en mars 2014, exploite tambour battant le projet du Grand Paris pour en finir avec le monde d’hier. Après avoir fait voter en conseil municipal le changement de nom de sa commune – désormais appelée d’un plus bucolique Saint-Ouen-sur-Seine – pour la déraciner de son identité de banlieue rouge (le parti communiste y fut longtemps aux commandes), puis repris tous les bâtiments, propriétés de la Ville, jusqu’alors cédés à des associations dont l’action est inspirée par les valeurs de l’éducation populaire5, cet élu multiplie les cessions foncières au bénéfice des promoteurs immobiliers.

Saint-Ouen l’Aumône n’est pas isolée. Bobigny (Lire l'encadré ci-dessous) et Aubervilliers sont significatives de cette logique séparatiste de l’urbanisme du Grand Paris. Aubervilliers est une commune de près de 90'000 habitants. Très étendue, elle est proche de Saint-Denis et de la Courneuve, mais également limitrophe des 18e et 19e arrondissements parisiens. Cette cité autrefois industrielle est aujourd’hui le refuge des SDF, des campements de sans-papiers éjectés de Paris, et des populations rom que les chasses policières épuisent. Se promener le long du canal Saint-Denis, depuis la station de métro Corentin Cariou (19e arrondissement de Paris), c’est côtoyer cette face brute d’une commune où vient s’écraser cette misère du monde, qui ne subsiste que grâce au soutien solidaire des associations communautaires et des ONG. Cet Aubervilliers socialement échoué s’observe également dans son centre-ville délabré et dans les quartiers d’habitat social que plus de quarante années de politique de la ville6 n’ont pas réussi à relever socialement. Depuis l’émergence du Grand Paris, nous assistons à la construction d’un Aubervilliers parallèle. À proximité d’une autre station de métro, Fort d’Aubervilliers, a été ouvert durant la rentrée scolaire 2019-2020 le Campus Condorcet. Il fédère des institutions de recherche en sciences sociales et humaines notoires, auparavant localisées à Paris: l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’École nationale des Chartres, l’Institut national des études démographiques (INED), le CNRS, etc. Ce vaste ensemble cohabite, à distance, avec une enfilade d’entrepôts tenus depuis la fin des années 2000 par des grossistes asiatiques, une plateforme dont l’activité est portée par l’industrie textile, des articles venus de Chine puis réexpédiés à travers l’Europe entière. Dans ce paysage de chantiers, des bâtiments anciens et délabrés, hier habités par des populations en situation précaire, sont frappés chaque mois d’un avis de démolition, remplacés par des immeubles de logements destinés couramment à l’accession à la propriété.

Une nouvelle cartographie sociale de la Seine-Saint-Denis

Ce qui est en question ici, ce n’est pas seulement la recomposition sociale de l’ex-banlieue rouge, du moins de celle qui est proche de Paris, mais également la représentation collective de cette nouvelle organisation spatiale. Car aux yeux des stratèges de l’urbanisme néolibéral, ce Grand Paris en marche doit réajuster les frontières de la capitale française. De la même manière que le quartier de la Défense répondait à la nécessité de donner à Paris à la fin des années 1970 un quartier d’affaires digne de son ambition de capitale européenne – ce que ses capacités foncières ne lui permettaient pas intramuros –, le Grand Paris est supposé lui conférer la taille critique dans sa configuration statutaire en ville-monde. Or les communes de Seine-Saint-Denis, qui s’alignent sur un axe allant de Saint-Ouen à Bagnolet, abritent d’importantes réserves foncières. Aussi, après avoir jeté son dévolu sur celles qui sont desservies par une ligne de métro – une nécessité pour répondre aux désirs de connexion rapide avec la capitale des classes moyennes et moyennes supérieures qui en déménageaient –, le lobby marchand de la chaîne immobilière a entrevu dans les gares du Grand Paris Express construites en Seine-Saint-Denis une opportunité formidable de construire ces quartiers résidentiels à l’exclusive attention des classes moyennes. C’est du reste déjà une structure spatiale refondée selon les critères de l’urbanisme marchand qui est en train d’émerger dans ce territoire. Alors qu’il concentre le plus grand nombre de quartiers en politique de la ville, le département est classé au deuxième rang des plus riches de France, avec un PIB qui représente 2,5% des richesses nationales. Il abrite une adresse, La Plaine Saint-Denis, hier une zone industrielle sans qualité, aujourd’hui un pôle de compétitivité de dimension internationale dans les domaines de la recherche et de l’innovation. Le Stade de France et les sièges sociaux flamboyants de la SNCF, BNP Paribas, Véolia, Ubisoft, etc. participent de cette mutation géographique. Si l'essor des emplois en Seine-Saint-Denis figure parmi les plus élevés du pays, cette dynamique ne profite que très partiellement aux habitants des quartiers populaires. Plus de 70 % des emplois hautement qualifiés sont occupés par des non-résidents, soit le plus fort taux de France métropolitaine7. La cartographie sociale de la Seine-Saint-Denis sera bientôt hiérarchisée en trois strates : dans la première couronne parisienne, les quartiers des nouvelles «élites résidentielles» du Grand Paris; dans les grands ensembles, une population fragile, économiquement précaire et jamais insérée dans le droit commun ; enfin, les communes maintenues à distance du Grand Paris, Epinay-sur-Seine, Aulnay-sous-Bois ou Stains par exemple, dont le destin est d’être le réceptacle des disqualifiés du Grand Paris.

Urbanisme et pandémie

Vu l’ampleur de la pandémie dans ce département, pouvait-il en être autrement? De toute évidence, son impact social décrit l’intensité de la violence gouvernée par cet urbanisme du séparatisme social. Pour prendre la mesure de ces dégâts sanitaires et sociaux, il faut rappeler que ce département est le plus grand désert médical de France. On y compte 66,5 médecins généralistes pour 75 000 habitants. En Île-de-France, cette densité s’élève à 92,5. À Aubervilliers, on dénombre seulement 13 spécialistes de premiers recours (gynécologue, ophtalmologue, pédiatre…). Dans ces circonstances immédiates, les contraintes liées au confinement dû au SARS-CoV-2 y furent inévitablement très pénibles pour les habitants. Leur condition de relégués de la République dit d’ailleurs tout le ressenti vécu. D’après une étude de l’Observatoire régional de la santé (ORS) en Île-de-France, la Seine-Saint-Denis a enregistré une hausse de 118,4% du nombre de décès entre le 1er mars et le 10 avril, par rapport à la même période l’an dernier8. À l’approche de la fin mai, 945 personnes étaient décédées. Déjà menacée par le traitement inégalitaire dont sont victimes ses habitants, il est clair que la cohésion nationale sera encore plus fragilisée dans ce département à l’issue de cette secousse sanitaire. Et il y a cette ultime interrogation : est-ce qu’à l’épreuve de cette crise, les promoteurs du Grand Paris qui, rappelons-le, s’est trouvé boosté par l’organisation des Jeux Olympiques en 2024 pour lesquels le foncier de la Seine-Saint-Denis sera fortement mobilisé, en tireront des leçons politiques, le réorientant au service d’un urbanisme qui régulerait les tensions sociales et les fractures urbaines qui ont ségrégué Paris et sa première couronne? Ou préserveront-ils les enjeux financiers et économiques des lobbys qui s’attachent à en faire une affaire rentable? Pour rester dans les règles de la lucidité, tout indique dans l’histoire de cet urbanisme « sans frein » qu’il ne sera pas troublé par les raidissements actuels de l’opinion.

Notes

* Voir à cet effet: Hacène Belmessous, Le Grand Paris du séparatisme social, Paris, Post-Éditions, mars 2015.

 

1. Ce projet du Grand Paris n’est pas la consultation internationale organisée sous l’égide de Nicolas Sarkozy en 2008, restée sans lendemain, mais ce processus de restructuration de l’aire francilienne bordant Paris (outre Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, et des communes de l’Essonne). Le bras armé de ce projet est la Société du Grand Paris, un établissement public industriel et commercial chargé de concevoir et réaliser le métro du Grand Paris Express, de conduire les opérations d'aménagement et de construction liées à cette infrastructure, de porter son financement et d'organiser les relations avec les autres acteurs concernés par le projet (Île-de-France Mobilités, la RATP, la SNCF, les élus locaux, etc.).

 

2. Leur nombre s’élevait à plus de 700 000 inscrits sur les listes d’attente à l’échelle de la région francilienne à la fin de l’année 2018, dont près de 250 000 à Paris.

 

3. La notion d’opération d’intérêt national est née en 1983, lors des lois de décentralisation en matière d’urbanisme, afin de préserver des champs de prérogatives spécifiques de l’État pour la réalisation d’opérations d’envergure et/ou stratégiques. La qualification d’opération d’intérêt national a pour effet juridique de retirer aux communes ou aux EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) la compétence en matière d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol pour des constructions, installations et travaux réalisés à l’intérieur des périmètres des opérations d’intérêt national, et la compétence relative à la création des ZAC (Zones d’aménagement concerté) créées par le préfet. En cas de besoin, l’État peut demander à la commune ou à l’EPCI de modifier ou de réviser le plan local d’urbanisme (PLU), si la réalisation d’une opération d’intérêt national le nécessite.

 

4. INSEE, Analyse Île-de-France, n°114, 13 février 2020.

 

5. L’éducation populaire est un courant de pensée qui milite pour une diffusion de la connaissance au plus grand nombre, afin que chacun puisse s’épanouir et agir dans la société.

 

6. Créée par un gouvernement de droite en 1975 sous l’intitulé Habitat et Vie Sociale, mais réellement dynamisée à partir de 1982 et l’arrivée au pouvoir de la gauche socialo-communiste, la politique de la ville est un dispositif étatique destiné à l’origine à lutter contre les effets de la relégation sociale et territoriale dont souffrent les quartiers situés dans les banlieues populaires ou les quartiers populaires des anciennes villes industrielles. Elle intervient depuis dans tous les champs de la vie de la Cité : l’éducation, la culture, le logement, la citoyenneté, la sécurité, etc. Si l’État reste le moteur de cette procédure contractuelle à travers son représentant local (le préfet) et les importants moyens financiers qu’il y engage, les élus des différentes instances politiques locales (mairie, département, région, intercommunalité) ne sont pas en retrait, de sorte qu’on parle désormais de la politique de la ville comme d’une coproduction entre l’État central et les pouvoirs locaux.

 

7. Voir l’étude de l’INSEE déjà citée.

 

8. À comparer avec les Hauts-de-Seine (+ 101,5 %), le Val-de-Marne (+ 94,1 %), et Paris (+ 92,6 %)

Bobigny, une adresse spéculative du Grand Paris

 

Bobigny est de ces villes de la banlieue nord de Paris qui souffre d’une incohérence architecturale, comme si elle avait été conçue sans plan d’ensemble, les équipements publics s’y agglomérant pêle-mêle sans que les promoteurs de cet urbanisme sans tête s’inquiètent de la nécessité de le rendre harmonieux à l’usage des habitants de la commune. Depuis Paris, il faut descendre au terminus de la ligne 5 du métro. Des immeubles HLM se dressent de part et d’autre des infrastructures des transports publics. Plusieurs lignes de bus sillonnent ce lieu devenu central pour les habitants, quand bien même il ne forme pas son centre-ville, le véritable cœur de Bobigny étant situé à quelques centaines de mètres de là. Très souvent bondé, le tramway T1, inauguré en juillet 1992, le traverse. Dans ce dédale urbain, des administrations publiques (la préfecture de Seine-Saint-Denis, les tribunaux d’instance, de grande instance et administratif) et le siège du Conseil général y ont également élu domicile. Un centre commercial en déshérence et un cinéma municipal dont la fréquentation résiste très péniblement aux complexes « coca/pop-corn » des alentours bordent enfin le lieu. Dans cet urbanisme de composition inhospitalière, le piéton a toutes les peines du monde à trouver une adresse, le lieu n’offrant aucune signalétique. Sitôt qu’on a dépassé le cinéma, l’atmosphère devient plus paisible. Le parc départemental de la Bergère résonne des conversations des familles, des adolescents ou de jeunes couples. Les fondus de course à pied l’occupent aux beaux jours. Cet espace de dix hectares, longé par le canal de l’Ourcq, est jugé stratégique par la promotion immobilière.

En effet, depuis le lancement du Grand Paris, le paysage qui se dessine de l’autre côté du canal révèle spectaculairement les contours urbanistiques de la forme sociale qu’il prendra dans cette Seine-Saint-Denis qui prolonge la capitale. La route de Paris, bordée il y a encore peu par des entrepôts industriels toujours en activité, attire désormais de ce côté-ci les capitaux des promoteurs qui payent au prix fort ces emprises qu’ils bâtissent pour des classes moyennes ravies de loger dans un secteur bientôt préservé. Le projet Ecocité1 doit répondre à cette demande. En plus des logements, un groupe scolaire, des commerces et un parc d’activités y sont programmés. Les logements sociaux y seront rares. La proximité de la ligne 15 du Grand Paris Express et du tramway T1, à nouveau prolongé, donneront une attractivité significative au lieu. Cette adresse est d’autant plus prisée par les catégories sociales moyennes et supérieures qu’elle offre une vue imprenable sur Paris. On pourrait objecter que les clôtures qui ferment chaque programme immobilier pourraient rebuter dans un territoire ouvert – le parc est d’accès gratuit, comme le canal de l’Ourcq – renforçant ainsi l’impression d’enclosures de luxe pour privilégiés, mais ce sentiment est invalidé par les promoteurs rencontrés. Après Cogedim, c’est le groupe Emerige qui vient de vendre sur plan tous ses appartements. D’une superficie de 60 m2, les T3 ont par exemple été vendus à partir de 230 000 euros. À côté, les grues d’un nouveau programme d’accession à la propriété, lancé par la société Marignan, sont entrées en action.

 

1 La ZAC Ecocité jouxte plusieurs projets d’aménagement portés par l’intercommunalité Est Ensemble : le Port de Pantin, l’Horloge à Romainville, le quartier durable de la Plaine de l’Ourcq à Noisy-le-Sec, et les Rives de l’Ourcq à Bondy. Il est celui pour lequel les ambitions de ses promoteurs, politiques et financiers, sont les plus fortes.

 

 

 

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