Le con­cours, cette chose pu­blique

Sur fond de polémique sur les concours d’architecture à Genève1, nous nous sommes rendus dans le quartier de la Concorde pour y rencontrer deux acteurs de l’association Forum démocratie participative. Celle-ci milite pour une implication des habitants dans les concours d’architecture qui rythment depuis quelques années la transformation du quartier.

Date de publication
25-01-2021

Le concours d’architecture ouvert repose sur la confidentialité et l’anonymat. Or ces principes semblent s’opposer à ceux de la participation citoyenne, a priori fondée sur la transparence et l’ouverture au plus grand nombre. Comment envisager sérieusement la représentation des habitants – par définition non professionnels – dans le cadre si normatif des procédures de concours? Depuis une décennie, l’association Forum démocratie participative (Le Forum ci-après), fortement engagée dans la mutation du quartier Concorde, s’est plusieurs fois confrontée à ces expériences, leurs réussites et leurs limites. Rencontre avec Pierre Varcher membre fondateur, et Olowine Rogg, secrétaire participative du Forum de 2004 à 2012.

espazium: À quand remontent les prémices de la participation dans le quartier?
PV (Pierre Varcher): Au début des années 1990. Des associations d’habitants, alors remontées contre la réalisation de la dalle de la couverture des voies ferrées, décident de se réunir et réussissent à faire intégrer un représentant dans le jury du concours de l’aménagement de l’infrastructure. À la suite de cette expérience qui a montré ses limites, l’association Forum démocratie participative a été officiellement créée en 2000 et s’est engagée notamment au sujet du concours pour la réalisation de la crèche de Saint-Jean en 2002. Deux représentants du Forum avaient alors été associés dans le jury et les habitants avaient activement participé au choix du projet. Grâce à une conteuse et une dessinatrice, ils ont pu transmettre leurs envies et leurs idées à leurs représentants au sein du jury. Ce projet fut particulièrement abouti en termes de concertation.

Comment le Forum s’est-il imposé comme un acteur incontournable de la transformation du quartier?
OR (Olowine Rogg): Au commencement, nous avons dû mettre le pied dans la porte. En 2008, le Département des constructions du Canton a lancé la réalisation de l’image directrice du quartier. C’est alors que nous avons organisé une séance de discussion au Forum à laquelle nous avons invité les maîtres d’ouvrage principaux, les conseillers administratifs et les conseillers d’État. Il y avait 200 personnes dans la salle. C’est de cette façon que l’on a commencé à imposer la participation dans le quartier. Nous avons fait des ateliers de programmation urbaine et nous avons rendu un rapport avec les thématiques chères aux habitants : place des jeunes, biodiversité, logement, mobilité et mixité fonctionnelle. 

Après l’image directrice, l’État, les Villes de Genève et Vernier et la fondation HBM, principal propriétaire foncier, lancent la réalisation du plan directeur de quartier (PDQ). Plutôt que de procéder par plan localisé de quartier (PLQ), ils font le choix du concours d’après le règlement SIA 142.
OR: Oui, l’option concours a été inscrite dans le PDQ. Au Forum s’est alors posée la question de l’organisation de la participation. C’est comme cela que nous avons commencé à intégrer régulièrement des représentants des habitants dans les jurys de concours. Mais, au début, nous n’avions aucune expérience. Même si nous étions contents d’avoir mis un pied dedans, nous devions apprendre à nager tout seuls. 

PV: Cela pose une question d’échelle et de programme. Pour un îlot urbain, je conçois que la participation citoyenne est utile. L’habitant vient avec son vécu et son perçu pour offrir son expertise en termes d’usage de l’espace public. Pour un immeuble de logements locatifs, la participation me semble plus difficile. 

OR: En effet, mais je crois que l’on peut tout de même être utile en amont, en travaillant sur la programmation et sur l’insertion du bâtiment dans le quartier. 

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Le premier concours de logements a été celui de l’immeuble de logements et d’activités, avenue Henri-Golay, en 2013. Concrètement, à quel moment a eu lieu la participation? 
OR: Elle s’est déroulée en deux moments. En amont du concours, nous avons mené des «mini-chantiers»2 sur l’axe vert Henri-Golay. Ils ont permis de mettre le doigt sur l’importance d’un espace vert situé sur le site du projet avec de beaux arbres. Les recommandations ont été annexées au programme. Nous avons ensuite participé au jury pour porter le souhait des habitants. Ce projet est aujourd’hui largement plébiscité par les locataires et les habitants du quartier.

Pour ce projet, un représentant du Forum figurait parmi les experts. Vous auriez eu plus de poids en tant que membre du jury avec droit de vote.
OR: Le Forum revendique volontiers le statut d’expertise car il permet d’analyser les projets avant leur passage devant le jury. Pour le concours de logements situé au chemin des Ouches, nous avions pu intégrer deux représentants des habitants dans la composition du jury. Le comité de pilotage a choisi un habitant pour siéger en tant que membre indépendant du maître d’ouvrage, donc avec droit de vote. Et le coordinateur du Forum qui a mené les ateliers avec les habitants a été nommé comme expert. 

Comment ce projet en cours de construction est-il accueilli par les habitants?
OR: On peut considérer que ce projet est abouti en termes de participation. Mais il est vrai que lorsque nous l’avons présenté aux habitants, des jeunes de la salle se sont manifestés et l’ont qualifié de «cité». Je crois qu’il faut attendre qu’il soit livré et habité. Mais de mon point de vue, son architecture correspond à ce qui est issu du processus de participation.

Pensez-vous que la procédure de concours est adaptée aux exigences de la participation?
OR: Je pense qu’avec les outils d’urbanisme et d’architecture que l’on a à disposition aujourd’hui, le concours reste un bon outil pour aboutir à des projets de qualité, mais seulement si la participation est menée en amont. Je crois aussi que le fait de siéger dans les jurys demeure important. C’est une place qui permet de rappeler et défendre le point de vue du quartier et de ses habitants. 

PV: La participation est surtout primordiale au moment de l’élaboration du programme du concours. Quant à la présence au sein du jury, elle est bien sûr légitime, ne serait-ce que pour juger de l’adéquation entre ce qui a été voulu et ce qui est proposé, même si elle pose des questions concernant les modalités de vote, de décision et surtout de confidentialité. Mais j’aimerais insister sur une chose: il semble y avoir aujourd’hui une forme d’acceptation générale du fait qu’il faille intégrer a minima les habitants dans les processus de fabrication de la ville. Mais cette intégration se limite au mieux à des consultations, afin d’éviter que le projet ne soit trop en porte-à-faux avec les représentations sociales et spatiales des habitants ; cela risquerait en effet d’occasionner des réactions fortes, par exemple sous la forme de pétitions, provoquant retard et perte d’efficience dans la mise en œuvre. Aujourd’hui, on accepte d’intégrer les habitants a minima. Mais cette acceptation est très différente d’une conception horizontale de la démocratie. Dans cette perspective, la participation devrait être une forme d’éducation populaire sur le long terme qui, par le débat, la discussion et l’intelligence collective, implique conscientisation et élucidation patiente des enjeux de la ville.

 

Olowine Rogg a été secrétaire participative au Forum entre 2004 et 2012. Pierre Varcher a été membre du groupe de pilotage entre 2000 et 2007.

Notes

 

1. Le 24 novembre 2020, La Tribune de Genève publie un article dont le titre est une question rhétorique «Concours d’architecture: toujours les mêmes?»

 

2. Les mini-chantiers sont des projets participatifs d’expérimentation de l’espace public. Lire: «Les mini-chantiers 2011-2015 – Expérimenter l’espace public», brochure publiée par l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature et l’Office de l’urbanisme. Conception, rédaction et coordination: Olowine Rogg

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